Voici comment le plus grand opérateur de télécommunications mexicain a cessé de bloquer l'accès sécurisé à Internet

La tour de Telmex à Mexico, photo prise par Carlos Adampol Galindo / Flickr, sous licence CC BY-SA 2.0

Tour Telemex à Mexico. Photo de Carlos Adampol Galindo/Flickr, sous licence CC BY-SA 2.0

Le plus grand opérateur de télécommunications au Mexique a bloqué durant cinq ans l’accès sécurisé au réseau Internet. Peu de personnes ont réalisé que cet opérateur, Telmex, constituait un obstacle au développement des technologies alternatives, jusqu'à ce qu'un groupe de chercheurs bénévoles enquête sur cette affaire. En 2020, ils ont réussi à mettre un terme à ce problème. 

Le blocage de l'utilisation gratuite d'Internet ne va pas seulement à l'encontre des lois sur la protection de la vie privée, mais peut également avoir un impact sérieux dans un pays où la liberté d'expression est menacée. Par exemple, ne pas pouvoir naviguer sur un réseau sécurisé constitue un problème majeur pour les journalistes et les défenseurs des droits humains au Mexique qui risquent souvent leur vie en exerçant leur métier. En 2002, selon Reporters sans frontières, le Mexique a été classé 143e sur 180 pays en termes de liberté de la presse.

C’est pour cette raison que je suis devenu bénévole en 2016 pour le Projet Magma [en] et le Projet de mécanismes de confidentialité et d’anonymat [es] de l’université nationale autonome du Mexique afin d’aider les gens à éviter toute censure et à préserver leur vie privée lorsqu’ils sont sur Internet en participant à des initiatives de coopération mondiale comme le réseau Tor. Nous avons été guidés par des principes qui conduisent à la construction d'infrastructures favorisant le respect des droits humains, comme la liberté d’expression et le respect de la vie privée. Nous comptons parmi nos réalisations le partage de nos connexions Internet avec les nœuds d’hôtes du réseau Tor. Pour ma part, j’ai exploité des nœuds au Canada. 

Le réseau Tor est utile pour maintenir un réseau sécurisé et anonyme. Comme je l'ai écrit [en] dans un article pour Global Voices : « Le réseau Tor est un logiciel Open Source gratuit utilisé dans le monde entier pour établir des communications anonymes. Pour ce faire, il s’appuie sur un réseau de plus de 6000 nœuds ou relais [en] qui garantissent un routage anonyme dans le monde entier, également connu sous le nom de “routage en oignon” en raison des différentes couches qui composent ce réseau. »

Fin 2015, les opérateurs de nœuds bénévoles ont réalisé – car leurs nœuds ont cessé de fonctionner – que la plus grande entreprise de télécommunications du Mexique avait décidé de ne pas exploiter le réseau Tor depuis le Mexique. En 2016, le groupe de bénévoles a tenté de s'informer auprès de Telmex sur ses motivations, mais l’entreprise a nié l'existence d'une politique de blocage.

Finalement, j'ai rejoint les bénévoles qui enquêtaient sur ce blocage. Une fois que nous avons compris que sept adresses IP principales avaient été bloquées pour héberger le réseau Tor, nous nous sommes adressés au Conseil consultatif de l'Institut fédéral des télécommunications (IFT) [es], une institution chargée de réglementer le secteur des télécommunications, et avons déposé notre plainte concernant la politique de blocage de Telmex. Cependant, une année s’est écoulée et l’IFT n’a pas encore traité cette affaire. Ils n’ont donné aucune explication, même si leur propre conseil consultatif reconnaissait le bien-fondé de notre demande. Ils ont noté qu'il s'agissait d'une possible violation de la neutralité du Net par le biais de l'accord CC / IFT / 311019/18.

