
Capture d'écran d'un reportage de Samaa TV. L'homme de 28 ans a reconnu le meurtre de 3 hommes homosexuels lors d'une interview accordée à Samaa TV le 26 avril 2013.
L’article d'origine a été publié en anglais le 3 mai 2014.
Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages web en anglais.
L’arrestation fin avril 2014 d’un secouriste de 28 ans, père de deux enfants, n'a rien fait pour apaiser les craintes des communautés LGBT pakistanaises : l’homme est accusé d’avoir drogué et assassiné trois homosexuels à Lahore après avoir pris contact avec eux sur un réseau social.
Après son arrestation, l’homme a avoué avoir commis ces crimes pour dénoncer les fléaux de la pédophilie et des rapports sexuels entre personnes du même sexe. Certains activistes craignent qu’il ne soit acclamé en héros « anti-LGBT ».
Il est compliqué d’être homosexuel au Pakistan. L’homosexualité y est contraire à la loi [fr], et même si le gouvernement ne cible pas ouvertement les homosexuels et les condamne rarement aux lourdes peines prévues par la loi, les homosexuels sortis du placard sont très peu tolérés.
Dans ce pays où la population est majoritairement musulmane, les homosexuels, hommes et femmes, sont socialement stigmatisés, et font face à la désapprobation et aux discriminations dans de nombreuses situations. Certains membres de la communauté LGBT assument leur identité et se battent pour que leurs droits soient reconnus au Pakistan. Mais beaucoup d’hommes préfèrent vivre cachés : ils veulent une femme, des enfants, et le respect sociétal [associé à ce statut matrimonial], tout en s’adonnant, en toute discrétion, à des pratiques homosexuelles de façon occasionnelle.
Le meurtrier présumé est passé par Manjam, l'autoproclamé « réseau social gay », pour entrer en contact avec ses victimes. C’est ce qu’il a confié lors d’une interview de 20 minutes [ur] accordée au média en langue ourdou Samaa TV, depuis la prison où il est incarcéré. Samaa TV s’est par la suite attiré les foudres d’activistes en ligne, qui l’accusent d’avoir offert une tribune au meurtrier présumé. Le site est interdit au Pakistan et a annoncé qu’il serait fermé aux non-membres au Pakistan jusqu’à nouvel ordre.
L’homme a avoué ses meurtres pendant l’interview. Il a aussi raconté avoir été piégé et violé par un élève plus âgé quand il était en classe de CM2 [cinquième année de primaire]. Il a affirmé avoir dénoncé les faits à la police et à son école, mais le violeur n’a jamais été inquiété parce qu’il venait d’une famille puissante.
Voici des extraits traduits de l’interview [ur] en langue ourdou :
« J’ai une bonne raison : le mal qui se répand dans notre société à cause de ces gens qui se sont détournés du droit chemin et qui ruinent la vie d’autres personnes. Ils ne sont pas gay par nécessité. Le sexe entre homosexuels n’est qu’une distraction pour eux. Ils considèrent cela comme une activité sportive. » [04:13-31]
Le reporter : « Vous ne vous en êtes pas voulu d’avoir tué un être humain ? »
L’accusé : « Non, j’ai nettoyé la merde […] Mais je me sens mal pour ses proches […] Ma méthode n’était pas la bonne […] » [08:00-45]
« L’homosexualité entraîne beaucoup d’injustices dans notre société. Une personne le fait avec une autre, l’y habitue, et ce dernier force [à son tour] quelqu’un d'autre à le faire avec lui. » [13:35-49]
« Je ne pense pas que ces personnes soient de la merde. Je pense que leur habitudes le sont […]. » [14:45-54]
En réponse à cette confession sur Samaa TV, le défenseur pakistanais des droits LGBT Hadi Hossain a publié une lettre ouverte sur Scroll.in, dans laquelle il affirme que l’affaire a de façon inattendue brisé le silence du Pakistan sur l’homosexualité :
I want to respond to some things you said on that show. That is important for me because I am part of the “kachra” (garbage), the word you used to describe gay men.
[…]
You thought that your actions would instill fear of death in us. Community members initially panicked. Some existing online forums and groups were deleted. But you forgot our undying resilience which has motivated us since childhood. We have been bullied, abused, kicked, mocked, shoved, taunted, punished, violated. All our lives, we have been told by the zealots of this hetero-normative society that we need to change, or live in shame for being who we are, live in constant fear of being discovered and to remain guilty of what we do. What we have faced has been more fearful than death.
Je souhaite répondre à certaines choses que tu as dites dans cette émission. C’est important pour moi car je fais partie de la «kachras» (les ordures), le mot que tu as employé pour désigner les homosexuels.
[…]
Tu as cru que tes actions susciteraient la peur de la mort en nous. Des membres de notre communauté ont paniqué dans un premier temps. Certains groupes et forums en ligne ont été supprimés. Mais tu as sans doute oublié la ténacité sans faille qui nous habite depuis l’enfance. Nous avons subi brutalité, maltraitance, coups de pied, moqueries, bousculades, railleries, punitions, viols. Toute notre vie, les fanatiques de cette société hétéronormative nous ont dit qu’on devait changer ou vivre dans la honte de ce que nous étions, vivre dans une peur constante d’être découverts et toujours se sentir coupables de nos actes. Ce à quoi nous avons été confrontés est plus effrayant que la mort.
Un blogueur anonyme sur Pious Sluts a accusé Samaa TV d’avoir érigé le meurtrier présumé en héros religieux dans leur émission :
Have you ever wondered that the guy who killed three other guys is a monster? What’s worst that you made a patient of necrophilia a hero! Wow! I must laud your efforts for actually shifting the blame onto victims. Isn’t it what this society told you? Like we have our national leaders and Islamist barons demanding that if a raped woman cannot bring 4 male eye-witnesses she must keep her silence or die!
Vous ne vous êtes jamais dit que cet homme qui a tué trois autres hommes est un monstre ? Qu’y a-t-il de pire que le fait que vous ayez fait d’un amateur de nécrophilie un héros ? Ouah ! Je devrais vous féliciter car vous avez réussi à rejeter la faute sur les victimes. Ne serait-ce pas ce que cette société vous a enseigné ? Tout comme nos dirigeants nationaux et barons islamistes exigent qu’une femme violée dans l’impossibilité de présenter 4 hommes comme témoins oculaires garde le silence ou meure !
On s’interroge souvent sur le rôle que jouent les médias pakistanais dans le débat sur les droits des personnes homosexuelles. Le reporter d’une chaîne d’information a débarqué chez un couple il y a quelques mois, a accusé l’homme d’avoir eu une relation homosexuelle et les a remis à la police en demandant que les lois contre l'homosexualité soient durcies. Le reporter de Samaa TV, en revanche, n’a pas émis de jugements sur l’homosexualité pendant son interview avec le meurtrier présumé.
Sur Twitter, la réalisatrice Sana Haq observe l’impact de l’affaire :
Le Pakistan n’est pas prêt pour cette conversation, mais cela s’impose à nous ici sous la forme de trois homosexuels morts.
— Sana Haq (@sanaattiqhaq) 29 Avril 2014
Le Pakistan n’est pas prêt pour cette conversation, mais cela s’impose à nous ici sous la forme de trois hommes gay morts.