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Après un nouveau féminicide à Trinité-et-Tobago, les internautes demandent de cesser de rejeter la responsabilité sur les victimes

Catégories: Caraïbe, Trinité-et-Tobago, Droit, Femmes et genre, Jeunesse, Média et journalisme, Médias citoyens
Logo contre les violences faites aux femmes : empreinte d'une main en blanc sur fond rouge. [1]

Stop Violence Against Women (Stop aux violences faites aux femmes) Image [1] de Roel Wijnants [2] sur Flickr, sous licence CC BY-NC 2.0 [3].

L’article original  [4]a été publié en anglais le 7 décembre 2020.

[Sauf mention contraire, tous les liens de cet article renvoient vers des pages en anglais, ndlt.]

Les violences faites aux femmes sont une fois de plus au cœur de l'actualité à Trinité-et-Tobago après la disparition [5] d'Ashanti Riley le 29 novembre dernier. La jeune femme de 18 ans a été vue pour la dernière fois en train de monter dans un véhicule privé avec chauffeur [6]. Elle a appelé son petit ami pour le prévenir qu'elle était en chemin, mais n'est jamais arrivée [7] à bon port. Son corps a été retrouvé [8] le 4 décembre.

Deux hommes [8], dont le conducteur [9] de la voiture [10], ont été arrêtés pour son meurtre et la police recherche un troisième [11] suspect.

De vives réactions [12] ont été instantanément [13] publiées sur les réseaux sociaux. La façon dont elle a été visée par les meurtriers a touché [14] beaucoup de monde, y compris la mère de Shannon Banfield [15], une jeune employée de banque retrouvée morte le 8 décembre 2016.

Les internautes avaient également énormément réagi après le meurtre de Shannon Banfield et clamé « Trop c'est trop ! [15] ». Quatre ans plus tard, malgré les pétitions et les manifestations [16] [fr], les violences sexistes [17] et les féminicides [18] représentent toujours une menace [19].

Le meurtre d'Ashanti Riley intervient pendant les 16 jours d'activisme pour mettre fin aux violences faites aux femmes [20] [fr], une campagne mise en place par ONU Femmes qui vise à attirer l'attention du monde entier sur « une violence qui atteignait déjà des niveaux pandémiques ».

Jenelle Arlene Bedeau, une utilisatrice de Facebook, a raconté [21] ce qu'elle a vécu à l'âge de 18 ans :

One morning I took a taxi […] and the taxi driver passed my stop and apologized said, “It’s ok I’ll turn around and drop you.” He then proceeded to a back street and said he’s just making the rounds and started taking the windows up. Immediately I started shouting and asking what he was doing. He started caressing my leg and saying, “It’s ok I’m just putting on the AC.” I started opening the lock and tried opening the door and fumbled with it while trying to fight him off and had to throw myself out of the moving car.

I keep asking myself had I not done that what would have happened! I can imagine the fear she felt because I was so panicked that it took me quite sometime before I could even breathe.

It’s so depressing that as women a routine trip to work or visiting a relative can result in sexual assault whether verbally or physically or in many instances death. I pray for her mother…now being a mother myself it’s heart wrenching and I do pray that we stop telling women to be vigilant but instead ensure that men do better.

Un jour, j'ai pris un taxi […] et le chauffeur ne s'est pas arrêté devant ma destination. Il s'est excusé et m'a dit : « C'est pas grave, je vais faire demi-tour et vous déposer. » Il s'est dirigé vers une ruelle, m'a dit qu'il faisait demi-tour et a remonté les vitres. J'ai immédiatement commencé à crier et je lui ai demandé ce qu'il faisait. Il s'est mis à me caresser la jambe et m'a dit : « Tout va bien, je mets juste la clim. » J'ai tiré sur la serrure et essayé d'ouvrir la portière. J'y allais à tâtons en essayant de le repousser et j'ai dû sauter de la voiture en marche.

Je me demande encore ce qui aurait pu arriver si je n'avais pas fait ça ! Je peux imaginer la peur qu'elle a ressentie parce que j'étais tellement paniquée qu'il m'a fallu du temps avant même de pouvoir respirer.

