Une proposition de taxe sur les livres au Brésil pourrait pénaliser le public des quartiers pauvres

Au Brésil, le gouvernement de Jair Bolsonaro prépare une nouvelle taxe sur les livres. Photo de Rômulo Cabrera/Agência Mural.

Cet article a été rédigé par Renan Cavalcante et Lucas Veloso. Il est publié ici dans le cadre d'un partenariat de partage de contenu entre Global Voices et Agência Mural.

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages en portugais, ndlt.]

En 2007, l'écrivain Alessandro Buzo a ouvert la librairie Suburbano Convicto. À l'époque, il n'y avait pas de bibliothèque publique dans le district d’Itaim Paulista dans l'est de São Paulo — les écoles étaient les seuls endroits où les gens disposaient d'un accès aux livres.

Des années plus tard, monsieur Buzo affirme que l'accès aux lieux publics de lecture est devenu plus simple, mais que le prix peut encore être un obstacle pour de nombreuses personnes de son quartier. Pour les Brésiliens aux faibles revenus l'accès à des livres abordables pourrait être encore plus difficile si le Congrès brésilien adoptait la proposition de l'instauration d'une taxe de 12% sur l'achat des livres.

Actuellement au Brésil, et dans a plupart des pays d'Amérique latine, les livres sont exempts d'impôts. La proposition a été soumise en juillet par Paulo Guedes, le ministre brésilien des Finances.

Les maisons d'éditions telles Todavia et Companhia das Letras ont réagi à la nouvelle en manifestant sur les réseaux sociaux. Peu après, le sénateur brésilien Randolfe Rodrigues a proposé une loi qui donnerait aux livres et aux publications une immunité fiscale totale. La loi est actuellement ouverte à la consultation populaire.

La consultation publique du Sénat afin d'assurer l'immunité fiscale des livres, journaux, revues et documents destinés à l'impressiopon est en ligne. Si vous êtes contre la taxation à 12 pourcent des livres, votez OUI #défendezleslivres

La PEC 31/2020 a été soumise au Sénat pour garantir une exonération d'impôts les livres, journaux, revues et documents destinés à l'impression.

Si vous êtes opposé·e·s à 12% de taxation sur les livres, votez OUI et soutenez la proposition.

Les opposant·e·s craignent qu'une taxe rende l'accès aux livres encore plus difficile pour les groupes à faibles revenus et entrave les projets de promotion de la lecture dans les communautés pauvres.

En 2019, le prix moyen pour un livre était de 19 BRL (3,54 dollars US), ce qui représente 1,8 pourcent du salaire minimum du pays. Un sondage mené par Agência Mural a révélé qu'avec la taxe de 12%, les livres qui se vendent le plus au Brésil coûteraient en moyenne 5,48 BRL (soit une augmentation d'environ 1 dollar US). Cela coûte plus cher que le prix d'un ticket de bus dans la ville de São Paulo.

La taxe pourrait rendre l'accès difficile aux lecteurs et lectrices des zones plus pauvres. Photo de Rômulo Cabrera/Agência Mural.

La taxe proposée a déclenché des réactions négatives de la part des entités liées au marché de la publication. « Les agences sont parfaitement conscientes de la nécessité d'une réforme et d'une optimisation fiscales au Brésil. Mais augmenter le prix des livres ne résoudra pas le problème », précise le manifeste signé par des organisations telles que la Chambre brésilienne du livre et l'Association nationale des librairies.

La taxe est également mal perçue par les associations et les initiatives en faveur de la lecture et de l'éducation dans les quartiers pauvres. 

« [En rendant] les livres chers, ils donnent la priorité à l'ouverture de librairies dans les centres commerciaux et les quartiers riches » a déclaré monsieur Buzo.

