- Global Voices en Français - https://fr.globalvoices.org -

Un piratage d'Anonymous révèle des données confidentielles sur le décompte des cas de COVID-19 au Nicaragua

Catégories: Nicaragua, Censure, Cyber-activisme, Gouvernance, Médias citoyens, COVID-19, Advox
Masque d'Anonymous de profil sur fond noir avec des codes numériques qui flottent de partout.

Photo : Max Pixel [1], sous licence CC0 Public Domain [2].

L’article d'origine [3] a été publié en anglais le 31 août 2020.

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages en espagnol, ndlt.]

Le 17 août, le collectif hacktiviste Anonymous [4] [fr] a accédé aux archives du ministère de la Santé du Nicaragua. 400 dossiers [5], auparavant inconnus du public, ont révélé un excédent de 6 245 cas positifs de COVID-19 au Nicaragua. L’annonce [6] [en] a été faite sur Twitter par Lorian Syrano, qui se réclame d’Anonymous.

Les Nicaraguayen·ne·s ont réagi avec enthousiasme au piratage, via le hashtag #OpNicaragua [7] sur Twitter. Depuis le début de la pandémie, les autorités nicaraguayennes ont été pointées du doigt pour leur manque de transparence [8] [fr] à propos des données du COVID-19 et leur refus [9] [fr] d'adopter des mesures de confinement.

Anonymous a révélé  [10]qu'en mai, le nombre connu de tests positifs pour le COVID-19 était 98,80 % plus élevé que celui communiqué officiellement par le ministère : 1 332 cas, au lieu de 16. Et ça ne s'est pas arrêté là. Au 24 juillet, il s'avère qu’un total de 6 245 cas positifs n’ont pas été déclarés publiquement.

Il semble également que le taux de cas positifs pour chaque test de dépistage soit l'un des plus élevés [11] au monde, avec près de 56 % [10] des tests revenant positifs. L'ancien directeur de l'épidémiologie du ministère de la Santé, Álvaro Ramírez, a expliqué dans une interview [12] pour Confidencial que cela était dû au fait que les tests étaient principalement effectués sur des personnes hospitalisées ou celles présentant des symptômes.

Les soupçons sur l'exactitude des données officielles du COVID-19 étaient déjà présents avant la fuite d'informations. Par exemple, un observatoire citoyen bénévole composé d'experts médicaux, de chercheurs, d'ingénieurs, d'informaticiens et de communicants, a rapporté [13] que le nombre de décès liés au COVID-19 était près de vingt fois supérieur aux données partagées [14] par le ministère de la Santé.

D'après Álvaro Ramírez, les archives qui ont été divulguées prouvent bel et bien que le gouvernement avait volontairement dissimulé les données [10] :

…el hecho de que esta información estaba ahí, que llegaba todos los días a la presidencia, y que por cualquier razón, que no la vamos a entender fácilmente, ellos (Daniel Ortega y Rosario Murillo) decidieron mentir a la población, y cambiar los datos, y poner datos diferentes.

… le fait que ces données étaient là, qu'elles arrivaient tous les jours à la présidence, et que pour une raison quelconque, qu'on aura du mal à comprendre, ils (Daniel Ortega et Rosario Murillo) ont décidé de mentir à la population, et de changer les données, et d'afficher des données différentes.

Le gouvernement, dirigé par le président Daniel Ortega et sa femme et vice-présidente Rosario Murillo, avait déclaré en mai que les gens souffraient de pneumonie [15] [fr] et non de COVID-19. Pendant les mois de mai et juin, des informations inquiétantes sur la dissimulation des enterrements se sont multipliées [16] [en]. La journaliste Lucydalia Baca Castellón espère [17] que les conditions associées aux prêts internationaux obligeront bientôt le gouvernement nicaraguayen à prendre des mesures « responsables et transparentes » en ce qui concerne le COVID-19.

Le 16 août, Anonymous a partagé un extrait des fichiers divulgués :

Nos salutations au régime dictatorial d'Ortega. Nous sommes peut-être restés dans l'ombre pendant un moment, mais notre combat pour la liberté ne s'est jamais arrêté.

Le ministère nicaraguayen de la Santé (MINSA) a été #Hacké ! Le téléchargement des données confidentielles sera bientôt disponible.

Anonymous, comme de nombreux opposants au gouvernement, commentateurs [25] et médias [26] nicaraguayens, qualifie le gouvernement d'Ortega de « dictatorial », en raison de ses caractéristiques autoritaires [27] [en], de ses pratiques de censure [28] [fr] et de sa corruption [29] [en]. Selon le Groupe interdisciplinaire d'experts indépendants (GIEI), Ortega a commis des crimes contre l'humanité [30] [pdf] à l'encontre d'opposants politiques, lors des manifestations antigouvernementales de 2018.

Le 21 août, Lorian Synaro [31] a partagé un lien téléchargeable qui devrait donner accès à toute la base de données du ministère nicaraguayen de la Santé et à 400 autres fichiers :

Le ministère nicaraguayen de la Santé (MINSA) a été piraté ! Des tonnes de données privées, de documents et la base de données entière ont été divulgués ! Les mensonges du gouvernement ne resteront plus secrets.

Téléchargez —> https://t.co/e5knY4mw0y [32]

*Lisez la publication ci-dessous pic.twitter.com/SSxTWK9Qll [33]

Ce n'est pas la première fois qu’Anonymous vise le gouvernement d'Ortega. Tout au long de l'année 2018, qui a été marquée par des manifestations antigouvernementales et la répression gouvernementale qui a suivi, Anonymous a fermé les sites Web des médias contrôlés par l'État [35] et de la police [36]. En avril [37] 2020, Lorian Syrano avait visé la Banque centrale nicaraguayenne, les chaînes publiques de télévision, la police nationale et des sites Web d'autres institutions pour contester la gestion de la pandémie du COVID-19 par le gouvernement. Par la suite, le gouvernement nicaraguayen a acheté [38] un logiciel de protection informatique d'une valeur de 916 000 córdobas (soit environ 26 295 dollars américains).
En mai, Lorian Syrano a poursuivi [39] [en] la fermeture des sites Internet des ministères du gouvernement.

Les sites Internet de la banque centrale du Nicaragua, du ministère de l'Économie, et de l'UAF [Unité d'analyse financière] du gouvernement sont tous hors ligne, par nos soins.

El 19 Digital, le plus grand média d'actualités en ligne, qui entretient des liens étroits avec le gouvernement, n'a annoncé aucun [46] de ces incidents, alors que de nombreux reportages [47] traitent des dernières nouvelles du ministère de la Santé. Ce dernier n'a pas non plus répondu aux attaques.