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Cinq mois après les élections, le Guyana accueille son nouveau président

Catégories: Caraïbe, Guyana, Droit, Economie et entreprises, Élections, Médias citoyens, Politique
 Le nouveau président du Guyana, Mohamed Irfaan Ali, prête serment sur la Bible. Il se tient debout, vêtu d'un costume bleu et portant un masque de protection faciale [1]

Le nouveau président du Guyana, Mohamed Irfaan Ali, lors de sa cérémonie d'investiture le 2 août 2020. Capture d'écran extraite d'une vidéo Youtube [1] de l'événement, publiée par Guyana Uncut.

L’article d'origine [2] a été publié en anglais le 3 août 2020.

Sauf mention contraire, tous les liens de cet article renvoient vers des pages en anglais.

Cinq mois après les élections générales guyaniennes du 2 mars 2020, le pays a un nouveau président.

Le 2 août, Mohammed Irfaan Ali a été déclaré [3] neuvième président exécutif par la présidente de la Commission électorale du Guyana (GECOM) Claudette Singh, qui confirmait ainsi les résultats des élections en faveur du parti d'opposition, le Parti progressiste du peuple [4] [fr] (PPP).

La coalition au pouvoir, l’Association pour l'unité nationale/Alliance pour le changement [5] (APUN+APC), a insisté sur le fait que les votes reçus dans la circonscription électorale de la Région 4, un bastion de l'APUN+APC, étaient équivalents à une victoire, mais que l'ensemble du processus avait été freiné [6] par le mode de dépouillement des résultats dans cette région : les bulletins de vote ont été comptés à l'aide d'un tableur plutôt que par des relevés de sondage [7], qui est la méthode sanctionnée par la loi [8].

L'impasse a entraîné un processus de longue haleine impliquant des vérifications [9], des injonctions [10] et des interventions [11]de la communauté caribéenne (CARICOM), un recomptage et des poursuites judiciaires [12] contestant les résultats. Certaines affaires sont allées jusqu'à la Cour de Justice caribéenne [13], la plus haute cour d'appel du Guyana.

Quand la Cour d'appel du Guyana a cependant décidé à l'unanimité que les résultats du recompte des voix devaient être utilisés pour déterminer et déclarer l'issue des élections générales, et que le bilan officiel de la GECOM devait se baser sur ces chiffres, la saga électorale était enfin proche de sa conclusion.

Moins de 2 heures après la déclaration officielle de la GECOM faite par Claudette Singh, le président Ali a été assermenté [14] au centre de conférence Arthur Chung de la capitale, Georgetown. Le secrétaire général du PPP et ancien président Bharrat Jagdeo [15] [fr] a été assermenté en tant que vice-président et Mark Phillips, ancien chef d'état-major des Forces de défense du Guyana, a prêté serment [16] en tant que Premier ministre. Il est prévu que le nouveau gouvernement du PPP annonce des nominations supplémentaires au Cabinet à une date ultérieure.

Stabroek News, largement considéré comme le journal de référence du pays, a observé que la situation avait évolué extrêmement rapidement une fois que la conclusion de la Commission électorale avait été annoncée, mais a décrit [3] l'intervention de Yolanda Ward, responsable des relations publiques de la GECOM, comme étant « laconique » :

[The Chief Election Officer] CEO submits report to Chairperson using results of the recount of ballots cast at the General and Regional Elections.

Le directeur général de la Commission électorale soumet un rapport au président, sur la base des résultats du recompte des bulletins des élections générales et régionales.

Le 6 mars, Stabroek News a publié un éditorial [8] accusant la GECOM de « travailler dans l'intérêt » du gouvernement et de « truquer les élections générales de 2020 sous nos yeux ».

Un communiqué de la GECOM explique [3] qu'après que le directeur général des élections Keith Lowenfield, suivant les instructions de la Cour d'appel, a soumis son rapport basé sur les résultats du recomptage des bulletins, la commission s'est réunie le 2 août pour « délibérer sur le rapport ».

Un communiqué du ministère de la Présidence détaille la position du président sortant David Granger [17] :

President David Granger, this morning, received a call from the Chairman of the Elections Commission, Justice (Ret’d) Claudette Singh who invited him to a conversation with Opposition Leader Mr. Bharrat Jagdeo to discuss the way forward.

The President explained that he had no objection to speaking with Mr. Jagdeo but as far as a proposed declaration is concerned, he recognised that the Commission has a legal obligation as a result of the recent ruling of the Court of Appeal, to proceed with a declaration.

President Granger said that notwithstanding that declaration, the APNU+ AFC coalition maintains that the anomalies and irregularities which have been uncovered during the recount process cannot be accepted and will form the grounds for an election petition.

Ce matin, le président David Granger a reçu un appel de la présidente de la Commission électorale, la juge (actuellement à la retraite) Claudette Singh, qui l'a invité à prendre part à une conversation avec le chef de l'opposition M. Bharrat Jagdeo pour discuter de la marche à suivre.

