Les réactions des manifestants au lendemain d'un rassemblement réprimé avec canons à eau et gaz lacrymogènes à Bangkok

Des centaines de personnes dans les rues contre les violences policières à Bangkok..

Des centaines de personnes rassemblées à Ratchaprasong à Bangkok pour protester contre les violences policières commises pour disperser les mouvements pro-démocratiques. Photo prise par Prachatai, utilisée avec permission.

La version originale de cet article a été publiée le 20 novembre 2020 par Prachatai, un site d'information thaïlandais indépendant. Une version remaniée est publiée par Global Voices dans le cadre d'un accord de partage de contenu. 

Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages web en anglais.

Le 18 novembre, des centaines de personnes se sont rassemblées à Ratchaprasong dans le centre de Bangkok pour protester contre l'usage de la force par les autorités sur des manifestants la veille. Ils avaient également pour motivation de dénoncer un vote parlementaire visant à rejeter un projet d'amendement constitutionnel proposé par le groupe de la société civile iLaw, et soutenu par plus de 90 000 électeurs.

Seuls deux projets d'amendement sur sept ont été adoptés en première lecture : celui proposé par la coalition gouvernementale et l'un de ceux proposés par l'opposition, qui concernent tous deux l'Article 256 autorisant la création d'une Assemblée de rédaction de la Constitution.

[Une des revendications de cette manifestation est la réécriture de la constitution rédigée par l'armée qui garantit un contrôle militaire sur l'administration. Le Parlement a accepté, en première lecture, la proposition d'établir une Assemblée de rédaction de la Constitution, mais a rejeté d'autres amendements, tels que le retrait du mandat du Sénat lui permettant d'élire le Premier ministre et la délégitimisation des ordres du gouvernement soutenu par l'armée après le coup d'État de 2014.]

Prachatai a discuté avec quelques manifestants présents à Ratchaprasong : la majorité d'entre eux ont expliqué leur volonté de voir le pays changer en mieux.

Portrait du manifestant Nugul Ratiyapinun, un homme d'âge mû qui porte une casquette et un sac à dos sur le torse.

Nugul Ratiyapinun a pris part à la manifestation pour montrer son soutien à la revendication d'amender la Constitution, de sorte à opérer des réformes pour une gouvernance plus démocratique. Photo prise par Prachatai, utilisée avec permission.

Nugul Ratiyapinun était présent lors de la manifestation du 17 novembre, qui s'est tenue près du Parlement. Il a respiré des gaz lacrymogènes mais est quand même venu à la manifestation à Ratchaprasong le lendemain.

I want to see the people accept change in the country. Most of the people must live with the reality that the world has changed now in terms of economics and communications. Thailand should adapt too. The constitution should truly grant the rights and freedoms of the people, [as a full-fledged democracy, not a half-fledged one as it currently is.

Je veux voir le peuple thaïlandais accepter le changement. La majorité de la population doit se confronter à la réalité : le monde a changé en matière d'économie et de communication. La Thaïlande devrait aussi pouvoir s'adapter. La constitution devrait véritablement accorder des droits et des libertés au peuple, [en tant que démocratie à part entière, et non à moitié comme c'est le cas actuellement.]

Il a expliqué que la nomination de 250 sénateurs par une commission nommée par la junte, ainsi que la règle prévoyant qu'un tiers d'entre eux doit approuver la première lecture des amendements, ont prouvé que la minorité a plus de pouvoirs que la majorité, d'où son impression que la démocratie thaïlandaise n'existe pas.

Trois jeunes manifestants font le salut à trois doigts dans une rue de Bangkokg. Tous portent des masques de protection faciale.

De jeunes manifestants, qui se désignent eux-mêmes comme “le groupe des jeunes des montagnes pour la démocratie”. Photo prise par Prachatai, utilisée avec permission.

Un groupe de trois hommes qui se désignent eux-mêmes comme “les jeunes des montagnes pour la démocratie” était également à la manifestation. Ils ont déclaré venir d'une communauté ethnique Pga K'nyau (aussi connue sous le nom de Karen) située dans la Province de Tak, et vouloir assister à davantage de changements. En effet, les conditions de vie au sein de leur communauté témoignent d'un grave sous-développement.

We came to protest. We would like a new prime minister, because Prayut didn’t come into office legitimately. He recruited the 250 senators himself, he chose them himself, and then the senators elected him as prime minister.

Nous sommes venus manifester. Nous souhaiterions un nouveau Premier ministre, car Prayut n'a pas accédé à son poste de manière légitime. Il a recruté 250 sénateurs lui-même, il les a choisis tout seul, et ensuite ils l'ont élu Premier ministre.

Un autre membre du groupe a expliqué qu'il étudie à l'université de Ramkhamhaeng et suivait le débat parlementaire sur les projets d'amendements de la constitution. Il a expliqué être en colère au sujet du rejet par le Parlement d'un projet soutenu par le peuple, et révolté par l'utilisation de la violence contre des manifestants le 18 novembre, c'est pourquoi il a décidé de participer à la manifestation de Ratchaprasong.

Des manifestants au rassemblement. Photo prise par Prachatai, utilisée avec permission.

P., âgée de 15 ans, se tenait face au quartier général de la police et criait avec les manifestants contre les gardiens de la paix. Elle n'était pas présente le 17 novembre, mais elle a déclaré être en colère à propos de l'usage de la force par les autorités contre les manifestants ce jour-là.

