L'article d'origine à été publié en anglais par OC Media. Le 25 novembre 2020, nous avons republié avec leur permission une version éditée conformément aux standards stylistiques de Global Voices.
[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages en anglais, ndlt]
Dans les plus grands districts de la République de Géorgie, Tskhaltoubo et Tsagueri, un projet hydroélectrique de 800 millions de dollars US se heurte à la résistance des habitants de la vallée du fleuve Rioni.
Le 22 novembre, des manifestants opposés au projet Namakhvani Cascade se sont rassemblés devant les bureaux de la société Enka Renewables à Zhoneti, un village situé à 20 kilomètres au nord de Koutaïssi, le chef-lieu de la province occidentale d'Iméréthie, pour réclamer son abandon.
« Nous manifestons depuis trois ans déjà, mais nous avons maintenant entamé une phase plus active et campons ici depuis 29 jours », a expliqué à OC Media Varlam Goletiani, un militant local de 27 ans, avant de réciter le Notre Père avec les autres manifestants, puis de se diriger vers les bureaux d'Enka Renewables, non loin de là à Zhoneti.
Les militants ont affirmé que la police à empêché plusieurs sympathisants de se joindre à la manifestation.
Ils ont également critiqué le ministère de la Protection de l'environnement, l'accusant d'avoir expédié les discussions publiques au sujet de la nouvelle centrale.
« Il y a deux ans, ceux d'entre nous qui avaient des questions concernant le projet ont purement et simplement été empêchés d'accéder aux endroits où se tenaient ces discussions, il s'agit là d'une violation flagrante de nos droits », a confié Varlam Goletiani à OC Media.
Le 22 novembre, l'avocate géorgienne Nino Lomjaria s'est jointe aux critiques et a rappelé aux autorités que le droit de participer au processus décisionnel sur des projets ayant un impact environnemental est garanti par la constitution.
Le projet de centrale hydroélectrique à Namakhvani comprend deux barrages d'une capacité totale de 433 MW. Le gouvernement anticipe une production annuelle de 1 514 GWh, ce qui équivaut à plus de 12 % de la consommation électrique du pays.
Trois cents familles perdront leur maison
Devenu récemment l'épicentre des manifestations, Zhoneti serait principalement affecté par la construction du barrage et de la centrale électrique de 333 MW prévus en-dessous de Namakhvani, auxquels s'ajouterait un tunnel de 4,4 kilomètres de long canalisant le fleuve Rioni.
Dans un rapport [geo] publié en 2019 sur l'impact environnemental du projet, l'agence Gamma Consulting basée à Tbilissi a confirmé que les eaux engloutiraient trois villages ainsi que des terres utilisées par les habitants de deux autres localités dans le district de Tskhaltoubo. Par le passé, ce groupe avait essuyé la critique des défenseurs de la politique écologique pour avoir approuvé des projets énergétiques infructueux.
En outre, la centrale prévue en-dessous de Namakhvani condamnerait l'accès à deux villages supplémentaires, ce qui amènerait le nombre des familles qui perdraient leur maison à 297 dans le district de Tskhaltoubo.
« Le gouvernement n'assume pas sa responsabilité d'expliquer à la population pourquoi il est nécessaire de construire cette centrale hydroélectrique et pourquoi les villageois vont devoir abandonner leurs maisons pour devenir migrants dans leur propre pays », s'est emporté Giorgi Ptskialadze, présent au rassemblement en tant que secrétaire général du groupe Mtsvaneebi (en français: les Verts).
Selon lui, le fait que le gouvernement mise sur l'hydroélectrique au lieu de développer le vent et le solaire « soulève de nombreuses questions ».
Les opposants au projet ont également mis en garde contre son impact sur la capacité des habitants de la vallée à gagner leur vie, notamment en raison de la menace qu'il représente pour le tourisme, la biodiversité, l'héritage culturel et la région dans son ensemble.
Les habitants de Tvishi, un village du district de Tsagueri dans la province historique de Letchkhoumie, ainsi que des spécialistes ont exprimé leur inquiétude quant aux conséquences du projet sur la production viticole. Selon eux, les zones de microclimat propices à la culture des variété locales de raisin telles que le Tsolikaouri et l'Ousakhelaouri pourraient être directement affectées.