D'après des données de l'Observatoire citoyen (Observatório Cidadão), les bibliothèques municipales dans les quartiers centraux de São Paulo disposent du plus grand nombre de livres disponibles pour adultes. Un contraste saisissant avec la disponibilité des livres dans les quartiers périphériques de la ville, peuplés de communautés majoritairement pauvres comme Marsilac, San Lucas et Anhanguera.

Au Brésil, les pauvres ne liraient donc pas ?

Lors d'une audition au Congrès national début septembre, le ministre de l'Économie Paulo Guedes a abordé la question de la proposition de taxe sur les livres, et a défendu des programmes qui feraient don de livres aux plus pauvres. D'après lui, cela serait bien plus efficace que de d'accorder des avantages fiscaux aux maisons d'édition, comme l'a souligné Agência Brasil. Il a également mentionné des programmes de transferts de crédits d'impôts, tels que l'aide d'urgence instaurée lors de la pandémie de COVID-19, pour faire remarquer que les gens se souciaient plus d'acheter à manger plutôt que des livres.

« Nous allons donner des livres gratuitement aux plus démuni·e·s, aux plus pauvres […] lorsque j'achèterai des livres je vais moi aussi payer la taxe. C'est donc une chose de se concentrer sur l'aide, c'en est une autre d'exonérer d'[‘impôts] celles et ceux qui ont les moyens de les payer », a déclaré Monsieur Guedes.

Monsieur Buzo ne partage pas l'avis du ministre : « Je ne pense pas que les riches lisent davantage que les pauvres. Allez à un événement en périphérie de la ville. On y rencontre un grand nombre de lecteur·rice·s. Certes, les plus riches ont plus facilement accès aux libraires car celles-ci sont plus proches de chez eux, et ils·elles disposent de l'argent pour acheter, mais la lecture, c'est autre chose », a-t-il déclaré.

Selon les résultats de l'enquête “Panorama de la lecture”, menée à la demande de l'Institut Pro-Book en partenariat avec l'institut de sondage Ibope, le prix influence 22 % des lecteurs brésiliens lors de l'achat de livres et constitue le principal facteur de choix d'un livre. Mais les recherches indiquent aussi que 27 millions de Brésiliens appartenant à des classes socio-économiques dont les revenus mensuels sont inférieurs à 8 640 BRL (ou 1 611 dollars américains) achètent des livres.

Encouragée à lire par sa mère et sa grand-mère depuis l'enfance, Letícia Souza, un relectrice titulaire d'un diplôme en Études linguistiques, ne partage pas non plus l'avis de monsieur Guedes. « Cette façon de penser est absolument incohérente. Je pense aussi que le fait de considérer que les personnes qui achètent des livres sont [uniquement] celles qui ont un pouvoir d'achat plus élevé contribue à éloigner les plus pauvres de la lecture et de la culture en général. »

Suzi Soares  craint que le gouvernement n'en vienne à décider de ce que les citoyen·ne·s devraient lire. Photo par José Cláudio de Sena, reproduite avec son autorisation.

Suzi Soares, organisatrice d'événements tels que Sarau do Binho et de Felizs (Exposition littéraire de la région sud), se méfie de l'idée du gouvernement de faire des dons de livres pour permettre l'accès aux livres dans les régions pauvres. « Les gens doivent lire ce qu'ils veulent, personne d'autre ne doit déterminer ce que vous devez lire », dit-elle.

Jusqu'à ce que Soares commence à travailler, les livres qu'elle lisait étaient empruntés à un ami. « Lorsqu'il me restait un peu d'argent, c'était une joie d'aller dans une librairie et d'acheter le livre que je voulais. Quand j'ai eu la possibilité d'acheter, j'étais très heureuse. »

Malgré tout, elle affirme aussi avoir l'intuition que les habitant·e·s de la périphérie des villes continueront à lire. « Nous finirons par chercher des alternatives comme nous l'avons toujours fait. Recycler, se passer les livres les un·e·s aux autres, faire circuler les livres qui sont restés immobiles sur l'étagère, pour pouvoir lire. »

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