En dernier recours, le groupe de bénévoles – qui sont désormais devenus les analystes judiciaires du réseau – a rédigé deux études techniques qui ont été approuvées sur le plan méthodologique dans des publications universitaires. Celles-ci ont été présentées lors de conférences en 2018.

En 2020, nous avons décidé de partager cette histoire sur Global Voices Advox [en]. Le réseau Tor l'a immédiatement rendue visible sur son compte Twitter :

La plus grande entreprise de télécommunication au Mexique a bloqué le réseau Tor : « Telemex a bloqué l'accès à sept ports directs. Dans ce contexte, vous pouvez accéder au réseau Tor, mais l'installation d'un nœud n'est pas possible. »

Telmex a répondu en 2020, lorsque les médias au Mexique se sont penchés sur la question. L'entreprise a reconnu avoir bloqué sept adresses IP du réseau Tor, au motif qu'il s'agissait d'une mesure d'atténuation contre le logiciel malveillant Wannacry apparu en 2017 — malgré le fait que la propagation de ce maliciel n'ait duré que quatre jours.

Une fois les membres du groupe convertis en analystes, nous étions ravis d'apprendre que Telmex reconnaissait le blocage. Nous avons communiqué avec l'entreprise — en ayant une attitude coopérative, une certaine compréhension de leurs mesures et avec la conviction de trouver une solution— afin de les informer que s'ils voulaient compromettre les activités de Wannacry, ils faisaient fausse route et que les mesures qu'ils ont prises avaient une incidence sur l'exercice des droits, et ce pour deux raisons principales :

  1. Wannacry a été créé en 2017 et il n'est resté actif que durant quelques jours. Cependant, le blocage a commencé deux ans plus tôt—vers la fin de l'année 2015.
  2. Le blocage des sept adresses n'aurait pas nécessairement contribué à compromettre les activités de Wannacry puisque ces adresses ne concernaient pas le transfert du trafic (et auraient donc pu transférer le maliciel), mais elles jouaient plutôt le rôle de gestionnaire. L'hypothèse de Telmex est dénuée de fondement. 

Le lendemain de l'envoi du message à Telmex, les sept adresses ont été débloquées. Pendant presque cinq ans, l'entreprise n'a pas dévoilé ses véritables motivations, même après que preuve ait été faite que leur récente justification ne cadrait pas avec la réalité technique.

L'IFT, pour sa part, n'a pas non plus fait de recherches sur les motifs du blocage effectué par Telmex, bien que la communauté et les chercheurs touchés lui aient remis des études et des analyses concernant le réseau.

En fin de compte, le réseau Telmex dispose actuellement de cinq nœuds sur le réseau Tor ; ces derniers ont été installés après l'arrêt du blocage.

Parmi facteurs les plus notables, qui ont été indispensables à la réalisation d'un travail de recherche nécessaire à la compréhension ainsi qu'à la suppression des mesures de blocage de la plus grande entreprise de télécommunication au Mexique, on peut relever l'effort collectif, le consensus sur les théories de recherche et la possibilité de nous appuyer sur des espaces comme Global Voices afin de diffuser notre affaire.

Nous estimons que ce type de blocage constitue un abus de pouvoir par un fournisseur d'accès à Internet qui ne respecte pas le principe de libre choix, de non-discrimination ainsi que la gestion du trafic qui constitue la neutralité du Web conformément à l'article 145 de la loi sur les télécommunications et la radiodiffusion [es], ainsi que les principes de gestion de la qualité de service de l'article 146 de la même loi, sans mentionner le fait qu'il pourrait représenter une ingérence dans la liberté d'exercer les droits fondamentaux à la vie privée et à l'anonymat.

Il est difficile de connaître l'ampleur des impacts générés par l'émergence de l'informatique et de l'expertise judiciaire sur l'administration de la justice et de déterminer leur utilité afin d'identifier et de signaler les abus en Amérique Latine. Cependant, il existe des indices très encourageants qui en font un domaine de travail dynamique avec ses propres risques, opportunités et batailles.

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