Les Moldaves ont élu la première présidente de leur histoire : qui est Maia Sandu ?

Maia Sandu est en train de parler, derrière elle se trouve un fond avec écrit "Maia Sandu présidente"

Maia Sandu, la présidente moldave élue, dans une vidéo de campagne, le 12 novembre. Capture d'écran de la vidéo extraite de la page Facebook de Maia Sandu.

Maia Sandu est sur le point de devenir la première femme présidente de la république de Moldavie après une victoire écrasante aux élections de dimanche.

Selon les premiers chiffres [ro] de la commission électorale centrale de la Moldavie (CEC), Sandu a remporté 57,7 % des voix contre 42,3 % pour le candidat sortant Igor Dodon. Sandu, une ancienne économiste de la Banque mondiale, s'est présentée sur une plateforme anti-corruption, proposant d'attirer des investissements vers l'un des pays les plus pauvres d'Europe, de réformer le système judiciaire et de rendre plus transparent son champ politique truffé de scandales.

C'était leur deuxième duel. Dodon, qui est affilié au Parti socialiste (PSRM), est devenu président en 2016, battant Sandu de peu, avec une avance de seulement 5 %. Dodon, qui affiche ses références pro-Moscou, avait promis une « stabilité » et a fait l'apologie de liens économiques plus étroits avec Moscou. Sandu, qui dirige également le Parti action et solidarité (PAS), est considérée comme plus pro-européenne.

Des observateurs étrangers voient généralement les élections moldaves comme des choix géopolitiques, voire civilisationnels, entre la Russie et l'Europe. Mais pour de nombreux électeurs, la priorité est donnée au volet économique. Dans tous les cas, le pays est profondément lié aux deux puissances – la Moldavie réalise la plupart de ses échanges avec l'UE, avec qui elle a signé un accord d'association en 2014. Pendant ce temps, les soldats russes et l'argent russe garantissent le statu quo en Transnistrie, une république autoproclamée qui occupe une bande de terre sur la rive gauche de la rivière Dniestr.

Des centaines de milliers de Moldaves se dirigent vers l'Est et de plus en plus vers l'Ouest en quête des perspectives économiques que leur pays ne peut pas leur offrir. Dans un pays où le taux de dépopulation est l'un des plus élevés au monde, les citoyens résidant à l'étranger ont une influence démesurée pendant les élections.

Sandu a reçu plus de 948 000 voix, le plus grand nombre de voix jamais enregistré [ru] par un candidat aux élections présidentielles, dans toute l'histoire de la Moldavie. De nombreux électeurs étaient des Moldaves vivant à l'étranger, en particulier dans les pays de l'UE. Les scènes suivantes venant d'un bureau de vote en Allemagne montrent que les émigrés ne sont pas indécis quand il s'agit de la politique de leur pays d'origine :

Voici la file d'attente de Moldaves qui attendent de voter aujourd'hui au second tour des élections présidentielles, dans un bureau de vote en Allemagne. Cela se joue entre le président actuel pro-russe et son adversaire pro-européenne.

[vidéo]
Une vue aérienne de quelques secondes montre une longue file d'attente et une foule dense devant le bureau de vote.

Leur engagement a récemment été galvanisé par l'ampleur de la crise politique que traverse la Moldavie.

En 2014, un milliard de dollars ont été siphonnés de trois banques locales avec la complicité d'hommes politiques influents. Le scandale a exaspéré l'opinion publique et a conduit à la chute de l'ancien Premier ministre Vlad Filat, l'un des hommes les plus puissants du pays. Dès lors, la politique de la Moldavie a été dominée par l'oligarque Vlad Plakhotniouk. Une succession de gouvernements de coalition superficiellement pro-européens dirigés par le Parti démocrate (DPM) de Plakhotniouk a fait face à une opposition composée du Parti pro-russe PSRM et d'un groupe de partis anti-Plakhotniouk, mais pro-européens, dont l'un était dirigé par Sandu. En 2018, l'UE a déclaré la Moldavie comme un État « capturé par les intérêts oligarchiques ».

Après des élections parlementaires peu concluantes au printemps dernier, le régime de Plakhotniouk s'est effondré et il a fui le pays, laissant le PSRM et Sandu former un gouvernement d'union pour la « dé-oligarchisation ». Sandu a occupé le poste de Premier ministre pendant quelques mois, avant que ce gouvernement ne tombe lui aussi en novembre dernier par le biais d'une motion de censure du PSRM et de certains des députés restants du DPM.

Un deuxième mandat pour Dodon aurait pu permettre au PSRM de consolider son influence déjà considérable sur la politique moldave.

Si l'élection de Sandu est un obstacle pour lui, il se pourrait qu'il ne soit pas insurmontable. À quelques exceptions près, telles que la nomination du Premier ministre et l'appel aux référendums nationaux, la présidence moldave est en grande partie une fonction protocolaire. Cependant, c'est un poste important [ru], qui permet au titulaire de donner le ton au débat politique. Si ces actions entrent en conflit avec la politique du gouvernement, le président peut vite devenir un véritable casse-tête pour le gouvernement du moment, comme la coalition dirigée par le DPM l'a découvert après l'élection de Dodon.

