- Global Voices en Français - https://fr.globalvoices.org -

États-Unis sur le terrain de la Syrie : que peut-on attendre de la nouvelle administration ?

Catégories: Afrique du Nord et Moyen-Orient, Etats-Unis, Russie, Syrie, Turquie, Droits humains, Gouvernance, Guerre/Conflit, Médias citoyens, Politique, Réfugiés, Relations internationales, The Bridge
L'image montre un camp de réfugiés. Au 1er plan, on distingue des femmes et des enfants. Les femmes sont agenouillées et affairées. Elles portent un foulard dans les cheveux. Une petite fille, de dos, se trouve a leurs côtés. On peut voir plusieurs tentes dressées sur un terrain plutôt terreux. Il y a des arbres, sur lesquels du linge est suspendu. Il fait beau. En arrière plan, on voit de la verdure et au loin, une colline.

Le camp de réfugiés d'Atmeh à Alep, Syrie. Photographie réalisée par la Fondation d'aide humanitaire IHH, sous licence CC BY-NC-ND 2.0 [1].

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages en anglais, ndlt.]

Au terme du mandat de quatre ans du président américain Donald Trump, en quoi la nouvelle administration va-t-elle influencer la guerre interminable en Syrie et le sort de sa population assiégée ? Bien que Donald Trump ait officiellement ordonné un retrait complet des troupes américaines de Syrie, ces quatre dernières années, la guerre civile continue d'être un enjeu majeur pour l'administration américaine, comme en témoignent ses missions anti-terroristes de ces derniers mois.

On peut penser que le président américain élu, Joe Biden, pourrait apporter de nouveaux éléments à la position américaine dans le conflit, sans pour autant imposer des changements significatifs sur le terrain.

Dans un entretien accordé le mois dernier à Defense One [2], Jim Jeffrey, ancien conseiller sur la Syrie auprès du département de la Défense américain, a écarté la possibilité d'un « retrait complet » des États-Unis de ce pays, malgré les ordres de Donald Trump, en déclarant : « Nous étions toujours en train de manœuvrer pour que nos dirigeants ne sachent pas clairement combien de troupes étaient présentes là-bas ». Selon Jim Jeffrey, l'activité américaine en Syrie n'a jamais faibli sous l'administration de Donald Trump et elle reste une priorité en dépit des récents appels à la réduction des troupes sur le terrain.

En réalité, les forces américaines ont étendu leur champ d'action [3], en effectuant régulièrement des missions anti-terroristes depuis des bases irakiennes aux côtés des Forces démocratiques syriennes (FDS), soutenues par Washington. Officiellement, le Pentagone a autorisé la présence américaine sur le terrain de seulement 200 soldats. Néanmoins, selon un article du New York Times [4] datant d'octobre 2019, les forces américaines compteraient actuellement 900 soldats rien qu'en Syrie. Au vu des récentes politiques, destinées à assurer le contrôle du territoire et à lutter contre le terrorisme, les forces américaines sur le terrain sont amenées à se renforcer.

À titre d'exemple, le mois dernier, un camp de l'État islamique (EI), dans le désert de Badiyah, a été détruit par un avion de la coalition internationale, sous commandement américain [5] [en, ar ; pdf], tandis que d'autres véhicules militaires américains ont été acheminés dans l'est de la Syrie. Au cours de la première semaine de novembre, 14 opérations [6] [en, ar] ont été lancées contre des groupes terroristes dans la région, tandis que des rapports récents [7] [pdf] de l'opération Inherent Resolve (OIR) illustrent le besoin de maintenir une présence régulière sur le champ de bataille afin de combattre ce qu'ils décrivent comme des poches encore actives de l'EI sur le terrain. Des combats à grande échelle ont également été récemment signalés entre les forces de l'EI et les combattants pro-régime [8], près de Deir ez Zor, principale ville de l'est de la Syrie.

Les annonces faites, le mois dernier, par le sénateur américain Lindsey Graham et le secrétaire d'État Mike Pompeo, à propos d'un contrat pétrolier [9] entre les FDS et une compagnie pétrolière américaine, permettront peut-être de renforcer le soutien aux déploiements américains en Syrie. En plus de mener des opérations contre les menaces terroristes pesant sur ses intérêts régionaux et ses alliés, la pertinence de la guerre en Syrie aux yeux de l'administration américaine tient à la volonté pressante de Washington de limiter l'expansion territoriale russe dans la région, étant donné que Moscou reste le principal soutien au régime syrien. C'est pourquoi Washington maintient son soutien aux forces kurdes [3] contre les confrontations militaires directes impliquant des mercenaires russes.

Joe Biden n'a pas encore évoqué sa future politique au Moyen-Orient en tant qu'argument de campagne, de sorte que sa politique militaire en Syrie manque de clarté. Cependant, le mois dernier, le futur président américain a annoncé [10] qu'il maintiendrait jusqu'à 2 000 soldats américains dans les zones du Moyen-Orient sujettes à des troubles, se concentrant principalement sur les « forces spéciales » et sur le fait que ces forces « ne devraient pas s'immiscer dans la dynamique politique des pays dans lesquels elles opèrent ». Plus généralement, Joe Biden a déclaré qu'il façonnerait une politique étrangère reposant sur les « intérêts américains » [11].

