À Trinité-et-Tobago, le projet de loi sur la passation des marchés est adopté, mais les craintes de corruption subsistent

La Maison Rouge, le siège du parlement de Trinité-et-Tobago, où le projet de loi sur la passation des marchés a été débattu. Photo de Dan Lundberg sur Flickr, prise vers la fin de la restauration la plus récente du bâtiment, en décembre 2019. CC BY-SA 2.0.

L’article d'origine a été publié en anglais le 11 décembre 2020.

[Sauf mention contraire, tous les articles renvoient à des liens en anglais, ndt.]

Le 8 décembre 2020, la veille de la Journée internationale contre la corruption, le Projet de loi sur les commandes publiques et sur la disposition de la propriété publique de 2020 [pdf] de Trinité-et-Tobago a été promulgué au Sénat (la chambre haute du parlement) par le vote d'une sénatrice indépendante, la Dr Maria Dillon-Remy. Les huit autres sénateurs indépendants, dont plusieurs se sont exprimés sans réserve sur ce qu'ils perçoivent comme les faiblesses de cette législation, se sont abstenus.

Le principal aspect du projet de loi qui préoccupe [pdf] la société civile, les organisations commerciales et même l'Office de la régulation de la passation des marchés (OPR) proprement dit, est la clause 5 [pdf], qui retire des attributions du régulateur de la passation des marchés, les services juridiques, médicaux, financiers, de comptabilité et de contrôle — ainsi que d'autres considérés comme similaires par le ministre des Finances.

Dans un pays où les citoyen·ne·s ont compris que les gouvernements successifs étaient corrompus (En 2019, l'indicateur de la perception de corruption de l'organisation Transparency International classait Trinité-et-Tobago au 85ᵉ rang des pays analysés, avec un score de 40 sur 100), il est à craindre que ce projet de loi n'ouvre effectivement la voie à des opportunités de corruption dans les contrats de gouvernement à gouvernement, ou dans les accords entre l'État et les organisations financières internationales.

Du point de vue [pdf] du gouvernement, le régulateur de la passation des marchés, qui n'est pas un représentant élu, ne devrait pas avoir le pouvoir de saper ces traités. Par ailleurs, de telles interférences pourraient limiter l'accès de l'État à certains types de financements internationaux et à des accords de coopération technique. Selon le ministre des Finances Colm Imbert, l'attitude du gouvernement est conforme aux meilleures pratiques internationales.

L'Office de la régulation de la passation des marchés (acronyme anglais : OPR) a cependant publié un avis consultatif public [pdf] qui déclare que, puisque ces accords entre gouvernements seront remboursés par des fonds publics, « il ne devrait pas y avoir d'exclusion de la surveillance de l'OPR ».

De nombreuses parties prenantes [pdf] estiment que le projet de loi aurait dû être renvoyé à la Chambre des représentants (la chambre basse du gouvernement) pour que le gouvernement présente les dispositions qui régiraient l'application de la loi, avant qu'elles ne soient présentées au Sénat pour un vote.

L'opposition du pays a récemment refusé de soutenir la reconduction du Projet de loi anti-gang de 2018 lors d'une tentative apparente de forcer la main du gouvernement concernant la législation sur la passation des marchés. Lorsqu'il a été critiqué sur son manque de soutien, le chef de l'opposition Whip David Lee a défendu la position de son parti en déclarant :

If you are serious about tackling crime, if you are serious about defunding the gangs, then you must bring procurement legislation so we have a system in place to avoid the continuation of this funding that is going on through Government contracts and the award of contracts.

Si vous prenez au sérieux la lutte contre le crime, si vous prenez au sérieux le fait de couper les financements aux gangs, alors vous devez faire advenir une législation de passation des marchés afin de disposer d'un système fonctionnel permettant d'éviter la continuation de ces financements qui ont cours au travers de contrats gouvernementaux et d'attribution de contrats.

Après la fin du débat du 8 décembre, le Sénat s'est constitué en comité pour examiner le projet de loi clause par clause et déterminer si des modifications supplémentaires étaient nécessaires. Le gouvernement a d'ores et déjà indiqué qu'il accepterait certaines des modifications qui ont été suggérées.

Le projet de loi doit maintenant retourner à la Chambre des représentants pour que ces modifications soient adoptées. Les chambres hautes et basses doivent s'accorder sur une position commune avant que le projet de loi ne puisse être promulgué. Ainsi, bien que la procédure reste ouverte à des ajustements supplémentaires, on ne s'attend pas à ce que le gouvernement concède sa position en ce qui concerne la Clause 5.

Avant le débat du Sénat, l'Association juridique de Trinité-et-Tobago (LATT) a laissé entendre que la clause était comparable à « une irrégularité constitutionnelle dégradant la confiance publique ». Sa position a été reprise par l'Institut de transparence de Trinité-et-Tobago (TTTI), la chambre de commerce du pays, le Conseil mixte consultatif du secteur de la construction (JCC), l'Association des fabricants de Trinité-et-Tobago (TTMA) et des groupes de société civile.

Par le passé, les projets intergouvernementaux ont été accusés de créer des opportunités pour le développement de la corruption. Bien qu'aucune preuve d'actes répréhensibles n'ait été soumise, la réputation de certaines sociétés chinoises avec lesquelles l'État a choisi de s'associer a coloré la perception du public. Un projet, cependant, — l'acquisition de 12 navires de garde-côtes en 2015 provenant des Pays-Bas pour un coût de 1 358 milliards de dollars trinidadiens (environ 200 millions de dollars américains) — fait maintenant l'objet d'une enquête criminelle néerlandaise.

En fait, les passations de marché à Trinité-et-Tobago ont été historiquement tellement exposées à la corruption que, en 1982, un comité nommé par le cabinet a été établi pour mener un examen exhaustif des accords intergouvernementaux. Ses conclusions ont été consignées dans ce qu'on appelle désormais le Rapport Ballah [pdf].

En se penchant sur l'idée du gouvernement selon laquelle les contrats d'État à État « élimineraient le lobbying actif associé à un courant sous-jacent de corruption (localement) », le rapport a conclu que de tels avantages étaient « plus illusoires que réels », que ces arrangements étaient « hautement discriminatoires » envers les entreprises locales et que « le coût du choix des accords intergouvernementaux pour Trinité-et-Tobago semblait l'emporter sur les avantages perçus ».

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