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Interview d'Ali Abdulemam sur les droits humains au Bahreïn

Catégories: Bahreïn, Droits humains, Médias citoyens, Advox

L’article d'origine [1] a été publié en anglais le 30 mai 2013.

Ali Abduleman [2] [en], un blogueur bahreïni, activiste politique et auteur [3] chez Global Voices, qui a vécu dans la clandestinité deux années durant au Bahreïn, est réapparu à Londres [4] [en] début mai 2013 : le gouvernement britannique lui a accordé l’asile politique. Ali Abduleman, fondateur de Bahrainonline.org, l’un des principaux sites Internet d’opposition et d’expression politique dans ce pays du Golfe, a organisé de nombreuses manifestations au Bahreïn en 2011. Il a été jugé par contumace [5] [en] par un tribunal militaire et reconnu coupable des charges de terrorisme et de subversion pendant sa cavale. Pour en savoir plus sur ces questions, les lecteurs sont invités à consulter le Dossier Spécial de Global Voices consacré aux protestations et aux menaces qui pèsent sur les droits humains au Bahreïn.

Le directeur du plaidoyer de Global Voices, Hisham Almiraat, a interviewé Ali Abduleman à Oslo, peu après son évasion de la nation insulaire.

Hisham Almiraat (HA) : Racontez-nous votre histoire avec vos propres mots.

Ali Abdulemam: How did I get out? I don't want to talk about it because I still need to protect the people who helped me, who hosted me, so I prefer not to talk about this and instead [to] focus on the situation in Bahrain. This is what matters — now I'm free, I'm safe, but the people in Bahrain are still struggling with this [tyrannous] regime. What we all need is to help people in Bahrain get their universal rights. This is what matters. To expose this regime, to understand that it's not any more the Middle Ages, it's the 21st century where everything is open and the exchange of information is available everywhere.

Ali Abdulemam (AA) : Comment je me suis échappé ? Je ne peux rien dire à ce sujet. Je dois encore protéger les personnes qui m’ont aidé, qui m’ont accueilli, donc je préfère ne pas en parler et plutôt me focaliser sur le plus important : la situation au Bahreïn. Je suis à présent libre et en sécurité, mais le peuple bahreïni, lui, souffre encore à cause de ce régime tyrannique. Notre devoir à tous est d’aider ce peuple à obtenir ses droits universels. C’est le plus important. Nous devons dénoncer ce régime, faire comprendre que nous ne sommes plus au Moyen Âge. Nous vivons au 21ᵉ siècle, tout y est transparent, et les échanges d’informations sont possibles partout.

HA : Que pouvez-vous nous dire sur la situation actuelle au Bahreïn et sur ce qui se passe pour les activistes qui y vivent, et qui luttent pour leurs droits ? Quel est l’état actuel des choses ? La situation empire-t-elle ? S’améliore-t-elle ?

AA: The situation is not developing…attacks on peaceful demonstrations continue. There is no moving forward for reforming, or giving the people their universal rights, there [are] no individual rights, there is no freedom of speech, there is no free press. So the situation is just like a state living 200 years back. The activists [are] struggling with this regime…they cannot move freely, they cannot speak freely, they cannot report what they see. Because [of] the law in Bahrain, the government can do [any]thing to change even a tweet to a criminal offense. But what you can see in the activists and the people in Bahrain is that they have…hope that they can bring change and they have an amount of dignity that no one can take. That's what makes you be sure that the change is coming from the hands of these youth.

AA : La situation n’évolue pas… Les manifestants pacifiques font toujours l’objet d’attaques. Il n’y a aucune avancée au niveau des réformes, les droits universels sont toujours bafoués, les libertés individuelles n’existent pas, il n’y a pas de liberté d’expression, pas de presse libre. On peut comparer la situation à celle d’un État d’il y a 200 ans. La situation des activistes sous ce régime est difficile. Ils ne peuvent pas se déplacer librement, ils ne peuvent pas s’exprimer librement, ils ne peuvent pas rapporter ce qu’ils voient. Le gouvernement peut aisément transformer un simple tweet en infraction pénale grâce aux lois du Bahreïn. Mais ce qui est frappant chez les activistes et chez le peuple au Bahreïn, c’est qu’ils ont bon espoir de pouvoir changer les choses, et personne ne peut leur arracher leur dignité. Nous pouvons être sûrs, au vu de cela, que le changement s’opèrera grâce à cette jeunesse.

HA : Vous pensez donc que les actions du gouvernement, au lieu de décourager les activistes bahreïnis et les militants pro-démocratie, a donné du courage et plus d’espoir à leur communauté ?

AA: I believe the regime failed to reproduce fear inside the people. What the other Arab regimes continue to do in other regions the Bahrain government failed to deliver it to its people. People now, they are not afraid and they believe they are right. No one can break them. And instead as you say, instead of breaking them, it's just making them more and more believe that change is more necessary now than any other time. There is [a] point that everybody should understand: This generation is totally different than any other generation that Bahrain [has seen]. Most generations broke within 2-3 months or 2-3 years. This generation is unbreakable. So if the regime wants this battle to take such a long time, let it be, but I'm convinced that they will not give up until they make the change that they want.

AA : Je pense que le régime n’a pas réussi à susciter la peur chez les gens. Ce que les autres régimes arabes continuent de faire dans d’autres régions, le gouvernement bahreïni n’a pas pu l’appliquer sur son peuple. Aujourd’hui, les gens n’ont pas peur, ils croient en leur cause. Personne ne peut les briser. Au contraire, comme vous l’avez dit, au lieu de les briser, ça les convainc de plus en plus que le changement est plus que jamais nécessaire. Il y a quelque chose que tout le monde doit savoir : cette génération est totalement différente de toutes les autres générations que le Bahreïn a connues. La plupart des générations ont été brisées en 2-3 mois ou en 2-3 ans. Cette génération est inflexible. Donc, si le régime s’obstine à vouloir faire durer la bataille, qu’il en soit ainsi. Mais je suis persuadé qu’ils se battront jusqu’à ce que le changement qu’ils attendent s’opère.