Green Alternative (Alternative Verte), un groupe de surveillance qui voit les projets hydroélectriques en Géorgie d'un œil critique, a tiré la sonnette d'alarme l'année dernière en affirmant que la réalisation d'un tel projet en zone à risque sismique représentait
« un danger incontestable pour la vie humaine et les droits de propriété ».
L'Institut des sciences de la terre de l'Université d'État Ilia a écrit [geo] en 2019 que dans l'éventualité où un tremblement de terre endommagerait le barrage de 105 mètres prévu en amont de Zhoneti, une vague de 34 mètres de haut pourrait atteindre Koutaïssi en 19 minutes et causer des inondations dans 18 districts de l'ouest du pays.
« En fait, Koutaïssi et l'ensemble [de la plaine] de Kolkheti seront engloutis… On parle ici d'une vague de 35 mètres de haut ! », a affirmé à OC Media Tinatin Mardaleishvili, un ingénieur de procédés de 56 ans.
Enka Renewables, l'entreprise responsable du chantier, a annoncé en être pour le moment au stade des « travaux préparatoires » à Zhoneti.
L'entreprise n'a pas répondu aux questions d’OC Media qui voulait savoir en quoi consistaient ces « travaux préparatoires » et si on envisageait de rencontrer les habitants de la région mécontents du projet.
Des militants paralysent la construction du barrage
Le 14 novembre, une semaine avant la plus récente manifestation, la police avait dispersé un rassemblement organisé par une association citoyenne locale appelée Sauvons la vallée du Rioni, au cours de laquelle des habitants de Zhoneti et des villages alentours avaient bloqué la route reliant Koutaïssi au nord de la province. Ils réclamaient que l'entreprise quitte la région en emmenant son équipement de chantier.
Les manifestants, notamment des femmes, des enfants et des personnes âgées, s'étaient enchaînés les uns aux autres pour bloquer la route. Plusieurs d'entre eux/elles ont affirmé [geo] avoir été blessés lors de l'intervention des forces de l'ordre.
La 29 octobre, la police n'avait pas pu empêcher les militants d'ériger une large croix à l'emplacement où les travaux devaient commencer.
La violence de l'intervention policière du 14 novembre ainsi que l'insuffisance des mesures prises par le gouvernement pour s'assurer que le projet respecte les normes ont été vivement critiquées par de nombreux groupes de défense des droits humains en Géorgie, y compris Human Rights Education and Monitoring Center (Centre d'éducation et de veille des droits humains) et Georgian Young Lawyers’ Association (Association des jeunes juristes géorgiens).
De plus, dans une déclaration [geo] publiée le 19 novembre, plusieurs spécialistes géorgien.ne.s ont condamné d'une seule voix le « langage de la force » employé par le gouvernement contre les manifestations. Ils/elles ont exhorté les autorités à « abandonner leur rôle de lobbyiste en faveur des investisseurs » et à repenser la politique énergétique du pays.
Des inquiétudes « exagérées »
Le 19 novembre, la ministre géorgienne de l'Économie et du Développement durable Natia Turnava a qualifié les inquiétudes générées par le projet de Namakhvani d'« exagérées ».
Lors de son entretien avec OC Media le 22 novembre, l'organisateur des manifestations Varlam Goletiani a avoué qu'ils étaient « habitués à ce type de déclarations ».
« Qu'est-ce que ça veut dire? Nous avions des questions précises, une plainte a désormais été déposée… Vous abordez des points concrets et ils répondent que “le projet est important”. »
Le ministère a également affirmé que la construction du projet créerait 1 600 emplois.
À ceci, Ramaz Tskhakaia, un ancien combattant de la ville de Martvili qui s'est joint aux manifestants le 22 novembre, a fait remarquer à OC Media qu'ils n'en avaient que faire si cela signifiait la perte de leurs maisons. « À quoi serviront ces emplois si on se retrouve sous l'eau?! »
L'un des dossiers en appel encore en cours a été déposé en avril par Green Alternative auprès du Tribunal de la Ville de Tbilissi.
Le groupe y conteste [geo] une décision [geo] prise le 28 février par le ministère de la Protection de l'environnement qui valide les modifications du projet visant à augmenter la capacité du barrage de Namakhvani-Zhoneti. Green Alternative affirme qu'une nouvelle évaluation des impacts environnementaux et sociaux aurait dû être réalisée en tenant compte de ces changements.
Ni le ministère ni Enka Renewables n'ont souhaité répondre aux questions d’OC Media.