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En Bosnie-Herzégovine, des bénévoles prennent la défense des migrants en errance

Catégories: Europe Centrale et de l'Est, Bosnie-Herzégovine, Action humanitaire, Médias citoyens, Migrations & immigrés, Réfugiés
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Tuzla, décembre 2019. Photo : Armin Durgut/Balkan Diskurs, utilisée avec autorisation.

Cet article de Belma Kasumović a été originellement publié par Balkan Diskurs, [2] un projet du Post-Conflict Research Center [3] (PCRC, Centre de recherche Post-Conflits). Une version adaptée a été republiée par Global Voices le 28 septembre 2020 dans le cadre d'un accord de partage de contenu.

La Bosnie-Herzégovine est un carrefour migratoire [4] entre l'Europe de l'Est et de l'Ouest. Une soixantaine de milliers de personnes y sont entrées sans papiers entre le début de 2018 et juin 2020, selon [5] le Service des Affaires étrangères [6] du pays. Beaucoup d'entre eux viennent du Moyen-Orient et d'Asie du Sud, et leur destination est l'Europe de l'Ouest.

Mais l'itinéraire à travers la Serbie et la Hongrie étant barré par un mur frontalier, et la Croatie devenue de plus en plus dangereuse à traverser pour les migrants, des milliers se retrouvent bloqués en Bosnie, éparpillés dans des centres d'accueil ou vivant dans des camps improvisés.

A Tuzla, la troisième ville de Bosnie, les migrants habitent dans et autour de la gare routière, où ils ont accès à une petite fontaine publique et peuvent rencontrer des coreligionnaires. Si leur présence a provoqué la colère de quelques locaux, un groupe de bénévoles fait tout son possible pour leur apporter un peu d'aide.

“J'aborde chaque homme comme un être humain, sans me soucier s'il vient du Pakistan, du Maroc, d'Algérie. Je vois devant moi en être humain dans le besoin, et j'agis en conformité avec ça. C'est comme ça que tout commence”, dit Senad Pirić, un bénévole de Tuzla.

Un homme utilise la fontaine publique près de la gare routière à Tuzla en décembre 2019. Les migrants dépendent de cette fontaine pour boire et se laver. Photo : Armin Durgut/Balkan Diskurs, utilisée avec autorisation.

En 2018, Pirić travaillait comme journaliste et a été chargé de réaliser un reportage sur les migrants de la gare routière. Après avoir lié connaissance, il s'est mis à les aider en apportant des provisions, de la nourriture, de l'argent.

“La première année était assez facile pour nous, car les habitants ne remarquaient pas ces gens. Ils venaient ici la nuit, dormaient par là, dans la gare, dans le parc”, raconte-t-il.

Dans la gare routière, la propriétaire du restaurant, Azra Alibegović donne aux migrants un accès sans restrictions aux toilettes, douches et prises de courant. Pour la remercier, dit-elle, ils l'aident souvent à entretenir le jardin du restaurant.

“Dans la soirée, à la fermeture, ils enlèvent chaises et tables, démontent les parasols, et disent leurs salutations. En trois ans de travail avec eux, je n'ai jamais eu le moindre incident. Ils sont bons avec moi ici, ils me respectent, et je les respecte aussi”, ajoute Mme Alibegović.

A la gare ferroviaire de Tuzla, décembre 2019. Photo : Armin Durgut/Balkan Diskurs, utilisée avec autorisation.

Selon Wikipedia [7], Tuzla est l'une des rares villes bosniennes à avoir “su maintenir son caractère multiethnique pendant et après la guerre de Bosnie, avec des Bosniaques, Serbes, Croates et une petite minorité de juifs bosniaques qui habitent toujours la ville”.

Mais l'intolérance a tout de même frayé son chemin jusqu'au restaurant d'Azra Alibegović. Elle dit que les habitants évitent désormais d'y manger, et que même recruter une nouvelle serveuse s'est avéré difficile. “Elles disaient de suite ‘non, il y a des migrants, je ne veux pas travailler avec eux’.”