HA : Pensez-vous que le soutien international dont vous avez fait l’objet pendant votre période de clandestinité au Bahreïn a aidé votre cause ? Ainsi que celle des militants pro-démocratie au Bahreïn ?

AA: Yeah for sure, it's clear that the support that I got from NGOs especially help[ed] a lot in protecting other activists. [It's] clear now that they attacked me, they jailed me, they sentenced me to fifteen years….I wanna just mention something: During my hiding, yes the support from the NGOs had some effect on the government, but the big effect was on me personally, that they still remember[ed] me, that they [wrote] about me, so this cheer[ed] me up and the feeling that whatever I was doing wasn't wrong, that there are people who believe in me, even with the amount of attack by the regime. But still the officials of the NGOs believing that I'm innocent and that all the accusations by the government [were] not true. The effect on me personally was so high.

AA : Oui, sans aucun doute. Il est clair que le soutien que j’ai reçu des ONG, principalement, a fortement contribué à protéger d’autres activistes. Il est clair aujourd’hui que j’ai été agressé, jeté en prison, condamné à quinze ans de réclusion. Je tiens juste à dire quelque chose : le soutien que j’ai reçu des ONG pendant ma cavale a eu un effet certain sur le gouvernement. Mais c’est moi que ça a le plus impacté. Le fait qu’ils ne m’aient pas oublié, qu’ils aient rédigé des articles à mon sujet, m’a beaucoup réconforté. Cela me confortait dans ce que je faisais. J’avais le sentiment que les gens croyaient en moi en dépit de tout ce que je recevais comme attaques de la part du régime. Les responsables des ONG croyaient toujours en mon innocence, ils n’ont pas cru aux fausses accusations du gouvernement. L’effet sur ma personne a été considérable.

HA : D’après vous, maintenant que vous êtes libre, quelles actions devraient être menées ? Et que devraient faire les ONG et les défenseurs internationaux pour la situation au Bahreïn ? Auriez-vous un conseil à donner aux organisations internationales ou aux personnes désireuses d’aider ?

AA: The first thing I think anybody who wants to work for Bahrain people [should know], [is that] you shouldn't see them as Sunni or Shiite or something. They are human. They need basic human rights. What [is] mentioned in the [Universal] Declaration of Human Rights — we want it in Bahrain. We want equal citizenship, we don't want second class or third class citizenship. So anyone who wants to work for Bahrain, let me just look at them as a human being. And for the NGOs — because, I met with some NGOs, and they were kind of [saying] you have to decrease your demands [in order] for resolution to happen in Bahrain. Well, I believe that it's not my mistake if my universal rights [have] been stolen by the regime, that I should give it to the regime just for the safety and security of the state. I believe that to secure our country for the long term, it's better to have our rights completely without any [restriction]… In short, we are human, regardless of our [faith], and our demands [are] our universal human rights.

AA : Pour moi, il est primordial qu’une personne qui souhaite apporter de l’aide aux Bahreïnis les voie comme des humains, pas comme des sunnites, des chiites, ou quoi que ce soit d’autre. Ils ont besoin que leurs droits élémentaires soient reconnus. Nous voulons que soit appliqué au Bahreïn ce qui figure dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Nous voulons l’égalité des citoyens. Nous ne voulons pas être considérés comme des citoyens de seconde ou de troisième zone. Donc, quiconque veut aider le Bahreïn doit considérer les Bahreïnis comme des êtres humains. Et concernant les ONG… parce que j’ai eu affaire à des ONG qui m’ont conseillé de revoir mes exigences à la baisse pour que le changement s’opère au Bahreïn : eh bien, je considère que ce n’est pas de ma faute si mes droits universels m’ont été volés par le régime. Je considère qu’il est de mon devoir de protester contre le régime pour que la sûreté et la sécurité de l’État soient garanties. Je crois que, pour protéger notre pays sur le long terme, il est préférable que chacun de nos droits nous soit octroyé sans restriction aucune… En résumé, peu importe notre croyance religieuse, nous sommes des êtres humains, et nous voulons jouir de nos droits universels.

HA : Et pour finir, auriez-vous un mot pour la communauté de Global Voices ?

AA: Yes, Global Voices helped me so much and kept me remembered by the online activists in the community. I really thank them all. They were really true friends. I would really thank god for letting me work with them once and I'm always thanking my god for all these good friends including Global Voices. I love their work, I was following their website to know what's going on and I just wanted to say that your work…cheered me up and [made] my spirits so high, when I hear that you talk[ed] to this NGO or that EU member, thank you so much for all that you did for me.

AA : Oui. Global Voices m’a beaucoup aidé. Global Voices a fait en sorte que les cyber-activistes de la communauté ne m’oublient pas. Je les remercie tous du fond du cœur. Ils ont été de véritables amis pour moi. Je remerciais sans arrêt Dieu de m’avoir permis de travailler avec eux. Je ne cesse de remercier Dieu pour tous mes bons amis, notamment pour mes amis de Global Voices. J’admire vraiment leur travail. Je suivais constamment leur site Internet pour m’informer. Je tiens juste à vous dire que votre travail m’a beaucoup réconforté et m'a redonné espoir quand j’apprenais que vous aviez rencontré telle ONG ou tel membre de l’UE. Merci beaucoup pour tout ce que vous avez fait pour moi.

HA : Merci, Ali.