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Trinité-et-Tobago préconise de hâter le transfert du pétrole même si le pétrolier vénézuélien est considéré “stabilisé”

Catégories: Caraïbe, Trinité-et-Tobago, Cyber-activisme, Environnement, Média et journalisme, Médias citoyens, Politique
L'image montre un gigantesque vaisseau localisé en pleine mer. Il apparaît amarré avec des chaînes le maintenant dans l'océan. La surface du navire est de couleur rose. La mer est calme. En haut, à droite de l'image, il y a le logo " FFOS ", Fishermen and Friends of the Sea ", (Les Pêcheurs et les Amis de la mer). [1]

Nabarima, unité flottante de stockage et de déchargement (Floating Storage and Offloading Unit, FSO), est un vaisseau susceptible de couler et de créer une immense marée noire dans le golfe de Paria. Copie d'écran extraite d’une vidéo [1] téléchargée sur YouTube, par “Fishermen and Friends of the Sea [2] ” (FFOS, ” Les Pêcheurs et les Amis de la mer “), organisation non gouvernementale, située à Trinité-et-Tobago, qui a tiré la sonnette d'alarme sur la situation.

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages en anglais, ndlt]

Ce reportage a été publié initialement sur le site Cari-Bois News [3]. Une version, remaniée et actualisée, est republiée ici dans le cadre d'un accord de partage de contenu avec Global Voices.

Le gouvernement de Trinité-et-Tobago a dépêché une délégation de trois personnes, sur place, afin d'inspecter le Nabarima, unité flottante de stockage et de déchargement (Floating Storage and Offloading Unit, FSO), contenant environ 1,3 million de barils de pétrole brut, qui se trouvait penché sur un côté [4], dans le golfe de Paria [5] [fr]. Cette cellule de travail a jugé le navire stabilisé, sans inclinaison, ni gîte ou entrée d'eau, et qu'il ne présentait donc qu'un  « risque minimal » [6] de marée noire.

Néanmoins, Franklin Khan, ministre de l'énergie des deux îles, a reconnu lors d’une conférence de presse [7] le 22 octobre, que la délégation [8], laquelle a passé environ trois heures et demie à bord du navire, n'a pas été habilitée à conduire une évaluation technique approfondie :

We weren’t allowed to go with instruments as though we are regulators in the industry. We were making a trip that was coordinated by Ministry of Foreign Affairs. It was an international trip from one government to another and we were allowed to observe and take notes to ascertain the veracity of what they have been telling us.

Nous n'étions pas autorisés à utiliser des instruments, en qualité de régulateurs de cette industrie. Nous faisions un voyage organisé par le ministère des affaires étrangères. C'était un voyage international d'un gouvernement à l'autre, et nous étions autorisés à observer et à prendre des notes pour nous assurer de la véracité de ce qu'ils nous racontaient.

Après une visite guidée du vaisseau Nabarima, la délégation a constaté que les salles réservées aux moteurs, aux générateurs, aux chaudières, aux contrôles des machines, aux contrôles des réservoirs ainsi que le pont principal, les pompes, la cale et les autres zones critiques du navire « paraissaient en bon état ».

Le pétrolier, actuellement en cours de maintenance, opère depuis une décennie dans le golfe de Paria [5] [fr], localisé entre la Trinité et la côte est du Venezuela, et stocke du pétrole, issu du gisement de Corocoro [9] par le truchement d'une entreprise commune entre entre la compagnie pétrolière publique du Venezuela, Petróleos de Venezuela [10] [es] (PVDSA) et la multinationale énergétique italienne Eni [11].

Accélérer la procédure

Dans le même temps, le gouvernement de Trinité-et-Tobago recommande au Venezuela la mise en place d'une procédure urgente d'évacuation du pétrole brut, à bord du navire-citerne, pour réduire la probabilité d'un déversement [12] qui, selon les environnementalistes, pourrait être catastrophique [4] pour les écosystèmes marins et les ressources.

Les opérations de transfert du pétrole brut, actuellement en cours, pourraient nécessiter jusqu'à 35 jours car il s'agit de pomper les 1,3 million de barils de pétrole du navire Nabarima vers une barge devant effectuer plusieurs voyages, dans la mesure où elle ne peut transporter que 30 000 barils à la fois. La barge transfère ensuite le pétrole vers un autre pétrolier, l'Icaro, dont la capacité de chargement est de 300 000 barils.

« La prolongation de la phase de transfert constitue en soi un léger risque, bien que l'opération soit jugée sûre », a expliqué Franklin Khan. Si un plus grand navire avait pris en charge le transfert de navire à navire, a-t-il supposé, l'opération aurait pu être achevée en l'espace de deux jours seulement.