Dernièrement, la police est venue et a dit à Mme Alibegović que les migrants n'étaient plus autorisés à se rassembler à la gare. “Le policier m'a dit ‘Azra, tu as de nouveau des migrants dans le restaurant’, et j'ai répondu ‘ils sont mes seuls clients, je ne peux pas les chasser”.

Les bénévoles, eux aussi, ont encouru la réprobation des habitants. “On nous accuse de faire du trafic d'êtres humains, de leur fournir des armes, et que sais-je encore”, dit Pirić. “Dans les faits, ils [les détracteurs] ne trouvent rien à reprocher à nous ou à notre travail, parce que nous faisons ça avec tout notre cœur et de façon désintéressée, et ça l'air incompréhensible pour les gens”.

Amila Rekić aide habituellement les femmes migrantes en offrant un hébergement dans la Maison refuge [8], un lieu sécurisé pour les femmes victimes de violences intrafamiliales. Elle explique que le manque d'argent et la pression publique dissuadent d'autres bénévoles. “Il y a des habitants qui pensent que s'il n'y avait pas d'aide par les bénévoles, les migrants ne viendraient plus à Tuzla”, dit-elle.

Pour elle, la focalisation constante des médias sur les faits divers négatifs attise la défiance dans la population locale. “Oui, il y a existe des personnes qui posent des problèmes. C'est une conséquence d'avoir tout perdu, et d'être dépouillé des droits humains élémentaires. Cela se produit soit à cause de l'accumulation de tout ce stress, toute cette anxiété, et d'autres choses, ou simplement parce qu'ils sont ce genre d'individus – comme pour certains d'entre nous”, commente-t-elle.

Pirić dit que de beaucoup de migrants viennent avec le désir de trouver un travail, et en veulent à la société de les rejeter en dépit de leurs talents. “L'un d'eux a par exemple un talent pour la peinture. Nous avons eu un hafiz du Coran, un menuisier, un cuisinier. Aujourd'hui ils mendient tous dans les rues de notre pays alors qu'ailleurs leurs talents auraient eu de la valeur”.

Les chiffres de l'OIM pour la Bosnie-Herzégovine publiés en septembre 2020 [9] indiquent la présence de 7.400 migrants enregistrés dans sept centres d'accueil, provenant essentiellement d'Afghanistan, du Pakistan, de Palestine, de Syrie et d'Algérie.

Les amis marocains

La gare de Tuzla est une habitation provisoire pour deux amis marocains qui non seulement portent le même prénom, Hamza, mais aussi se partagent un emplacement pour dormir à la belle étoile. Ils ont fait connaissance quand ils étaient en Serbie et se sont retrouvés à Tuzla.

L'un deux a décrit ainsi comment à son avis les habitants les perçoivent : “Ils pensent que nous sommes tous les mêmes. Je sais qu'il y en a qui causent des problèmes, mais nous ne sommes pas tous pareils”.

La Bosnie n'est pas leur destination finale : ils espèrent tous deux rallier finalement l'Europe occidentale.

Les deux Hamza viennent déjeuner dans le restaurant d'Azra Alibegović. Photo : Belma Kasumović/Balkan Diskurs, utilisée avec autorisation.

Mme Rekić dit que les migrants témoignent souvent leur gratitude pour l'aide qu'ils reçoivent. “Le fait qu'ils nous appellent quand ils quittent le pays en est la preuve. Nous suivons le déroulement de leurs vies, on reste en contact. Nous faisons connaissance avec leurs familles”, raconte-t-elle. “Les moments les plus émouvants, c'est quand les mères apparaissent de l'autre côté de l'écran du téléphone et pleurent en nous remerciant de leur avoir donné un repas ou des chaussures ce jour-là, ou de leur avoir trouvé un toit “.

M.Pirić ne se satisfait pas de leur donner à manger ou de leur trouver un lieu où dormir. “Je veux leur rendre leur dignité, je veux qu'ils voient qu'ils ont de l'importance.”