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Le Conseil de sécurité de l'ONU met fin à ses rapports sur le Burundi, mais les observateurs des droits restent préoccupés

Catégories: Afrique Sub-Saharienne, Burundi, Droits humains, Élections, Gouvernance, Guerre/Conflit, Liberté d'expression, Média et journalisme, Médias citoyens, Politique, Relations internationales
Les trois membres de la commission ont l'air pensif et préoccupé. Françoise Hampson est une femme blanche aux cheveux poivre et sel. Lucy Asuagborest une femme noire aux cheveux gris. Doudou Diene est un homme noir chauve, assez âgé.

Doudou Diene (à droite), présidente de la Commission d'enquête des Nations Unies sur le Burundi, Lucy Asuagbor (au centre) et Françoise Hampson (à gauche), membres de la Commission d'enquête sur le Burundi, présentent leur rapport à la 40e session du Conseil des droits de l'homme, le 12 mars 2019. Photo ONU / Jean Marc Ferré via Flickr [1] / UN Genève, sous licence CC BY-NC-ND 2.0 [2].

Ce mois de décembre 2020, le Conseil de sécurité des Nations Unies (CSNU) a [3]décidé [3] de mettre fin aux rapports spécifiques [3]sur le Burundi. Le CSNU a noté une amélioration de la sécurité et des «élections globalement pacifiques», bien qu'il y ait toujours des sujets de [4]préoccupation [4] concernant les droits et l'espace démocratique.

En 2016, la résolution [5] 2303 [5] a demandé au secrétaire général de l'ONU de faire régulièrement rapport au Conseil de sécurité de la situation des droits humains dans ce pays, en raison de la crise politique entourant la troisième élection [6] controversée [6] [en] de l'ex-président Pierre Nkurunziza en 2015 [7].

Le Burundi a souvent figuré à l'ordre du jour du CSNU pour la surveillance de la paix et la sécurité internationales depuis le début de sa guerre civile en 1993 [9]. Celle-ci a pris fin en 2005 lorsque l'actuel parti au pouvoir, le Conseil national pour la défense de la démocratie – Forces pour la défense de la démocratie (CNDD -FDD) a remporté les élections ; Nkurunziza était président jusqu'à sa mort inattendue plus tôt cette année.

Un communiqué [10] [pdf] de l'actuel président burundais Évariste Ndayishimiye a accueilli cette décision «avec joie». Le président Ndayishimiye, qui a prêté serment en juin, a déclaré [11] que cette surveillance était motivée [12]par certains gouvernements cherchant une influence géopolitique et a insisté sur le fait que son pays était pacifique [13].

Dans la capitale Bujumbura, il y a eu des manifestations de joie, bien que SOS Médias Burundi ait [14]rapporté [14] les déclarations de certains participants qui affirment avoir subi des pressions pour y assister.

Quelle belle façon de conclure 2020 ! Le retrait du #Burundi du Conseil de sécurité des #NU n'est pas simplement un événement, c'est historique et une énorme victoire du Burundi, des Nations Unies et des amis du Burundi.

Beaucoup gens au Burundi étaient [20]sceptiques [20] quant à cette évolution et les membres de l'opposition sont [21]déçus [21] [en].

Louis Charbonneau de Human Rights Watch (HRW) a déclaré que [22]­ :

Les réunions du Conseil de sécurité sur le Burundi sont devenues de plus en plus controversées et irrégulières, alors que le Burundi et ses alliés au sein du Conseil tentent d’empêcher la surveillance indispensable de la situation dans le pays.

HRW pense que l'ONU devrait maintenant «rendre compte en détail de la situation en matière de droits humains, ainsi que sur les questions humanitaires et de sécurité» lors de ses réunions régionales – pour éviter de les mettre sur la touche.

L'analyste Thierry Vircoulon a [20]déclaré [20] que cette décision reflétait le manque d'influence de l'ONU, mais il était également sceptique quant à savoir si se montrer plus accommodant avec le nouveau gouvernement apporterait des changements concrets.

Le gouvernement burundais a essentiellement [23]bloqué [23] les tentatives [24] internationales [24] de surveillance ou de médiation depuis 2015, notamment le dialogue avec les membres de l'opposition en exil, négocié par la Communauté de l'Afrique de l'Est. La chercheuse Carina Tertsakian a [25]déclaré [25] que la décision du CSNU était regrettable, mais qu'elle n'avait concrètement pas fait grand-chose depuis plusieurs années en raison des divisions internationales [6] [en].

