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Les autorités hongkongaises prennent progressivement le contrôle de la chaine publique RTHK

Catégories: Asie de l'Est, Hong Kong (Chine), Censure, Média et journalisme, Médias citoyens, Politique
La productrice Bao Choy devant une forêt de micros. Derrière elle, le parvis du tribunal est rempli de manifestants portant des pancartes défendant la liberté d'expression. [1]

La productrice indépendante de la RTHK, Bao Choy, s'exprime au micro des journalistes devant un tribunal le 10 novembre. Elle est inculpée dans le cadre du Décret sur la circulation routière de Hong Kong, une affaire qui répond ostensiblement à des motivations d'ordre politique. Derrière elle, les manifestant·es scandent “Le journalisme n'est pas un crime.” Image de Stand News, reproduite avec autorisation.

Cet article, signé Rachel Wong, a été initialement publié [2] sur Hong Kong Free Press (HKFP) le 11 novembre 2020. Global Voices en publie ici une version remaniée, dans le cadre d'un accord de partage de contenu.

Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages en anglais.

Le média audiovisuel hongkongais Radio Television Hong Kong (RTHK), financé par le gouvernement, est à nouveau attaqué.

Début novembre, la productrice TV indépendante Bao Choy Yuk-ling a été arrêtée par la police [3]. Elle est accusée d’avoir fait une fausse déclaration [4] dans le but d’obtenir des informations sur des propriétaires de véhicules, violant ainsi le Décret sur la circulation routière de Hong Kong. Choy a obtenu ces informations lors du tournage du documentaire « 7.21 : qui détient la vérité », diffusé dans l'émission Hong Kong Connection.

Le documentaire enquêtait sur des individus potentiellement impliqués dans les attaques de Yuen Long [5] en 2019, durant lesquelles une centaine d’hommes pro-Pékin avaient pris d’assaut la station de métro Yuen Long, brandissant des barres de fer et des bâtons, et avaient attaqué des manifestants qui rentraient chez eux après une manifestation anti-extradition. 45 personnes avaient été blessées lors de cet incident, y compris des journalistes et des usagers, ce qui avait fait de cet événement l’un des plus marquants de cette année de manifestations à Hong Kong.

En ayant recours aux images de vidéosurveillance du quartier et des alentours, les producteurs du documentaire ont pu remonter la piste des propriétaires des véhicules qui avaient transporté les assaillants jusqu’à Yuen Long.

Cela fait des années que les journalistes hongkongais utilisent les informations liées aux plaques d’immatriculation dans leurs enquêtes pour des organes de presse affiliés à différents partis politiques, la plupart du temps pour des reportages sur les crimes et les accidents de la route, ou pour la rubrique divertissement. Choy est la première à être arrêtée pour cette pratique. Si elle est condamnée, elle encourt une amende de 5000 $HK (645 dollars US) et 6 mois de prison.

Choy, qui a comparu le 10 novembre [6], a annoncé aux journalistes que son affaire n’était plus personnelle, mais impliquait l’intérêt du public et la liberté de la presse. Des dizaines de représentants des médias s’étaient regroupés devant le tribunal, pour marquer leur soutien à la productrice. L’affaire a été ajournée à janvier et Choy reste en liberté sous caution.

Mais ce n’était pas la première fois que le gouvernement sévissait contre la RTHK qui, bien que financée par de l'argent public, dispose en théorie d'une indépendance éditoriale et a toujours été autorisée à couvrir des sujets politiques sensibles.

Le diffuseur public est attaqué de toutes parts alors que le gouvernement semble vouloir resserrer l’étau, depuis que le mouvement pro-démocratie est apparu l’année dernière et que la loi sur la sécurité nationale a été promulguée en juillet, générant des troubles politiques. Ci-dessous, une liste non exhaustive des événements les plus récents.

Les employés de la RTHK priés de promettre leur loyauté

La plupart des employés de la RTHK sont engagés en tant que fonctionnaires. Le gouvernement a décidé que tous ceux qui rejoindraient la fonction publique à partir du 1er juillet, date à laquelle la loi sur la sécurité nationale est entrée en vigueur, devraient prêter allégeance [7] à la Région administrative spéciale de Hong Kong, et promettre de faire respecter la Constitution, connue sous le nom de Loi fondamentale.

Cette exigence s’applique également aux employés déjà présents dans l’entreprise, quand leur poste est confirmé après une période d’essai, quand leur contrat est renouvelé ou encore au moment d'obtenir une promotion.

On est en droit de se demander si les reportages du diffuseur public peuvent conserver leur impartialité après que les employés ont été contraints de prêter allégeance au gouvernement.

La directrice adjointe démissionne pour problèmes de santé

Le public s’est également posé des questions lorsque Kirindi Chan, directrice adjointe de la diffusion, a donné sa démission en juin après avoir passé moins d’un an à ce poste. Elle a invoqué des problèmes de santé et des raisons personnelles [8].

À cette même période, le diffuseur était critiqué pour sa série en 20 épisodes sur la loi sur la sécurité nationale, dont le ton était perçu comme complaisant envers le régime de Pékin. L'émission en question suivait une demande directe du conseil consultatif de la RTHK [9], nommé par le gouvernement, chargeant le diffuseur de dissiper les inquiétudes du public sur la loi, qui était alors sur le point d'être promulguée.