« La victoire de Maia Sandu représente une double revanche, pour le gouvernement déchu en 2019 et pour les élections perdues en 2016. La réussite de Sandu ne doit en aucun cas être considérée comme un soutien absolu pour son agenda politique. Un grande partie des électeurs l'apprécient et la soutiennent, elle et le parti qu'elle représente. Mais une plus petite partie a voté contre Igor Dodon et aime d'autres dirigeants que Sandu, comme Renato Usatîi ou Ilan Shor », explique Dionis Cenusa, un politologue et chercheur moldave à l'Institut d'Études Politiques de l'université Justus-Liebig à Giessen. 

« Donc, en un mot, les voix pour Maia Sandu au deuxième tour ne sont pas égales à sa réelle popularité à l'heure actuelle. Cela ne veut pas dire que les choses ne changeront pas si sa présidence obtient de bons résultats », a déclaré Cenusa à Global Voices.

Par conséquent, le soutien de Sandu vient d'un groupe diversifié, qui englobe l'électorat de ses concurrents au premier tour, les politiciens libéraux et de centre droite Andrei Năstase et Dorin Chirtoacă, dont la politique est associée à l'unification de la Moldavie avec son voisin la Roumanie, une position qu'une majorité d'électeurs pro-russes exècrent. 

Cette fois-ci, ils ont été rejoints par un allié inattendu. Renato Usatîi, le maire de la deuxième plus grande ville de Moldavie, Bălți, a recueilli 10 % des voix au premier tour. Usatîi dirige Notre Parti, un groupe d'opposition populiste pro-russe, dont la base chevauche quelque peu l'électorat de Dodon. Mais quand Usatîi n'a pas réussi à passer au second tour, il a appelé ses partisans à voter « contre Dodon ».

En plus de la menace imminente du Covid-19, la participation d'Usatîi a fortement distingué ce scrutin de l'élection présidentielle de 2016. Pourtant, beaucoup d'éléments sont restés inchangés, en particulier les sujets abordés par les candidats.

Chacune des deux campagnes accuse l'autre de corruption [ru]. Un politicien influent du PSRM, Bogdan Tîrdea, a avancé [ru] que les alliés de Sandu et les principaux médias indépendants seraient des agents du philanthrope milliardaire George Soros, pendant que la campagne de Sandu se focalisait sur une réunion entre Dodon et Plakhotniouk, discrètement enregistrée en juin 2019.

Les supports de campagne de Dodon [ru] ont suscité de réelles inquiétudes parmi les électeurs moldaves au sujet de « l'optimisation », le rétrécissement du secteur étatique préconisé par le style politique de Sandu. Cependant, le ton dominant était celui d'une guerre culturelle : des dépliants suggéraient que l'élection de Sandu conduirait à un déclassement de la langue russe en Moldavie, à l'interdiction des célébrations publiques de la défaite de l'Allemagne nazie par l'Union soviétique, et à un affaiblissement des valeurs chrétiennes orthodoxes en légalisant le mariage pour tous. Ils ont proclamé : « La Moldavie a quelque chose à perdre ! »

Cela a poussé Sandu à publier une vidéo en russe sur Facebook [ru] le 12 novembre, dans laquelle elle dément chacune de ces accusations.

Dodon a affirmé qu'une fraude électorale de grande ampleur aurait eu lieu [ru], mais a accepté les résultats des élections. Désormais, il n'a plus le choix : le 16 novembre, le président russe Vladimir Poutine a félicité Sandu pour sa victoire aux élections.

Récemment, dans des interviews avec des médias russes, tels que TV Rain [ru], Sandu a réitéré son souhait de conserver des liens forts avec la Russie, tout en donnant un nouveau souffle à l'accord d'association de 2014 avec l'UE. Elle a déclaré que sa priorité vis-à-vis de Moscou était de rétablir les exports moldaves en Russie, qui ont été ralentis en raison des mauvaises relations entre les deux pays ces dernières années.

Vladimir Soloviev, un ancien correspondant moldave du quotidien russe Kommersant, a écrit pour Carnegie Moscou [ru] que le Kremlin pourrait même trouver un terrain d'entente avec Sandu. Le journaliste suggère que la Russie s'est probablement reposée sur ses lauriers ces dernières années, se contentant de croiser les bras alors que les gouvernements pro-européens impopulaires successifs ont nui à la crédibilité de l'UE auprès des Moldaves ordinaires. Mais il note que, alors que Moscou investissait ses espoirs dans un politicien, Bruxelles s'était lancé dans un programme plus vaste pour regagner la confiance, réparer les routes et reconstruire les écoles. Et malgré l'aide apparente des conseillers en communication du Kremlin pour appuyer la campagne de Dodon, un appel vague contre le changement n'a pas été suffisant pour attirer les électeurs.

Le symbolisme de la victoire de Sandu n'est pas banal, d'autant plus qu'elle a dû faire face à un langage sexiste [ro], à des tentatives de répandre des mensonges [ru] sur sa vie personnelle [ru], et à des critiques de la part de personnalités religieuses [ru] au sujet de son célibat en tant que quarantenaire. On peut espérer que la première femme présidente de Moldavie arrive à insuffler une nouvelle dynamique en matière d'égalité dans la vie publique, ce que le symbolisme du poste lui permettra certainement.

Fondamentalement, ce rôle autorisera Sandu à convoquer des élections parlementaires anticipées, ce qu'elle a déjà déclaré comme étant une priorité. Les enjeux seront alors encore plus importants.

Pour en savoir plus, n'hésitez pas à consulter notre dossier spécial « Moldavie : dans l'attente du prochain faiseur de roi ? »

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