Il semble que Joe Biden partage l'opinion de l'administration de Donald Trump concernant les sanctions en Syrie. Au cours de certaines de ses interviews d'avant-campagne, Joe Biden a déclaré ne pas envisager de modifier ou d'abroger [12] le « Caesar Act », une série de sanctions contre la Syrie récemment approuvée par le Congrès américain, et fait part de son souhait de « maintenir les sanctions américaines contre le régime syrien et les organismes concernés ». Néanmoins, les conseillers de Joe Biden [13] ont récemment évoqué la possibilité d'exceptions pour des raisons humanitaires afin de garantir une aide aux « Syriens en détresse ».

Il est probable que la différence principale entre l'administration de Donald Trump et celle de Joe Biden concernant la Syrie se situe au niveau des droits humains. Kamala Harris [14], vice-présidente élue des États-Unis, s'est opposée l'an dernier à la décision de Donald Trump [15], qui demandait le retrait des troupes américaines déployées en Syrie suite à l'opération « Source de paix » [16] (Operation Peace Spring) conduite par la Turquie. Anthony Blinken, futur secrétaire d'État de l'administration Joe Biden, rejoint également ce point de vue. Dans un article pour la Brookings Institution [17], l'année dernière, il décrivait la politique militaire américaine en Syrie comme une « erreur d'en faire trop peu ». Il lançait notamment une mise en garde : « Si le retrait de la Syrie, promis par Donald Trump, se concrétise, nous assisterons probablement au retour de l'État islamique ».

Lors d'une interview accordée à CBS en mai dernier, Anthony Blinken a déclaré que l'administration de Barack Obama, au sein de laquelle il avait occupé les fonctions de secrétaire d'État adjoint et d'ancien conseiller adjoint pour la sécurité nationale, avait « laissé tomber » les Syriens, et que la politique américaine concernant la guerre s'était depuis lors détériorée, notamment du fait que Washington avait abandonné ses alliés kurdes. Selon un compte-rendu [18] de l'interview, il a déclaré « nous avons échoué à prévenir une terrible perte en vies humaines. Nous n'avons pas su empêcher le déplacement massif de personnes à l'intérieur de la Syrie et, bien sûr, à l'extérieur en tant que réfugiés », ajoutant que l'administration de Joe Biden tentera de reprendre le contrôle de la situation sous un angle plus humanitaire.

Cette nouvelle administration américaine pourrait accorder une attention beaucoup plus grande à ce qui se passe dans les zones contrôlées par les Kurdes, en comparaison avec la politique du « laissez-faire » de Donald Trump vis-à-vis des forces turques dans la région. Par ailleurs, Kamala Harris s'était prononcée en faveur d'une intervention américaine en Syrie [15], surtout après les attaques à l'arme chimique perpétrées par le régime syrien en 2017.

Robert Ford, ancien ambassadeur des États-Unis en Syrie, suggère même [19] que l'administration Joe Biden fournira à la communauté kurde un soutien essentiel pour la « reconnaissance mondiale d'un État kurde ». Sinam Mohammad, représentant politique des forces démocratiques syriennes aux États-Unis, a récemment déclaré à la VOA [20] (Voice Of America) :

SDF hopes the Biden administration will bring more political support for us to be included in talks that will determine our future and that of Syria as a whole.

Les FDS attendent de l'administration Joe Biden un soutien politique plus marqué pour que nous soyons impliqués dans les négociations décisives pour notre avenir et celui de la Syrie toute entière.

Ainsi, la position de Joe Biden sur le conflit syrien devrait se heurter à celle de la Turquie, autre acteur clé de la guerre en Syrie. Bien que l'administration de Joe Biden soit un allié des Forces démocratiques syriennes (FDS), la politique actuelle d'Ankara est essentiellement axée sur la lutte contre cette alliance kurde-arabe dans le nord de la Syrie, qu'elle juge être un « groupe terroriste ». En revanche, l'année dernière, Donald Trump avait désigné les Kurdes comme des « ennemis naturels ». Jim Jeffrey [2], ancien conseiller sur la Syrie auprès du département de la Défense américain, a néanmoins confirmé, dans son interview de novembre avec Defense One, que nul à Washington n'avait donné de garantie en faveur des Kurdes contre la Turquie, limitant ainsi cette coopération.

Suite à l'élection de Joe Biden, plusieurs commentateurs ont avancé la perspective de relations américano-turques houleuses en raison du soutien potentiel des États-Unis à la défense d'un territoire kurde dans la région.

Le gouvernement Biden envisage également, dans un cadre humanitaire, de mettre en œuvre la politique américaine actuelle relative aux réfugiés [21]. Alors que l'administration sortante avait réduit le plafond à 15 000 réfugiés [22] pour l'année fiscale 2021, le plus bas de tous les temps, Joe Biden s'est engagé à « fixer le plafond global annuel d'admission de réfugiés à 125 000, et à le relever progressivement [23] ».