Noël sous le signe du COVID : un évènement sans précédent ?

L'archevêque de Canterbury, en soutane. Il porte des lunettes à montures discrètes et a les cheveux gris.

L’archevêque de Canterbury, Justin Welby. Photo de Roger Harris, sous licence CC BY 3.0.

Il est clair que le COVID-19 était bel et bien présent pendant les fêtes de Noël. En réalité, sa présence et son influence se sont accrues avec l’identification d’une nouvelle souche encore plus persistante et infectieuse. La veille de Noël, le nombre de cas a augmenté de 522 664 pour atteindre un total de 80 257 970, l’une des augmentations quotidiennes les plus élevées depuis le mois de février. Le nombre de décès a augmenté de 8 621 pour atteindre 1 757 249. Ce chiffre dépasse largement le nombre total de morts recensées par les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France pendant la Seconde Guerre mondiale. Aux États-Unis, qui reste la plus peuplée des nations chrétiennes, le nombre de cas a grimpé à 149 049, soit environ 50 % du nombre d'Américains qui ont succombé au cours de la Seconde Guerre mondiale.

La famine et la violence étaient loin d’avoir disparu durant les fêtes de Noël. Le plus grand nombre de décès depuis 1945 a été enregistré dans les pays pauvres. Ce fut également le cas pendant la Seconde Guerre mondiale (1939-1945). Au cours de ces années et par rapport au nombre de morts enregistré dans les autres pays, la Chine et la Russie ont connu le plus grand nombre de pertes humaines à cause de la guerre, de la famine ainsi que des problèmes sanitaires. Si l’on considère ce qui s’est produit au XXe siècle, il se pourrait qu'il y ait eu jusqu'à 180 millions de personnes tuées durant les guerres à travers le monde. Mais nous ne pouvons estimer les pertes indirectes causées par la guerre, par la famine, par l'exposition aux conditions météorologiques défavorables ainsi que par les infections. Même Noël n'est pas parvenu à mettre fin à ces guerres.

Le 27 décembre, lors de la messe du dimanche [en], l'archevêque de Cantorbéry [en], Justin Welby, chef de l'Église d'Angleterre, a qualifié ce Noël de « Noël sans précédent ». Qu'est-ce que cela voulait dire ? Même dans les plus grandes cathédrales, les anglicans savent sûrement que Noël est fêté partout dans le monde : dans les terres chrétiennes, dans les cultures non chrétiennes et par ceux qui essaient de survivre sans l'aide d’une religion reconnue.

Le COVID s'est manifesté presque partout dans le monde. Même la région peu peuplée du Sahara occidental n’a pas été épargnée. En effet, elle a enregistré 10 cas de contamination et un décès. Mais dans les pays les plus pauvres, la violence se poursuit. Chez des millions de personnes vivant dans les régions extrêmement pauvres, qui se trouvent souvent aux frontières de vastes étendues de terre ou qui vivent tapies dans l'ombre, employées dans l'économie souterraine des grandes villes, Noël est toujours rude. Dans de nombreux endroits similaires, le COVID-19 voyage presque incognito.

La violence perpétrée par les États-nations sur d'autres États s'est concentrée dans les pays pauvres d'Asie, d'Afrique, d'Amérique du Sud et d'Europe de l'Est. Depuis la Seconde Guerre mondiale, les conflits les plus sanglants ont vu le jour et ont persisté tout au long de la période des fêtes de fin d’année et cela dans différentes régions pauvres du monde. Ils ont souvent été provoqués et encouragés par des régimes chrétiens, exterminant des populations chrétiennes, juives, musulmanes, hindoues et bouddhistes par la puissance de feu ou par la famine. La plupart de ces victimes sont innocentes, comme tous les adultes de la communauté chrétienne primitive. On peut citer les 36 pays qui ont été impliqués dans la guerre du Golfe (1990-1991), ou celle d'Afghanistan qui date d’octobre 2001.