La décision a été précédée [26] [pdf] par le rapport de novembre du secrétaire général de l'ONU, qui était moins [27]critique que d'autres, ce qui suggère un dialogue au Burundi. Auparavant, le gouvernement organisait ses propres séances de dialogue, comme alternative à la médiation régionale, que l'International Crisis Group avait dénoncée, la traitant [28][en] de «simulacre», faisant ainsi écho aux positions officielles.

Cependant, le gouvernement a [29]refusé [29] la recommandation du rapport d'étendre la présence du bureau de l'envoyé spécial des Nations Unies qui fermera [30] l'année prochaine. Le bureau souhaitait faciliter [31] le dialogue entre le gouvernement et les opposants après la crise de 2015, mais les responsables ont [32]déclaré [32] que celui-ci était désormais «obsolète».

Les responsables veulent sortir définitivement de la crise de 2015. Le ministre des Affaires étrangères, Albert Shingiro, a déclaré que la [33]présence [33] de l'ONU ne devrait pas avoir un «caractère politique», mais plutôt concerner uniquement des questions telles que le développement économique. Les relations avec les institutions internationales sont tendues depuis des années, et les responsables rejettent [34] souvent les critiques, les considérant une ingérence impériale.

Le bureau des Nations Unies au Burundi a été [35]fermé [35] en 2014 [35][en] et celui de leur organe des droits humains a été fermé en 2019. Le Burundi a quitté la Cour pénale internationale lorsque celle-ci a commencé [36] à enquêter sur les violations des droits humains en 2017.

Les gains diplomatiques

Le retrait du Burundi de l'agenda du CSNU est utile aux responsables gouvernementaux qui peuvent soutenir que le pays est désormais pacifique et demander la levée [37] de la suspension de l'aide, compte tenu de ses problèmes économiques [38] importants depuis 2015, avec 1,7 million de personnes confrontées à l'insécurité alimentaire [39] [pdf].

Le nouveau gouvernement a obtenu d'autres gains diplomatiques. L'Organisation internationale de la francophonie a [41]levé [41] les sanctions [41] post-2015. Le président Ndayishimiye a récemment [42]rencontré [42] des représentants de l'Union européenne – qui appliquait des sanctions suite aux évènements de 2015 – et affirmé que le dialogue de haut niveau avait repris. Des échanges ont également eu lieu avec les autorités rwandaises [43], après des années de tensions.

M. Ndayishimiye met l'accent sur le renforcement de la coopération avec les autres pays [44] africains [44] et, en novembre, il s'est rendu [45] [en] en visite officielle en Guinée équatoriale, puis au Gabon, pour une réunion au sommet [46] des chefs d’État de la Communauté économique des États de l'Afrique centrale. C'est une diplomatie [23] nettement plus active que celle de son prédécesseur. Après l'échec du putsch de 2015, Nkurunziza n'a [47]quitté [47] le Burundi qu'une seule fois, pour une brève visite de l'autre côté de la frontière, en Tanzanie, où Ndayishimiye a également effectué sa première [48]visite [48] officielle à l'étranger.

De graves violations des droits humains

Le rapport [49] [en] annuel de la Commission [50] d'enquête [50] des Nations Unies (UNCOI), publié en septembre [51] 2020, était plus critique que le CSNU. Il n'a pas observé d'améliorations, affirmant qu'il y avait encore «des motifs raisonnables de croire» que de graves violations des droits humains visant [52] le principal parti d'opposition, le Congrès national pour la liberté, avaient été commises, en particulier autour des élections.

Les abus ont été principalement commis par des membres des Imbonerakure, des jeunes représentant le parti au pouvoir, «se comportant [53] comme des forces de l’ordre», des responsables locaux et des agents de renseignement. Avant même 2015, les analystes de l'ONU avaient déjà constaté avec inquiétude que les Imbonerakure ressemblaient à une [54]milice [54], et l'International Crisis Group a [55]relevé [55] [en] récemment qu'ils «continuaient de menacer» les [56]civils [56].

Le 6 octobre 2020, le mandat d'un an de la commission, établi en 2016, a été [57]renouvelé [57], comme le demandaient [58] diverses organisations de la société civile .