Pour une femme, c'est tellement déprimant qu'un trajet quotidien pour se rendre au travail ou dans sa famille se transforme en agression sexuelle, verbale, physique, voire même mortelle dans de nombreux cas. Je prie pour sa mère… Je suis mère aujourd'hui et ça me fend le cœur. Je prie pour qu'on arrête de dire aux femmes de faire attention et qu'on veille plutôt à ce que les hommes se comportent mieux.

Dans une déclaration à propos du meurtre, Keith Rowley, le Premier ministre de Trinité-et-Tobago, a constaté [22] qu'il y avait un écart entre les exigences envers les chauffeurs de taxis qui ont besoin d'avoir une licence ainsi qu'un casier judiciaire vierge pour pouvoir travailler, et le système des voitures privées avec chauffeur. Selon lui, ce système participe du « danger représenté par toute personne lambda autorisée à conduire ce type de véhicule avec chauffeur et conduit à ce résultat-là ».

Keith Rowley a reconnu [23] que la question à laquelle il fallait maintenant répondre était : « Que devons-nous faire à ce sujet ? » La loi [23] actuelle sur les véhicules à moteur et la circulation routière [23] dispose que « personne ne doit utiliser un véhicule à moteur dans un but différent de celui pour lequel il est immatriculé ». Aujourd'hui, il n'existe aucune appellation pour les voitures privées avec chauffeur, mais la pratique est très courante et non contrôlée.

L'arrangement avec les chauffeurs est informel : une voiture privée est utilisée pour un service de transport, souvent par plusieurs passagers en même temps. Il se distingue des applications de covoiturage comme Uber car la voiture n'est ni commandée ni suivie par le biais d'une technologie. De plus, il n'existe aucun moyen de savoir si le conducteur exerce une activité légale ou non, ce qui en fait un choix risqué.

Après avoir été interrogé sur les options qui s'offrent aux femmes quand elles se déplacent à des heures ou dans des lieux où seules les voitures privées avec chauffeur sont disponibles, Keith Rowley répond que : « Étant donné le côté pratique de la situation, nous devons toujours faire attention à notre propre sécurité […] Soyez tout simplement prudentes. »

En 2017, après le meurtre de Jamilia Derevenax [18] par une personne de son entourage sur le parking d'un cinéma populaire, le Premier ministre trinidadien a conseillé aux femmes [24] de choisir judicieusement leur partenaire. Cette déclaration controversée a largement été interprétée comme un reproche fait aux victimes. Les internautes n'ont cessé [25] de le dénoncer [26] au lendemain du féminicide tout en essayant de remettre au centre du débat  [27]les véritables responsables [26].

Sur Facebook, Son Du a posté [28] ce message :

Men whom I admire and respect have told me that this wanton violence against women won’t stop until men talk seriously to other men about their behaviour. So please, men, talk to each other – NOW.

Des hommes que j'admire et que je respecte m'ont dit que cette violence gratuite envers les femmes ne s'arrêtera pas tant que les hommes ne parleront pas entre eux et sérieusement de leur comportement. Alors s'il vous plait, messieurs, parlez entre vous – MAINTENANT.

La formation de la police a également reçu des critiques, aussi bien en ce qui concerne la police scientifique que l'interaction avec les familles des victimes. La criminologue Renee Cummings a fait remarquer que [29] :

[…] the question is not how many women (I will also include men) have gone missing in TT, turned up dead or not turned up at all.

The question is who cares?

After billions spent on policing and national security, TT is yet to design any sensible or scientific strategy to analyze information about homicides, about no-body homicides, missing persons, sexual assaults, and other violent crimes involving unidentified human remains.

This is as tragic as all the lives lost!

[…] le problème n'est pas seulement le nombre de femmes (ou d'hommes, je les inclus aussi) disparu·e·s à Trinité-et-Tobago, retrouvé·e·s mort·e·s ou non.

La question est de savoir qui se sent concerné ?

Après avoir dépensé des milliards dans le maintien de l'ordre et la sécurité nationale, Trinité-et-Tobago n'a pas encore créé de stratégie sensée ou scientifique pour analyser les informations sur les homicides, les meurtres dont le corps n'a pas été retrouvé, les personnes disparues, les agressions sexuelles et les autres crimes violents avec des restes humains non identifiés.

