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Le Pakistan envisage de durcir les peines pour viol, avec notamment l'introduction de la castration chimique

Catégories: Asie du Sud, Pakistan, Développement, Droit, Droits humains, Femmes et genre, Liberté d'expression, Littérature, Médias citoyens
L'image montre un plan arreté d'une vidéo. On y voit des jeunes femmes positionnées, toutes masquées. Elles évoluent en rythme, dans la rue, en journée et au soleil. En bas de l'image, on voit une inscription en urdu et en anglais, sur un léger transparent noir : « Hear you, it's rape! » (Entendez-vous, c'est un viol !). En haut sur la droite de l'image, on voit une bulle bleue dans laquelle il y a un poing levé et, à côté, des caractères en urdu. Tout autour de ce groupe de femmes, on distingue des immeubles. [1]

Des femmes pakistanaises interprètent la chanson Aur Woh Rapist Ho Tum (« Le violeur, c'est toi »). Extrait d'une vidéo YouTube de la chaîne de la Marche des femmes (Aurat March [1]).

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages en anglais, ndlt.]

Le gouvernement pakistanais a adopté de principe [2], le 24 novembre, des lois plus musclées contre les agressions sexuelles, prévoyant notamment la castration chimique pour les récidivistes.

Ces lois, désignées sous le nom d'Ordonnance de 2020 relative à la lutte contre le viol (enquête et procès) et d'Ordonnance de 2020 relative au Code pénal (amendement), ont été validées par le cabinet fédéral pakistanais et sont en attente de ratification par le président Arif Alvi.

Cette série d'ordonnances est d'une grande envergure et aborde plusieurs aspects de la procédure pénale, notamment le rôle des femmes au sein de la police, les mesures visant à accélérer le jugement des affaires de viol, la protection des survivantes et des témoins, et la création d'une base de données nationale sur les délinquants sexuels [3].

L'un des points forts de cette législation est l'élargissement de la définition légale du viol. Actuellement, le code pénal pakistanais [4] définit le viol comme le fait pour une « femme de moins de 15 ans d'avoir des relations sexuelles, avec ou sans consentement ». L'amendement élargira cette définition pour y inclure les femmes de tous âges et les hommes de moins de 18 ans, et y intégrera les mentions « transgenre » et « viol en réunion ».

Le test de virginité à deux doigts, très utilisé au Pakistan lors des examens médico-légaux, destinés à déterminer si un viol a eu lieu, sera également interdit par les nouvelles lois.

La modification de la législation fait suite à trois années de protestations massives contre les violences sexistes, déclenchées par des affaires de viols très médiatisées, comme le viol et le meurtre d'une fillette de sept ans [5] près de Lahore en 2018, et le viol d'une mère de deux enfants [6] en septembre de cette année, après que sa voiture est tombée en panne sur une autoroute.

Les nouvelles dispositions législatives préconisent la peine capitale par pendaison et un alourdissement des peines de prison pour les personnes condamnées pour viol. Cependant la question la plus controversée reste le recours à la castration chimique [9] pour les délinquants sexuels, laquelle ne sera pratiquée qu'avec leur consentement.

Sur ce dernier point, les réactions au Pakistan ont été contrastées.

Les défenseurs des droits des femmes et des enfants, tout comme les chefs religieux, ont dénoncé [10] le recours à la castration chimique. Nabila Feroz Bhatti, cadre au sein du Mouvement des droits de l'enfant au Pendjab, a déclaré à l'agence de presse Union des médias catholiques d'Asie :

Conviction is required before implementation of the punishment. We need to strengthen the systems like police investigation, medical process and judiciary. Our problem is not of punishment but of conviction. At least 97 percent of rape accused in the country never get convicted because of the flaws in the system.

Il faut une condamnation avant l'application de la peine. Nous devons renforcer les systèmes tels que l'enquête policière, le processus médical et le système judiciaire. Notre problème n'est pas de punir mais de condamner. Au moins 97 % des personnes accusées de viol dans le pays ne sont jamais sanctionnées, en raison des failles du système.

Maheen Agha, utilisatrice de Twitter, a dit approuver la castration chimique comme forme de punition infligée aux violeurs :

La sanction de la castration chimique des violeurs a été entérinée par le cabinet fédéral du Pakistan et le Premier ministre. Cette décision est une avancée considérable. Croisons les doigts pour qu'elle soit mise en œuvre.
— Maheen Agha (@Lady_Says11) November 24, 2020

Zarrar Khuhro, journaliste, a médité sur la question :

Le débat autour de la castration chimique est toujours d'actualité à l'échelle mondiale, et est effectivement pratiqué dans certains pays et certains États américains. Personne ne dit que c'est une panacée et des mesures holistiques sont bien entendu nécessaires en la matière. Cependant, je pense que cette ordonnance (je souhaiterais qu'elle soit promulguée par le Parlement) est globalement positive.
— Zarrar Khuhro (@ZarrarKhuhro) November 25, 2020

Reema Omer, conseillère juridique de la Commission internationale des juristes, s'oppose [16] à la mise en œuvre de ce type de sanction exemplaire. Elle a tweeté :

Malheureusement, le gouvernement passe à l'action en « punissant » les délinquants sexuels récidivistes au moyen de la castration chimique

Outre les préoccupations en matière de droits [de la personne], cela montre une totale incompréhension de ce qu'implique la castration chimique et assimile le viol – avant tout un crime de pouvoir – à un crime de luxure.
— Reema Omer (@reema_omer) November 24, 2020

Dans un article d'opinion paru dans le journal pakistanais The Nation, l'ingénieure Rabia Aslam a également fait part [19] de ses inquiétudes à propos de la castration chimique :

A person who rapes is called a rapist because of his imbalanced hormones and frustration. If he goes through chemical castration, he would probably hate women, even more, considering the gender as the cause of his shame. Ultimately, the rapist can even murder a woman. The chronological order of transforming a rapist into a murderer could become a pattern.

Une personne qui viole est qualifiée de violeur du fait de son déséquilibre hormonal et de sa frustration. S'il subissait une castration chimique, il haïrait probablement les femmes encore plus, estimant qu'elles sont la cause de sa honte. Au final, le violeur peut même assassiner une femme. Ainsi, la transformation progressive d'un violeur en meurtrier pourrait constituer un schéma récurrent.