En Géorgie, des traitements médicaux hors de prix à cause du COVID-19

Flacon de « Gluvilex Ultra », un médicament qui traite les problèmes articulaires

« Je préférerais acheter moins de pain et pouvoir acheter les médicaments dont j'ai besoin », déplore Keti qui a perdu son poste de femme de ménage dans un hôtel. Photo par  Tamuna Chkareuli / OC Media.

Cet article a été publié à l'origine sur OC Media, en août 2020. Il est repris sur Global Voices avec l'autorisation de l'éditeur, dans une version remaniée afin de correspondre aux normes éditoriales du site.

[Tous les liens de ce billet renvoient vers des pages web en anglais.]

Depuis le 18 mars dernier, les frontières géorgiennes demeurent fermées en raison du COVID-19, à quelques exceptions près. Selon plusieurs sondages, le revenu moyen des ménages aurait quasiment diminué de moitié. Les familles qui dépendaient directement de l'industrie du tourisme sont maintenant confrontées à un choix difficile : économiser leur argent au détriment de leur santé ou s'endetter pour pouvoir se payer les médicaments dont elles ont besoin.

Le déclin du tourisme a engendré de gros changements dans la vie de Keti, 59 ans. L'hôtel qui l'employait comme femme de ménage a fermé ses portes et son propriétaire, un ressortissant étranger, a quitté le pays sans avoir l'intention de rouvrir cette année.

Keti gagnait 20 laris (6,50 dollars) par jour et travaillait six jours par semaine. Depuis qu'elle est au chômage, sa famille ne dispose plus que de la moitié des revenus habituels.

« Mon mari est à la retraite et perçoit une pension [de 220 laris par mois, soit environ 70 dollars] et ma fille travaille au maximum de ses capacités physiques entre trois et quatre jours [par semaine] dans un supermarché, cependant elle ne gagne pas plus de 300 laris [environ 90 dollars] par mois. »

Après avoir subi une opération du genou il y a deux ans, Sopio, la fille de Keti, ne peut rester assise ou debout longtemps et a besoin d'un traitement onéreux. Le docteur lui a expliqué que l'intervention ne servirait à rien si elle ne recevait pas d'injections dans le genou.

Keti a passé des journées entières à chercher de l'Arthrum, une substance gélatineuse similaire à celle naturellement présente dans les articulations, une quête vaine. Elle a alors contacté son médecin, qui lui a dit que les pharmacies géorgiennes n'en vendaient pas et qu'elle devait en chercher dans une pharmacie spécialisée pour athlètes, l'unique endroit où l'on pouvait s'en procurer.

Une seule injection d'Arthrum coûte 800 laris, soit 80 % des revenus du foyer. Keti en a tout de même acheté pour que sa fille soit en mesure de se déplacer.

Aujourd'hui, deux ans plus tard, l'autre genou de Sopio a commencé, lui aussi, à la faire souffrir à cause de la pression accrue. Elle a désormais besoin d'injections dans les deux genoux. « Le docteur nous a dit de trouver quelqu'un vivant à l’étranger et qui pourrait nous en apporter. »

Keti a d'abord essayé de commander l'injection, mais avec l'assurance et la livraison, cela lui coûterait autant que si elle en achetait en Géorgie.

Sopio a fini par contacter un ami en Italie, qui, à son tour, a trouvé une femme immigrée qui achetait la même injection à son médecin pour 100 euros (120 dollars).

La famille a acheté deux injections en décembre dernier : en prenant en compte le taux de change, Keti a dû débourser 310 laris par flacon. Aujourd'hui, le prix est passé à 343 laris. Pour elle, chaque centime compte.

« Cela représentait quand même une grosse somme d'argent pour nous, mais je savais qu'au moins je pouvais utiliser l'argent économisé pour payer l'acte d'injection et le taxi [pour le trajet entre la maison et l'hôpital]. Je commence à mettre de côté pour la deuxième injection dès que j'achète la première. »

« Personne ne veut embaucher de salariés de mon âge. »

OC Media a consulté le chirurgien orthopédique Giorgi Kvaratskhelia de la Première clinique universitaire de Tbilissi. Il confirme que l'Arthrum, qui est prescrit de manière préventive et post-chirurgicale, est l'un des traitements intra-articulaires les plus onéreux. Ces traitements sont tous importés de l'étranger et plutôt chers.

Sopio a besoin d'Arthrum au moins cinq fois par an. Cependant, en plus de l'injection, on lui a également prescrit du Gluvilex Ultra, un autre médicament pour ses articulations. « Deux semaines de traitement coûtent 53 laris, et pour deux mois, le prix s'élève à plus de 200 laris. Je ne sais pas du tout comment obtenir tout cet argent mais je préférerais manger moins de pain et pouvoir acheter les médicaments dont j'ai besoin. »

Sopio a souvent d'autres problèmes de santé liés à ses genoux, comme une inflammation des ligaments de la cheville, apparue l'hiver dernier. Le mari de Keti souffre également de problèmes articulaires au niveau du bassin. Selon les calculs de Keti, les médicaments de son mari et de Sopio coûtent au total environ 170 laris (55 dollars) par mois.

