«Ce n'est pas qu'une blague!» Des comédiens nigérians s'unissent contre la culture du viol

Capture d'écran de comédiens nigérians contre le viol à partir d'une vidéo mise en ligne sur YouTube par HerStoryNG.

Quatorze comédiens nigérians ont pris une position ferme contre la culture du viol en s'engageant à cesser de faire des blagues sur le viol.

Ils l'ont fait dans un clip vidéo d'1,43 minute mettant en vedette les meilleurs comédiens nigérians dans cet ordre : Ali Baba (Atunyota Akpobome), Seyi Law (Lawrence Aletile), Broda Shaggi (Samuel Perry), AY (Ayodeji Makun), Lasisi Elenu (Nosa Afolabi), Frank Donga (Kunle Idowu), M. Macaroni (Debo Adebayo), Maraji (Gloria Oloruntobi), Real Warri Pikin (Anita Asuoha), EmmaOhMaGod (Emmanuel Edunjobi), Taooma (Apaokagi Maryam), Kenny Blaq (Otolorin Peter), Josh2Funny (Josh Alfred) et MC Lively (Michael Amanesi).

Le clip commence par une intervention d'Ali Baba, Seyi Law, Broda Shaggi et AY soulignant que ces excuses bidon sont généralement avancées pour justifier ces blagues : «Raconter une blague sur le viol ne signifie pas que je tolère la violence sexuelle », «Allez ! C'est juste un moyen de faire rire les gens »,« C'est juste une blague » ou « Si c'est si mauvais, pourquoi tout le monde a-t-il ri ? »

Lasisi Elenu déclare ensuite que « ces excuses ne sont plus acceptables » parce que, selon Frank Donga, «  une femme sur trois a subi une forme de violence sexuelle et sexiste ». Cela « signifie que lorsque vous plaisantez sur le viol, une femme sur trois dans votre public est affectée négativement », a affirmé M. Macaroni.

Maraji, Real Warri Pikin, EmmaOhMaGod et Taooma ont encore souligné : « Donc, fondamentalement, elles ont acheté un billet pour revivre leur pire cauchemar. Ajoutant à leur douleur et minimisant leur souffrance ». Et, comble de la cruauté, les blagues de cette nature normalisent la culture du viol et perpétuent la violence, ce qui rend plus difficile pour les survivantes de s'exprimer, « surtout quand le public rit… Nous devons arrêter de transformer les survivantes de violences sexuelles et sexistes en dommages collatéraux, juste pour rire. Parce que le viol n'est pas une blague ! »

Kenny Blaq a admis avoir « contribué à cette culture [de la blague sur le viol] » au Nigeria, avant de se joindre au groupe de comédiens pour y mettre un terme.

Il y a six ans, le comédien nigérian Basketmouth, connu sous le nom de Bright Okpocha, s'est attiré les foudres du public avec une blague qui arrive à la conclusion que les femmes nigérianes méritaient d'être violées si elles refusaient d’avoir des relations sexuelles avant le deuxième rendez-vous, rapporte le journal Nigerian Guardian

La réaction contre Basketmouth ne s'est pas arrêtée là. En 2019, il a été nommé ambassadeur de la campagne contre les violences sexuelles et sexistes par la délégation de l'Union européenne au Nigeria et à la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Cette nomination a instantanément ravivé l'indignation du public parmi les utilisateurs des médias sociaux nigérians, ce qui lui a valu de perdre sa distinction.

Enfin enfin, #LeViolNEstPasUneBlague

Viol et agression sexuelle au Nigeria

La violence sexuelle est omniprésente au Nigéria. La Fondation internationale pour les femmes à risque affirme que sur la période 2012-2013, « environ 30 pour cent des femmes au Nigeria ont subi une forme de violence domestique ou une autre ».

Pourtant, la plupart des cas d'agression sexuelle sont sous-déclarés au Nigéria, en raison de la stigmatisation et de la propension à blâmer les victimes. Le programme des Nations Unies pour le renouveau de l'Afrique estime qu'environ « 2 millions de filles nigérianes subissent des abus sexuels chaque année et que seulement 28% des cas de viol sont signalés. Parmi ceux-ci, 12% seulement aboutissent à des condamnations. »

En 2017, sur les 1 639 cas signalés de violences sexuelles et sexistes, seules « 156 survivantes ont eu accès à des services de gestion de cas et 226 ont bénéficié d'une assistance juridique » du projet Accès à la justice dans le nord-est du Nigéria, soutenu par le Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) et l'Association du barreau nigérian (NBA). Cependant, seuls «109 auteurs de violences sexuelles et sexistes ont été arrêtés, dont 58 condamnés et d’autres sont en cours de procès dans les États d’Adamaoua et de Borno », selon le service d'information des Nations unies ReliefWeb.

Le faible taux d'arrestations et de condamnations peut être lié au fait que très peu de survivantes ont tendance à signaler ces agressions à la police parce que les agresseurs sont des voisins ou des membres de leur famille. 

Un examen rétrospectif des dossiers des survivantes (entre janvier 2008 et décembre 2012) par la gynécologue nigériane Dr Fatimat Akinlusi, et quatre autres personnes de la Faculté de médecine de l'Université de l'État de Lagos, campus d'Ikeja, a révélé que sur 39 770 cas gynécologiques, 304 étaient dus à des agressions sexuelles. L'étude également montré que 73% des survivantes, âgées de moins de 19 ans, « connaissaient leurs agresseurs (la majorité étaient des voisins) » et la plupart des agressions (54%) « se sont produites dans les maisons des voisins ».

Les comédiens façonnent la culture contemporaine du Nigéria

Les spécialistes de la culture nigériane Sunday Adesina, de l'Université d'Ibadan, et Ibukun Filani, de l'Université d'Europe centrale, affirment que les humoristes nigérians façonnent la culture contemporaine. En effet, « en plaisantant avec les croyances et les représentations culturelles dans l'espace de représentation », ces comédiens « médiatisent et négocient ce que devrait être la “culture contemporaine” », soutiennent Adesina et Filani. 

L'initiative des comédiens est juste parce que « le secteur du divertissement nigérian a fait tellement de mal en propageant et en normalisant la violence sexuelle et la culture du viol, il est donc très encourageant de voir une grande partie de ce secteur prendre position contre le viol », a déclaré Wuraola Abulatan, responsable de l'équipe de communication de l'entreprise sociale Stand to End Rape Initiative, dans un email adressé à Global Voices.

Mme Abulatan est optimiste sur le fait que la position des comédiens contre les blagues sur le viol « fera avancer les conversations » autour du viol et des violences sexuelles et sexistes et que leur engagement contribuera grandement à lutter contre la culture du viol, le blâme des victimes et «le traitement des femmes comme des objets sexuels». 

Cela va grossir les rangs des Nigérianes et Nigérians qui luttent «contre le viol dans tous les domaines de leur vie» et s'orientent vers la création «d'un espace sûr pour tous», a-t-elle ajouté.

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