Le président a expliqué qu'il ne voyait aucune objection à discuter avec M. Jagdeo, mais en ce qui concerne une proposition de déclaration, il a reconnu que la commission avait une obligation juridique, en conséquence de la décision récente de la Cour d'appel, de délivrer une conclusion.

Le président Granger a déclaré que, nonobstant cette conclusion, la coalition APUN+APC soutenait que les anomalies et les irrégularités découvertes pendant le processus de recomptage étaient inacceptables et constitueraient le fondement de l'invalidation de cette élection.

Cependant, le communiqué de la GECOM [3] a fait savoir que le PPP préférait se retirer de toutes discussions jusqu'à ce que la Commission électorale se prononce. Après cela, selon Bharrat Jagdeo, le PPP « s'engagerait à des discussions sur un modèle de gouvernance ».

La GECOM s'est réunie à nouveau à 14 h, heure du Guyana, pour « délibérer sur le rapport [du directeur général des élections] », et après « un examen attentif »,  toujours selon ce communiqué, « Me Claudette Singh a proclamé Mohamed Irfaan Ali président de la république coopérative du Guyana ».

Le président sortant David Granger a ensuite fait [3] la déclaration suivante :

The APNU+AFC Coalition respects the lawful consequences of the “declaration” as announced by the Chairman of the Elections Commission. I maintain that the Report ordered by the Court and presented to the Commission contains significant anomalies and irregularities.

The APNU+AFC Coalition cannot endorse a flawed Report and will continue its campaign to ensure that the votes of all Guyanese are accurately recorded, tallied and reported.

The APNU+AFC Coalition will challenge the declared results lawfully, peacefully and purposefully.

La coalition APUN+ APC respecte les conséquences juridiques de la « déclaration » telle qu'annoncée par la présidente de la Commission électorale. Je soutiens que le rapport demandé par la cour et présenté à la commission contient des anomalies et des irrégularités importantes.

La coalition APUN+APC ne peut pas appuyer un rapport imparfait et continuera sa campagne pour s'assurer que les votes de tous les Guyaniens sont enregistrés, comptés et rapportés avec précision.

La coalition APUN+APC va contester avec détermination, par des voies légales et pacifiques, les résultats annoncés.

Cependant, très peu de personnes ont l'air préoccupées par ce défi.

Sur Twitter, Michael G. Kozak, secrétaire adjoint par intérim du Bureau des affaires de l'hémisphère occidental du Département d'État des États-Unis, a reconnu le nouveau président :

La démocratie règne au Guyana ! Aujourd'hui, Mohamed Irfaan Ali a été assermenté en tant que président, reflétant la volonté du peuple guyanien.

Nous souhaitons féliciter le président Ali et nous avons hâte de travailler avec son équipe pour soutenir le développement du Guyana au profit de ses habitants.

Quelques jours plus tôt, le 30 juillet, Kozak avait tweeté son mécontentement face au long processus démocratique du Guyana, menant certains à supposer que la pression américaine avait peut-être précipité la décision de l'APUN+APC de se retirer :

Aujourd'hui, nous avons pris des mesures pour empêcher l'entrée aux États-Unis d'autres hauts fonctionnaires responsables ou complices de porter atteinte à la démocratie du Guyana.

Les États-Unis ne vont pas rester les bras croisés alors que l'administration Granger continue de défier la volonté du peuple guyanien. La démocratie doit s'imposer. – MK

Le gouvernement américain avait déjà appliqué des sanctions [21] sous forme d'annulation de visas pour « des personnes responsables ou complices d'atteinte à la démocratie du Guyana », et faisait pression sur ses alliés [22] pour qu'ils prennent des mesures similaires.

Les éventuelles conséquences néfastes de cette impasse politique sur l'avenir économique du pays étaient également une source d'inquiétude.

Malgré des estimations [23] selon lesquelles les ressources pétrolières découvertes récemment au Stabroek Block du Guyana représenteraient plus de 8 milliards de barils, et une annonce [24] de Hess Corporation, qui développe actuellement le site en partenariat avec ExxonMobil et CNOOC Limited, déclarant le 30 juillet que des évaluations récentes avaient identifié deux réservoirs supplémentaires de très bonne qualité, la revue Forbes a confirmé que « pour les sociétés pétrolières et gazières […] cherchant à faire affaire au large des côtes du Guyana, la résolution de cette élection et un retour à la stabilité du gouvernement est un facteur clé ».

En tant que nouveau président du Guyana, Mohamed Irfaan Ali est désormais chargé de [25] protéger le patrimoine de la population guyanienne et de gérer de façon transparente ces milliards de dollars de nouvelles recettes pétrolières, qui ont le potentiel de totalement transformer le pays.