Observateurs des droits inquiets

Depuis les élections de mai, le journal Iwacu a fait [59]état [59]d'une situation calme entre les différents partis dans certaines communes, bien que les dirigeants de l'opposition se méfient des résultats des élections. Beaucoup plus de réfugiés sont rentrés récemment, même si certaines sources témoignent de pressions poussant les Burundais à revenir de Tanzanie, où nombre d'entre eux vivent dans des camps de réfugiés.

Alors que la vie quotidienne se poursuit, les rapports décrivent le danger de s'opposer au gouvernement ou de résister aux rackets locaux, tels que les «contributions [60]financières» forcées. [61]Récemment, 89 organisations de la société civile burundaise et internationale ont [62]appelé [62] à la libération des militants emprisonnés.

La Coalition burundaise des défenseurs des droits de l'homme, dont plusieurs organisations membres ont été interdites au Burundi, a publié un [63]rapport [63] accablant en décembre. Elle y a fait état de nombreuses disparitions forcées et de cadavres abandonnés – souvent enterrés sans enquête – et a invité les autorités à mettre fin aux exactions «presque quotidiennes», en particulier contre l'opposition et les anciens soldats. Elle a également décrit la corruption généralisée et le harcèlement des syndicalistes.

Cependant, ce rapport a été [64]rejeté [64] par Folucon F, une organisation de la société civile au Burundi, qui a affirmé que la paix régnait dans le pays.

Le rapport de l’Initiative pour les droits humains au Burundi, intitulé « Une mainmise sur l'avenir du Burundi [65] », a déclaré qu'il y avait eu moins d'abus par les Imbonerakure après l’investiture de M. Ndayishimiye, montrant ce qui pourrait être accompli si les hautes sphères de l'État faisaient preuve de volonté politique. Mais «à peine deux mois plus tard, les Imbonerakure sont retournés à leurs anciennes habitudes, arrêtant et battant des membres présumés de l'opposition», notamment à la suite des attaques [49] [en] de groupes armés en septembre et octobre.

Le rapport a également souligné que les espoirs de réforme des droits humains étaient mis à mal par l'influence continue des militaires extrémistes, certains placés à des postes à responsabilité dans les stuctures de pouvoir, comme le Premier ministre Alain-Guillaume Bunyoni.

Le rapport recommandait :

A ???????: dénoncez les violations des droits humains, plaidez pour la libération des militants, ne financez pas directement les contrevenants, ni rencontrez des hauts fonctionnaires.

Pour ?? : faites pression pour prévenir les violations des droits humains et promouvoir des réformes de long terme.

- L'Initiative des droits de l'homme au Burundi (@BHRI_IDHB)

Un diplomate a [67]déclaré [67] à RFI que le gouvernement de M. Ndayishimiye essayait d'«améliorer» le système contrôlé par le parti au pouvoir, le CNDD-FDD – du moins en apparence – plutôt que de le réformer fondamentalement.

Par exemple, il y a eu des poursuites anti-corruption, mais aux échelons inférieurs. Les détentions arbitraires et l'impunité pour les crimes graves se poursuivent : par exemple, l'activiste Germain [68] Rukuki [68] est toujours en prison ; la disparition [69] forcée [69]du journaliste Jean Bigirimana n'a pas fait l'objet d'une enquête ; et Fabien Banciryanino, un ancien parlementaire de l'opposition connu pour son franc-parler, a été [70]arrêté [70].

Il y a aussi des nouvelles plus positives : quatre journalistes d’Iwacu ont été [71]libérés [71] de prison par une grâce présidentielle le 23 décembre. Accusés d'atteinte à la sécurité après avoir rendu compte d'une attaque armée, ils étaient [72]détenus [72] depuis octobre 2019. La grâce ne prend pas en compte les critiques [73] à propos de leur arrestation arbitraire ni les lacunes du procès. Le fondateur d’Iwacu, Antoine Kaburahe, espère [74] cependant que cette libération pourrait signifier un avenir meilleur pour la liberté des médias.

Fondamentalement, le contrôle du CNDD-FDD sur les institutions, et celui exercé sur le parti par les militaires partisans de la ligne dure, se poursuivent face à une opposition faible. Pendant ce temps, le nouveau gouvernement a enregistré quelques succès diplomatiques, ce qui peut indiquer un manque continu de volonté politique de la part de la communauté internationale pour faire face aux violations des droits humains signalées.