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Selon les observateurs accrédités, les élections du 8 novembre au Myanmar se sont déroulées sans violence, malgré plusieurs défis qui menaçaient de déstabiliser le processus électoral.
L'Alliance du peuple pour des élections crédibles (PACE), une organisation locale, le Réseau asiatique pour des élections libres (ANFREL), qui a son siège en Thaïlande, et le Centre Carter, implanté aux États-Unis, ont déjà publié leurs rapports d'observation préliminaires. Tous reconnaissent le « succès » des élections, tout en signalant la nécessité de réformes pour rendre le processus plus crédible et inclusif à l'avenir.
Le Myanmar a été dirigé par un régime militaire pendant plusieurs dizaines d'années avant qu'un gouvernement civil n'amorce une transition démocratique à partir de 2010. Pendant les élections de 2015, la Ligue nationale pour la démocratie (NLD) avait remporté une victoire écrasante face au Parti de la solidarité et du développement de l'Union (USDP), soutenu par l'Armée.
Selon les résultats officiels, le NLD s'est une nouvelle fois imposé par les urnes cette année. Cette victoire pourrait être interprétée comme une marque de confiance à l'égard de ce parti dirigé par la lauréate du prix Nobel [de la paix] Aung San Suu Kyi. Il pourrait également s'agir d'un rejet par la majorité de l'électorat de l'option d'un retour au pouvoir de l'USDP, un parti fondé par des cadres de l'Armée à la retraite.
Mais la réélection du NLD ne sonne pas le glas du pouvoir de l'Armée, et n'implique pas un déclin de son influence sur le gouvernement. La Constitution de 2008, rédigée par des militaires, garantit aux membres des forces armées 25 % des sièges au Parlement, ainsi que des postes-clé au gouvernement, tels que la défense et le contrôle des frontières.
Global Voices a récemment publié une série d'articles reprenant les principaux enjeux évoqués par les observateurs, tels que la censure des discours de campagne, l’annulation du scrutin dans plusieurs régions dominées par des minorités ethniques, l'exclusion de la communauté rohingya, la montée du nationalisme appuyé par un discours religieux pendant la campagne, ainsi que les entraves à la liberté d'expression touchant les activistes et les personnes critiques vis-à-vis du pouvoir.
D'autres questions ont été soulevées par les rapports publiés par PACE, ANFREL et le Centre Carter.
PACE a déployé 1 888 observateurs temporaires le jour du scrutin. En plus de noter que les élections s'étaient déroulées sans violence, l'organisation a constaté que les protocoles sanitaires avaient été respectés dans les bureaux de vote.
All polling stations were well prepared for COVID-19 precaution measures. The majority of polling stations were able to enforce the voters to wear masks, but at more than one-fourth of polling stations, the safe distance was not met during the queue.
Tous les bureaux de vote étaient bien préparés à la mise en place des mesures liées au COVID-19. La majorité des bureaux de vote ont pu imposer le port du masque aux électeurs et électrices, mais dans plus d'un quart des cas, les distances sanitaires n'étaient pas respectées dans la file d'attente.
Les restrictions portant sur les activités de campagne, mises en place en raison de la pandémie, ont joué en faveur de certain·es candidat·es. PACE a détaillé l'impact du confinement sur les stratégies de campagne :
This created an uneven playing field between those who have better access to financial resources, media and social media and those with limited resources, as well as between incumbent and the rest of the parties.
Cela a créé des inégalités entre celles et ceux qui avaient davantage accès à des ressources financières, aux médias et aux réseaux sociaux, et les candidat·es qui disposaient de ressources limitées, mais aussi entre les candidat·es sortant·es et les autres partis.
ANFREL disposait pour sa part de 13 observateurs déployés sur une durée de 24 jours et de huit personnes engagées pour 8 jours, auxquelles se sont ajoutées trois personnes supplémentaires le jour du scrutin. ANFREL s'est rendu dans 225 bureaux de vote le jour des élections.
Les observateurs ont constaté des incohérences au niveau de la mise en œuvre des procédures d'administration du scrutin, mais cela n'aurait pas en définitive « affecté l'intégrité de l'élection» [pdf], selon le rapport d'ANFREL.
L'organisation a noté avec satisfaction quelques améliorations quant aux procédures électorales par rapport à 2015 :
…a few welcome revisions were made to election by-laws, for instance enabling internally displaced people, migrant workers and students to vote more easily in their area of temporary residence, and prohibiting polling stations located inside military compounds.
…[il y a eu] quelques modifications positives du règlement des élections, par exemple la simplification des démarches pour les personnes déplacées, les travailleurs et travailleuses migrant·es, et les étudiant·es, qui peuvent désormais voter sur leur lieu de résidence temporaire, ou encore l'interdiction d'installer des bureaux de vote dans l'enceinte de casernes ou de camps militaires.
Le rapport d'ANFREL propose également une réforme qui permettrait aux membres du clergé de voter :
Another unfortunate feature of the legal framework for elections is the entrenched disenfranchisement of large sectors of the population. First, Article 392(a) of the Constitution disenfranchises all members of religious orders, whose numbers are considerable: the Buddhist clergy alone accounts for well over half a million people. Christian and Hindu priests or nuns are also unable to vote.
Nous déplorons également la pérennisation de l'exclusion de larges pans de la population par le biais de dispositions légales. Tout d'abord, l'article 392(a) de la Constitution exclut du corps électoral tous les membres du clergé, ce qui représente un nombre important de personnes : rien que pour le clergé bouddhiste, cette population dépasse largement les 500 000 personnes. Les prêtres et religieuses de confession chrétienne et hindoue n'ont pas pu voter non plus.
Les 43 observateurs du Centre Carter étaient présents dans 234 bureaux de vote à travers 10 États et régions. Leur impression générale [pdf] fait écho aux rapports de PACE et d'ANFREL : « […] les électeurs et électrices étaient enthousiastes et ont pu librement exprimer leur volonté lors du scrutin, et choisir leurs représentant·es élu·es. »
Bien que des incidents violents liés aux élections aient été constatés, il s'agissait de cas isolés :
The campaign environment was generally calm and peaceful. However, there were isolated instances of clashes between party supporters, leading to one death, as well as acts of vandalism and destruction of campaign materials in several locations.
Le climat de la campagne était dans l'ensemble calme et paisible. Cependant, il y a eu quelques cas isolés d'affrontements entre partisans de différents partis, qui ont fait un mort, ainsi que des actes de vandalisme et des incidents au cours desquels des supports de communication pour la campagne ont été détruits dans plusieurs localités.
Cependant, le Centre Carter a répertorié des actes de violence en ligne ciblant des candidates ainsi qu'un candidat LGBT+ pendant la campagne :
Harassing and hateful content directed at candidates was also observed throughout the campaign period. In some instances, women candidates were attacked in posts containing sexist and other derogatory language. Myanmar’s first openly gay candidate also faced online harassment.
Nous avons également observé tout au long de la campagne des cas de harcèlement et de publication de contenu haineux visant certain·es candidat·es. Dans certains cas, les candidates ont été attaquées par le biais de posts à caractère sexiste ou utilisant des termes désobligeants. Le premier candidat ouvertement gay au Myanmar a aussi été la cible de harcèlement.
Bien que la plupart des rapports réitèrent le succès des élections, l'USDP a déclaré que les résultats étaient entachés d'irrégularités et exige à présent la tenue de nouvelles élections sous la supervision de l'Armée.