Chan a travaillé plus de 30 ans au service du diffuseur, et avait supervisé de nombreuses émissions traitant de l'actualité, mais elle n'a pas été directement impliquée dans la production des programmes controversés dans le cadre de son dernier poste.

Selon Amen Ng, directrice de la communication interne et des standards chez RTHK, la fonction principale de Chan était la gestion administrative, et la décision qui a été prise n'était pas d'ordre politique.

Une période d'essai prolongée pour Nabela Qoser

La RTHK a également fait l'objet de pressions afin de contrôler ses journalistes qui posent des questions « irrespectueuses » aux hauts fonctionnaires.

En septembre, le diffuseur public a réouvert [10] une enquête sur Nabela Qoser, une chargée de programme adjointe qui a provoqué des critiques de la part du public quand elle a demandé des comptes à Carrie Lam, la cheffe de l'exécutif, lors d'une conférence de presse qui s'est tenue après l'incident de Yuen Long le 21 juillet, au cours duquel une foule avait attaqué des usagers du métro.

Qoser avait posé les questions suivantes à Lam : « Est-ce qu'on vous en a informée seulement ce matin ? Avez-vous dormi sur vos deux oreilles cette nuit ? » Et elle lui a également demandé de « parler comme un humain ».

L'enquête initiale a révélé que Qoser n'avait rien fait de mal. Pourtant, peu de temps avant la fin de sa période d'essai de 3 ans, on l'a informée que celle-ci serait prolongée de 120 jours afin de poursuivre l'enquête.

Gladys Chiu, la présidente du syndicat, a critiqué cette décision [11] et a précisé que poser des questions difficiles ne devait pas entraver les possibilités de promotion d'un journaliste, ni la confirmation se son embauche. Carrie Lam s'est refusée à tout commentaire sur cette affaire, qu'elle a jugée être un problème du ressort des ressources humaines. [12]

L'interview avec le principal conseiller de l'OMS critiquée

En mars dernier, le programme d'actualités de la RTHK, The Pulse, a été critiqué par le gouvernement de Hong Kong pour avoir prétendument violé la politique de la Chine unique, après que sa productrice, Yvonne Tong, a posé des questions [13] sur les tentatives de Taïwan pour rejoindre l'Organisation mondiale de la Santé.

Dans un appel en visio, Tong a demandé au Dr Bruce Aylward de l'OMS de commenter les efforts du gouvernement taïwanais pour contenir la pandémie de COVID-19, et si l'organisation allait reconsidérer l'adhésion de l'île. Aylward a apparemment raccroché [14], puis a éludé la question une fois qu'il a été de nouveau en ligne.

Edward Yau, ministre du Commerce et du Développement de l'économie, a déclaré [13]que l'émission avait violé le principe selon lequel la Chine formait un seul État souverain. Il a ajouté que le directeur de la diffusion, Leung Ka-wing, devait être tenu pour responsable de la déviation de la RTHK de sa propre charte, et que la RTHK devait informer le public sur le fonctionnement de « Un pays, deux systèmes ».

Mise en place d'une commission d'évaluation sous la pression du conseil consultatif

En juillet dernier, le ministère du Commerce et du Développement économique a mis en place une équipe [15] pour évaluer la gestion et le mode d'administration de la RTHK, suivant les observations de l'Autorité des communications, qui ont décelé de la partialité, des inexactitudes et de l'hostilité envers la police.

L'évaluation avait pour objectif de s'assurer que le diffuseur était en conformité avec la charte et les codes de conduite régissant la programmation médiatique, émis par l'Autorité. Charles Mok, le législateur représentant le secteur des technologies de l'information, craint que l'évaluation ne compromette la liberté éditoriale et créative de la chaîne.

L'émission satirique Headliner a reçu un avertissement [16] en mai dernier de la part de l'Autorité des communications. En effet, cette dernière a estimé que des plaintes émises au sujet d'un épisode diffusé en février, soutenant qu'il discréditait et insultait la police, étaient « justifiées ».

L'épisode en question laissait entendre que la police avait plus de matériel de protection à sa disposition que les personnels soignants au début de la pandémie de COVID-19.

Finalement, après 31 ans d'existence, la production de l'émission s'est arrêtée après la diffusion du dernier épisode [17] en juin.

Suspension d'une émission de débats

En avril, le diffuseur a reçu un avertissement de la part de l'Autorité des communications au sujet de son émission de débats Pentaprism, après que des plaintes ont été adressées à l'Autorité, faisant état d'inexactitudes, d'injustice et d'incitation à la haine envers la police [18] dans l'un des épisodes. L'un des invités présents y critiquait la manière dont la police avait géré les troubles survenus près de l'Université Polytechnique de Hong Kong en novembre 2019.

Quatre autres épisodes, dans lesquels des invités avaient fait des commentaires sur les opérations de la police destinées à contenir les manifestations, ont également fait l'objet de plaintes en septembre. RTHK avait décidé de suspendre l'émission début août, avant de recevoir ces avertissements.

Diffusion de l'hymne national tous les matins

Enfin, depuis le 16 novembre 2020, l'hymne national chinois – La Marche des Volontairesest diffusé à 8 h [19] tous les jours, juste avant les bulletins d'informations et ce, sur toutes les stations de radio de la RTHK.

La porte-parole Amen Ng a précisé que selon la charte du diffuseur public, ce dernier devait encourager les citoyens dans leur compréhension du principe « Un pays, Deux systèmes » et cultiver leur identité civique et nationale. Elle a ajouté que ce nouveau dispositif était nécessaire.