Moyen-Orient : les mots par-delà les murs des prisons

Une cellule de prison vue à travers les barreaux. Elle est vide, hormis un lit de fortune.

Image par Ohergo/Pixabay

[Sauf mention contraire, tous les liens de ce billet renvoient vers des pages web en anglais.]

Cet article a été écrit par Khalid Ibrahim, directeur exécutif du Centre pour la protection des droits humains dans le Golfe (GCHR), une association indépendante à but non lucratif promouvant la liberté d’expression, d’association et de rassemblement pacifique dans la région MENA [fr].

Les militant·es des droits civils et humains n’ont que leurs mots pour défendre les droits de leurs concitoyen·nes. Leurs ennemis, en revanche, ont à leur disposition tout un arsenal d’armes conventionnelles, dont la prison, dans leurs tentatives pour mettre fin aux activités pacifiques visant à établir un avenir pour tous prospère.

Mais même entre les quatre murs d’une cellule ces militant·es n’abandonnent pas. « Le combat ne s’arrête pas à la porte de la prison », déclare le défenseur bahreïni des droits humains Abdulhadi Al-Khawaja [fr], qui a fait depuis 2012 six grèves de la faim, réclamant pour lui et les autres prisonniers d’opinion l’exercice de leurs droits. Il purgeait alors une peine à perpétuité pour ses activités non-violentes en faveur des droits humains.

Ses paroles ont inspiré à Amnesty Westminster Bayswater et au GCHR une rencontre en ligne en anglais, arabe et perse, intitulée le Prisonnier et la plume, qui a eu lieu le 22 octobre 2020. Sont partagés ici quelques réflexions et sentiments exprimés par les participant·es et les défenseur·es des droits de la personne actuellement derrière les barreaux.

Dans son poème Lettre à mon père, la militante Maryam Al-Khawaja [fr], décrit en quelques vers l’explosion de douleur qui consume le cœur des familles des prisonniers d’opinion :

How do I tell you

That there are days I long to be a child again

To live in a world I thought I understood
In a world I felt safe

Because you and mama were my superheroes

Comment te raconter
Les jours où je rêve de redevenir une enfant
Vivre dans un monde que je croyais comprendre
Un monde où je me sentais en sécurité
Parce que vous étiez mes super-héros, Maman et toi

Déçue de n’avoir pas réalisé son rêve d’un monde juste et libre, elle ajoute dans une autre strophe :

Baba you’ve been in their prison for 9 years

And to understand me,

I need to tell you about the world

The dreams we had

The dreams we fought for

The price you paid so your daughters could grow up in a better world

Did not go as we hoped

Papa, cela fait 9 ans qu’ils t'ont enfermé,
Et pour me comprendre,
Je dois te raconter le monde
Les rêves que nous avions
Nos combats pour les réaliser,
Le prix que tu as payé pour que tes filles puissent grandir dans un monde meilleur
N’était pas celui escompté

Puis elle évoque avec force et simplicité le soutien reçu par les gouvernements répressifs, ainsi que la souffrance rencontrée par les militant·es en quête d’un refuge :

And the suffering of the immigrant activists

We live in the same world

Where the West talks about human rights

Then props up those who violate them

In the name of creating jobs and economics

Then rears its ugly head

To those who dare seek refuge from the prop ups

To punish them for existing 

Et la souffrance des militant·es immigré·es
Nous vivons dans le même monde,
Où l’Occident parle des droits humains
Puis soutient ceux qui les bafouent
Au nom de l’économie et de la création d’emplois
Et se fait ensuite menaçant
Envers les personnes qui osent vouloir échapper aux régimes ainsi soutenus
Pour les punir d’exister

Poète rêveur, Ahmed Mansoor épand l’amour autour de lui comme une douce ondée : « De mes mains je ferai un soleil que j’accrocherai pour toi au balcon de mon cœur », déclare-t-il. Ce poète émirati a publié en 2017 Par-delà l’échec, son premier recueil de poèmes, dont un extrait intitulé Excès de flammes évoque le temps et la douleur :