C'est aussi tragique que le nombre de vies perdues !

L'oncle d'Ashanti Riley a partagé un message déchirant sur Facebook [30] dans lequel il affirme que, même si les membres de l'unité anti-enlèvement sont « une lueur d'espoir », d'autres policiers « ont fait des commentaires sarcastiques et humiliants sur Ashanti qui nous ont horrifiés » en prenant la déposition de la famille pour le rapport sur sa disparition. D'autres rapports [31] et témoignages [32] publiés sur les réseaux sociaux ont fait état d'exemples similaires de manque de sensibilité.

Parmi les appels à ce que justice soit faite [33] pour Ashanti Riley et les nombreuses femmes assassinées [34] ou disparues [34], le journal The Guardian rapporte [35] que jusqu'à présent, en 2020, 47 femmes et jeunes filles ont été tuées à Trinité-et-Tobago. Le nombre de meurtres dans le pays s'élève à 362 et les femmes représentent environ 13 % des victimes d'homicides.

Ce même rapport indique [35] que, selon les services de police de Trinité-et-Tobago, parmi les 745 personnes portées disparues en 2020, 416 sont des femmes et des jeunes filles, soit plus de la moitié.

Sur Facebook, la poétesse Shivanee Ramlochan a traduit [36] les émotions du pays en vers de façon émouvante :

For women, for us who go barefoot out the front door to pick pommecythere from our own pregnant trees, may we not die. […] May we arrive to birthday parties with arms full of cake and ice cream and metallic discount-bag balloons. May we arrive to fetes in the very tiniest of pumpum shorts with our glittery purses packed full of pepper spray we don’t have to use. May we arrive to the churches alive, to the lover’s house alive […] may it not matter so much where we’re going, holy or profane, except that we are allowed the right to get there breathing, unmolested, our lungs not riddled with knifemarks, our vaginas untorn. […]

Maybe it may also be that if we are killed, though this is a prayer against death, the first questions will not be how many men we took between our thighs or lips, how many children we had with how many men, how many men we liked were gunmen themselves. May our eulogies not be peppered with should have known betters […]

May it be that we can outstretch our hands and catch the hands of our sisters before someone extinguishes her life. May we become more and more of what we already are – powerful, collective, brave enough to fight and brave enough to weep hard – that we make murderers fear us. That we bring love to a table where only terror is being served, and ask ourselves to eat til we are full. May we all wake up to pray again tomorrow.

Awomen. Awomen. Awomen.

Pour les femmes, pour nous qui sortons pieds nus sur le seuil de notre maison pour cueillir les prunes de Cythère de nos propres arbres riches en fruits, puissions-nous ne pas mourir. […] Puissions-nous arriver aux fêtes d'anniversaire les bras pleins de gâteaux, de glaces et de ballons métallisés premier prix. Puissions-nous arriver à ces fêtes dans le plus court des shorts à pompons avec nos sacs à mains scintillants remplis de spray au poivre inutilisé. Puissions-nous arriver vivantes dans les églises ou chez nos amants […] peu importe l'endroit où nous allons, qu'il soit saint ou profane, nous avons le droit d'y arriver en respirant, sans avoir été agressées sexuellement, sans coups de couteau dans les poumons, sans lacérations au niveau du vagin. […]

Même si c'est une prière contre la mort, si nous sommes tuées, peut-être que les premières questions ne seront pas de savoir combien d'hommes nous avons eu entre nos cuisses ou nos lèvres, combien d'enfants nous avons et avec combien d'hommes, combien d'hommes eux-mêmes assassins nous avons aimés. Puissent nos éloges funèbres ne pas être ponctués de « elles auraient dû le savoir » […]

Puisse-t-il être possible de tendre ma main et d'attraper celle de nos sœurs avant que quelqu'un ne mette fin à sa vie. Puissions-nous devenir meilleures que ce que nous sommes déjà, puissantes, soudées, assez courageuses pour nous battre et assez courageuses pleurer à corps perdu – afin de faire peur aux meurtriers. Puissions-nous apporter de l'amour à une table où seule la terreur est servie et demander à manger jusqu'à être rassasiées. Puissions-nous nous réveiller pour prier à nouveau demain.

Amen. Amen. Amen.