I was very angry that they did this. We are the owners of the country. This country is not their country as they say, but what they are doing is a great insult to us. We are out here to demand our rights in proposing constitutional amendments.

But look at what they did to us. Water cannon. Loudspeaker trucks. Batons. Shields. Personally, I think it’s not fair. If you want to be democratic, but you have no justice, then you shouldn’t call yourself democratic, but we’re a dictatorship right now.

Right now I’m in Mathayom 4 (Year 10). In 6 years, I will finish 4th year (of university). I have to find a job. If he stays for another 2-3 years, that has to have an effect until when I’m working. I will not accept a life without getting what I should get. The tax I pay is not what I deserve. I feel that I have to come out to demand my rights. My friends, my younger siblings, or my children in the future should have a better life than this.

J'étais vraiment très énervée qu'ils aient fait ça. Nous sommes les propriétaires de ce pays, pas eux comme ils le prétendent. Ce qu'ils font est une immense insulte à notre égard. Nous sommes dans les rues pour revendiquer nos droits en proposant des amendements constitutionnels.

Mais regardez ce qu'ils nous ont fait : canons à eau, camions à haut-parleurs, matraques, boucliers. Personnellement, je trouve que ce n'est pas juste. Si vous voulez être démocratique mais que vous n'avez pas de justice, alors vous ne devriez pas vous considérer comme démocratique. Actuellement, nous sommes une dictature.

Je suis en troisième (Mathayom 4). Dans six ans, je finirai ma quatrième année (à l'université). Je devrai trouver un travail. S'il reste encore deux-trois ans au pouvoir, ça aura un impact jusqu'à ce que je commence à travailler. Je n'accepterai pas une vie dans laquelle je n'obtiens pas ce qui me revient de droit. Les impôts que je paie ne sont pas à la hauteur de ce que je mérite. Je sens qu'il est de mon devoir de descendre dans la rue pour revendiquer mes droits. Mes amis, mes petits frères et sœurs, ou mes futurs enfants doivent avoir une meilleure vie que celle-ci.

Puisqu'elle n'a pas encore 18 ans, P. est trop jeune pour signer et soutenir les amendements constitutionnels proposés par iLaw. En revanche, elle affirme que la constitution actuelle n'est pas juste et qu'elle a été écrite en faveur des détenteurs du pouvoir, et non pour le bien du peuple.

P. nous a demandé de garder l'anonymat car elle ne peut pas dire aux membres de sa famille, sauf à son père, qu'elle prend part à la manifestation.

My father said that, in the end, the person who has to make a life is me, not him, so it is my right to come out or not to come out to call for my rights.

Mon père m'a dit qu'au final, c'est moi qui dois faire ma vie, pas lui, donc que si je le désire, je peux descendre dans la rue ou non pour me battre pour mes droits.

P. nous a également confié qu'elle avait essayé d'expliquer à sa mère, inquiète pour sa sécurité, qu'elle bénéficierait de ces amendements constitutionnels et qu'elle aurait une meilleure vie. Cette dernière essaie d'être compréhensive et soutient le mouvement pro-démocratique mais ne voit pas d'un bon œil le fait de participer aux manifestations.

Yesterday, she saw violence, so I tried to explain to her that we weren’t violent. The other side was violent. She said that in any event it’s violent and that if I go, it’s still dangerous. She’s okay with me supporting this side, but she’s just not okay with going to protests.

Hier, elle a vu de la violence, donc j'ai essayé de lui expliquer que ce n'était pas les manifestants étaient violents, mais les opposants à notre mouvement. Elle a répliqué que dans tous les cas, il y a de la violence, et que si j'y vais, c'est dangereux. Elle est d'accord avec le fait que je soutienne ce mouvement, elle est juste contre le fait que je participe aux manifestations.

Dans le même temps, des défenseurs des droits et du bien-être des enfants ont été aperçus devant le centre commercial Central World, où ils formaient un groupe dénommé “les enfants dans la foule”. Leur objectif était de diffuser des informations relatives aux droits des enfants, des statistiques sur ces derniers ainsi que les jeunes affectés par la répression des manifestations, et sur la manière de prendre soin des adolescents actifs dans le mouvement.

Ruangthap Kaeokaemchan, une membre de ce groupe, a expliqué que leurs actions étaient destinées à informer les manifestants de la présence de lieux sûrs où les jeunes peuvent bénéficier de premiers soins lors des manifestations, et visaient également à communiquer des manières de les protéger en cas de répression.

Elle a ajouté que les jeunes disposaient du droit à l'expression politique. Ils devraient être protégés dès le moment où ils arrivent à la manifestation et jusqu'à leur retour chez eux. Contrairement à d'autres pays, les manifestations en Thaïlande n'ont jamais été assez sécurisées pour que les enfants y prennent part. Les autorités ne devraient en aucun cas répondre par la violence à un mouvement pacifique.

We are not saying that we invite the children to protests. But we are saying what you should have in mind when you come to a protest. And safety is an important thing to be aware of. Parents or the leading figures must also be aware. But the venues of protests in Thailand have never been made safe at all.

Nous ne prétendons pas inviter les enfants à manifester, mais nous expliquons ce que vous devriez avoir en tête lorsque vous venez manifester. La sécurité est une chose importante. Les parents et les personnalités d'envergure doivent aussi en être conscients. Cependant, les lieux de manifestations en Thaïlande n'ont jamais été sécurisés.

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