Il n'est guère surprenant que la plupart des analystes spécialistes des questions internationales soutiennent depuis longtemps que la famine n’est pas principalement le résultat de notre incapacité à produire suffisamment de nourriture pour nourrir 7,5 milliards de personnes. C’est en raison de notre réticence à distribuer de la nourriture à ceux qui en ont le plus besoin. Cela, à son tour, n’est pas dû à la mauvaise volonté d’un citoyen ordinaire des États-Unis, ou de l’Europe, ou de l’Australie, du Japon, du Canada, de Taïwan ou de la Chine, ni même de l’un des petits pays du Moyen-Orient qui se sont récemment enrichis.

Cependant, c'est le résultat de la violence politique injustifiée perpétrée par les dirigeants de ces pays et du manque de pouvoir, d'humanité ou de pression d'organisations internationales telles que les Nations Unies. La guerre bloque le flux de nourriture et de médicaments, qu'ils proviennent de programmes d’aide gouvernementale ou soient destinés au marché, et ce sont les citoyens des pays dits démocratiques qui permettent continuellement cela. Les prières de Noël n'ont rien changé, car elles ont autant d'effet sur les guerres que sur le COVID-19. Mais, alors que la détermination scientifique moderne peut mettre un terme à cette pandémie, le besoin de guerre et de destruction n’a pas été entravé par la bonne volonté chrétienne.

Il y a longtemps, Francis Galton (1822-1911) a écrit un chef-d’œuvre comique à ce jour inégalé, sous forme d'un article de statistiques intitulé « Sur l'efficacité de la prière ». Il a fait valoir que s'il existe une grande et puissante divinité chrétienne qui répond aux prières de ses adorateurs, dont les familles royales, tous les membres du clergé et les membres des comités de bienfaisance, ces derniers devraient alors avoir accès au bonheur absolu et vivre très longtemps. Pourtant, cette étude ayant démontré que la famille royale et les membres du clergé ne vivaient pas plus longtemps que les avocats et les marchands d'esclaves, on peut sérieusement mettre en doute l'efficacité de la prière.

Nous avons désormais un laboratoire bien meilleur que celui de Galton – le laboratoire mondial COVID, où la puissance bienveillante de Noël s'est avérée sans importance.

Bien que nous puissions, pour toutes sortes de raisons, célébrer Noël « de la meilleure façon possible » (comme nos politiciens nous enjoignent à le faire), nous ne devons pas tomber dans le piège tendu par l’archevêque — pour notre monde et les croyances qui y cohabitent, ce Noël n’a pas été un « Noël sans précédent ». Pour des millions de personnes, rien n’a changé. Il est toujours aussi douloureux, sordide et parfois même mortel.

Ainsi, pour les Londoniens qui ont assisté dans des conditions très restrictives aux cérémonies religieuses durant les fêtes de Noël, ou pour les millions de personnes qui ont participé à des évènements et à des rituels virtuels, pour tous ceux et toutes celles qui ont partagé des cadeaux joliment emballés et échangé leurs cartes de Noël délicatement illustrées, j’admets qu’il s’agit d’un « Noël sans précédent ». Mais pour des millions d'autres personnes, rien n’a changé. La famine, la violence et le COVID-19 sont encore bel et bien présents.

Le professeur Ian Inkster, historien et économiste politique à la School of Oriental and African Studies de l'Université de Londres, a enseigné et effectué des travaux de recherche dans diverses universités en Grande-Bretagne, en Australie, à Taïwan et au Japon. Il est l’auteur de 13 ouvrages sur les dynamiques asiatiques et mondiales, avec un accent particulier sur le développement industriel et technologique. Il est aussi le rédacteur en chef de la revue académique History of Technology depuis l’an 2000. Ses livres à paraître sont Distraction capitalism : The World since 1971 (traduction libre : Le Capitalisme de la distraction : le monde depuis 1971) et Invasive technology and indigenous frontiers. Case studies of accelerated change in History (traduction libre : Technologies invasives et frontières autochtones, études de cas de l'accélération du changement à travers l'Histoire), en collaboration avec David Pretel.

Suivez-le sur Twitter @inksterian.

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