Time does not bore my wound anymore

For I have no wound and there is no such a thing as time and no consolation

Le temps ne supporte plus ma plaie
Car je n’ai nulle blessure, et le temps n’existe pas, non plus que le réconfort

Razan Zaitouneh [fr], militante et avocate des droits humains, a choisi de vivre en Syrie parmi les siens, de partager leurs souffrances et de les aider. Malgré toutes les propositions occidentales de l'accueillir, elle n’avait pas tenté d’émigrer pour échapper aux graves menaces à son encontre avant son enlèvement [enlevée en 2013, elle n’est jamais réapparue, ndt]. Elle a vécu tout le siège de la Ghouta depuis la campagne entourant Damas. Le 18 novembre 2013, elle écrivait un article intitulé Carnets du siège… La résistance est consumée par l’attente [ar], dans lequel se trouvent ces mots :

« C’était mon destin de vivre ce siège en compagnie d'une amie ayant passé de nombreuses années en détention. Pas un jour ne s’écoule sans qu’elle ne compare ce siège à une prison, expliquant qu’à de nombreux égards les deux sont très similaires. »

Dr. Hala Al-Dosari, éminente militante féministe [fr], lit une lettre écrite par Nouf Abdulaziz [fr] et publiée après son arrestation le 6 juin 2018. Elle contient le paragraphe suivant, qui explique la tragédie vécue par les militant·es et défenseur·es des droits humains lorsqu’ils et elles sont traité·es comme des ennemi·es en raison de leur engagement pacifique :

« Bonjour, je m’appelle Nouf. Je ne suis pas une provocatrice, ni incitatrice ni destructrice, et ne suis pas non plus criminelle, traître ou terroriste. Je suis la fille d’une mère exceptionnelle qui, je pense, souffre à cause de moi, et la fille d’une famille honnête et estimée que mon sort afflige profondément. Je suis une étudiante de troisième cycle qui n’a jamais eu l’occasion de finir ses études. Je me décris généralement en quelques mots : une écrivaine, accro à la lecture depuis mes six ans, intelligente selon mon père ; je suis une fille tranquille, abstraction faite des questions qui m’assaillent. »

« Afin d’abréger cette présentation ridicule, je vais m’adresser à vous et partager quelques-unes de ces interrogations qui tempêtent sous mon crâne : pourquoi notre pays natal est-il si petit et étroit ? Et pourquoi suis-je considérée comme une criminelle ou une ennemie qui le met en péril ?! »

Nassima Al-Sada [fr] est une éminente défenseure des droits humains originaire d’Arabie Saoudite, arrêtée le 30 juillet 2018. Elle a écrit nombre d’articles en faveur des droits civils et politiques, dont ceux des femmes, défendant par exemple le droit de conduire une voiture. Elle évoque dans cet extrait de Rêves de 2014 touchant à l’amélioration du sort des Saoudiennes [ar] ceux qu’elle n’a pas réalisés :

« Le chemin est encore long avant d’obtenir les droits humains restants, qui sont définis comme indivisibles et inaliénables. Pour protéger ceux et celles qui en usent, des dispositifs et des procédures doivent être couchés sur le papier, ainsi qu'une structure institutionnelle efficace créée afin de superviser, contrôler et protéger leur mise en application. »

Pour terminer, voici un extrait du poème À ma mère écrit par le poète palestinien Mahmoud Darwish [fr].

I yearn for my mother's bread,
My mother's coffee,
Mother's brushing touch.
Childhood is raised in me,
Day upon day in me.
And I so cherish life
Because if I died
My mother's tears would shame me.

J’aspire au pain de ma mère,
Au café de ma mère,
À ses doigts qui m’effleurent.
L’enfance s’élève en moi,
Jour après jour en moi.
Et ainsi je chéris la vie,
Car si je mourais,
Les larmes de ma mère me couvriraient de honte.

Le manque engendré par l’absence de nos confrères et consœurs emprisonné·es ne s’estompe pas, mais croît jour après jour et nourrit notre rêve de transformer nos pays en nations dirigées d’après les principes de justice, de liberté, d’égalité et de dignité humaine.

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