« Événements indésirables »

Des inquiétudes concernant la sécurité du bâtiment ont attiré l'attention du public lorsque l'organisation non gouvernementale trinidadienne, Fishermen and Friends of the Sea [2] (FFOS), a alerté le ministère de l'énergie et des industries de l'énergie (MEEI), par correspondance le 24 août (et le grand public par le biais des médias sociaux) de la présence du pétrolier « situé dans les eaux vénézuéliennes, avec une capacité totale de 1,3 million de barils qui auraient basculé et qui risquaient de chavirer ».

Rejetant les accusations relatives au manque de transparence du gouvernement vénézuélien en la matière, le ministre Franklin Khan a déclaré que les communications officielles de l'administration du président vénézuélien, Nicolás Maduro, étaient explicites sur deux « incidents indésirables » survenus début septembre.

En premier lieu, il y a eu la « perte de stabilité avec une assiette (angle de l'axe longitudinal ou latéral) négative de 3,5 mètres », responsable de l'inclinaison de huit degrés du bateau observée sur les photographies publiées sur les médias sociaux [13], et « une gîte (inclinaison) de sept degrés sur tribord due à la défaillance du système de ballast ».

Le second « incident indésirable » était la pénétration d'eau dans la cale du quatrième pont de la salle des machines, suite à la défaillance d'une vanne associée à l'aspiration de fond et au système de vidange d'urgence de la cale. L'inondation de la salle des machines a ensuite engendré la défaillance d'un « certain nombre de caractéristiques physiques ». Franklin Khan a déclaré que ces deux incidents ont été depuis rectifiés.

Le poids des sanctions américaines

Les sanctions [14] infligées par le président américain, Donald Trump, à l'encontre du Venezuela en 2019, ont contribué à la fragilité de la situation, empêchant le Venezuela de vendre le brut stocké à bord du navire.

En effet, selon John Bolton, ancien conseiller à la sécurité nationale des Etats-Unis, cette décision a été motivée par la volonté de forcer les pays et les entreprises à choisir entre, faire des affaires avec les Etats-Unis ou le Venezuela, sachant que de nouvelles sanctions pourraient être imposées à toute personne qui soutiendrait l'administration Nicolás Maduro.

Le ministre Franklin Khan a veillé à mentionner que le Venezuela et la république de Trinité-et-Tobago jouissent d'une « relation amicale », et a rappelé aux citoyens que lorsque la compagnie pétrolière nationale de Trinité-et-Tobago, ” Petroleum Company of Trinidad and Tobago Limited ” (Petrotrin), disparue aujourd'hui, a essuyé une gigantesque marée noire en 2016 [15], le Venezuela – gravement touché en raison de sa proximité – a proposé de prêter son concours aux opérations de nettoyage à titre gracieux.

Malgré l'existence d'un traité [16] [pdf] sur la délimitation des zones marines et sous-marines entre les deux pays, stipulant qu'un plan d'urgence en cas de marée noire peut être invoqué par l'une ou l'autre des parties si si ces dernières estiment qu'une réelle menace pèse sur l'environnement, le ministre Franklin Khan a déclaré que Trinité-et-Tobago ” ne disposait actuellement d'aucune base technique ” pour recourir à ce plan.

Intervention dictée par « la voie diplomatique »

Amery Browne, ministre des affaires étrangères et de la CARICOM (Communauté des Caraïbes), également présent à la conférence de presse, a déclaré [7] qu'une grande partie de ce qui a été fait pour traiter cette crise a eu lieu en coulisses :

A lot of diplomatic activity […] is not done in the full glare of the public and there is often use of more quiet channels to get our objective achieved and to a large extent, the objective has been achieved.

Une grande partie de l'activité diplomatique […] ne se passe pas au grand jour, et nous empruntons souvent des voies plus discrètes pour parvenir à notre objectif et, dans une large mesure, l'objectif a été atteint.

Toutefois, tandis que le chroniqueur du journal trinidadien, B.C. Pires, a confirmé [17] que la question du navire-citerne « relève, au sens strict du terme, de la responsabilité du Venezuela, et que seul le Venezuela est légalement en droit de le résoudre », il a ajouté que si le pétrole se déverse, « nous apprendrons qu'il n'existe pas d'eaux » vénézuéliennes « dans l'océan, mais seulement une responsabilité juridique stricte du Venezuela devant une catastrophe écologique bien plus grave qu'un siècle de saisons des ouragans ».

L'ONG, Fishermen and Friends of the Sea, quant à elle, a fait une déclaration [18] exprimant ses remerciements au gouvernement pour les efforts déployés jusqu'à présent, tout en précisant qu'elle estimait que l'accord bilatéral entre les deux pays avait échoué et qu'il subsistait toujours un risque élevé. Elle a également sollicité une preuve vidéo attestant de la « stabilité » du navire, car elle soutient [19] que « des images trompeuses et trafiquées ont, par le passé, véhiculé de la propagande ».

Les images vidéo [20] de la visite, transmises par la suite par le gouvernement vénézuélien, indiquent un navire en position verticale, même si le reportage du journal télévisé de TV6 à Trinité-et-Tobago semble avoir mêlé des images extraites de la vidéo fournie par FFOS [21].