Keti a perdu l'espoir de retrouver du travail pendant la crise sanitaire.

« Personne ne veut embaucher de salariés de mon âge. Je commencerai à percevoir ma pension dans un an mais pour moi, même une seule année est une longue période. Je pourrais travailler dans des bars ou des hôtels par exemple, mais ils ne veulent plus de moi désormais. »

Keti a cherché à bénéficier du programme gouvernemental de compensation COVID-19, mais sa demande a été refusée.

« Je n'avais pas signé de contrat et j'étais payée en liquide. C'est peut-être à cause de ça. »

« Le tourisme ne connaîtra pas de relance avant le mois de mars »

Ana Teimurazishvili, guide indépendante et membre de l'Association des guides touristiques géorgiens, a également perdu ses revenus en raison de la fermeture des frontières. Depuis, elle a du mal à payer les médicaments de sa mère très âgée.

« J'ai dû laisser mes bijoux chez le prêteur sur gages pour pouvoir les acheter. L'association m'a aidée en me donnant 150 laris (49 dollars) lorsque je n'avais pas d'argent pour les médicaments, ensuite j'ai dû mettre mes bijoux en gage, puis j'ai demandé à des amis. Je me retrouve maintenant avec énormément de dettes. Mais au moins, j'ai du travail. Mes collègues, eux, ont perdu l'intégralité de leurs revenus. »

Un proche d'Ana a loué un petit kiosque de nourriture et de boissons près de Turtle Lake à Tbilissi, où Ana travaille désormais de midi à une heure du matin. Le kiosque est ouvert depuis moins d'un mois, ils ne savent donc pas encore exactement la somme d’argent qu'ils vont pouvoir en tirer.

« Pour l'instant, ma seule priorité est de payer le loyer et de pouvoir m'occuper de ma mère sans m'endetter davantage. »

La mère d'Ana a une prescription mensuelle d'Eliquis, un anticoagulant. Ce médicament est vital pour elle car elle présente un haut risque de thrombose.

Ana avait l'habitude de l'importer de l'étranger étant donné qu'un mois et demi de traitement dans n'importe quel pays était moins cher qu'un mois de traitement en Géorgie. Elle n’était pas au courant que le gouvernement avait mis en place des subventions pour pouvoir acheter de l'Eliquis, jusqu'à ce qu'un ami lui fasse part de cette information. Cependant, Ana peut difficilement l'acheter, même avec les aides du gouvernement. « Il y a encore deux mois, le prix était de 72 laris, désormais il est de 78 laris », a-t-elle déclaré.

Nino Khunashvili, qui est à la tête du service de cardiologie de la Première clinique universitaire, a décrit l'Eliquis comme un anticoagulant puissant et efficace souvent prescrit en Géorgie. « C'est un médicament onéreux, tout comme les autres traitements anticoagulants », a-t-elle confié à OC Media.

OC Media s’est renseigné sur l'Eliquis auprès de plusieurs pharmacies géorgiennes. Ce médicament est disponible uniquement sur ordonnance mais n'est pas en vente en Géorgie. Il est donc livré avec un délai de trois semaines depuis la Turquie.

Au total, les médicaments de la mère d'Ana lui coûtent environ 400 laris par mois ; cependant, sa pension ne couvre que la moitié de la somme.

Ana doute qu'elle puisse reprendre son activité de guide touristique dans un avenir proche. Selon elle, la majorité des touristes internationaux étaient russes ou russophones. Même si les frontières s'ouvraient, elle aurait toujours des inquiétudes quant à sa sécurité.

« Le tourisme ne connaîtra pas de relance avant le mois de mars, et d'ici là, les gens comme moi qui ont la cinquantaine se retrouveront sans rien. Plus personne ne veut embaucher de salariés de ma génération. »

Lorsque Ana a demandé à bénéficier de l'aide d’urgence, elle ne l'a pas obtenue car il n'y avait aucune catégorie existante pour les guides touristiques.

« Le gouvernement ne reconnaît aucun acteur dans l'industrie du tourisme en dehors de l'hôtel et du voyagiste », dit-elle. « Et il est inutile d'établir une “zone verte” de voyage étant donné que cette crise ne concerne pas seulement la Géorgie. L'Arménie et l'Azerbaïdjan se trouvent dans une situation bien pire. Les gens ne voyagent pas jusqu'ici seulement pour aller en Géorgie. »

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