Caraïbes : l'auteur Brian Heap, lauréat du prix régional du Commonwealth 2020, nous parle de son rapport à l'écriture

L'auteur Brian S. Heap pris en photo depuis une caméra d'ordinateur. Il a une courte barbe blanche et porte des lunettes à montures rectangulaires.

Brian S. Heap, vainqueur du prix de nouvelles du Commonwealth 2020 pour la région Caraïbes. Capture d'écran tirée de la vidéo YouTube des Commonwealth Writers intitulée « #CWprize 2020 Shortlist » (présélection du prix du Commonwealth 2020).

L’article d'origine a été publié en anglais le 17 juin 2020. Il s'agit du deuxième volet d'une entrevue en deux parties. Lisez la première partie ici (en français).

[Sauf mention contraire, tous les liens de cet article renvoient vers des pages en anglais, ndlt.]

Dans la vidéo des Commonwealth Writers qu'il a enregistrée après avoir appris que son histoire, Mafootoo, avait été présélectionnée pour le prix de nouvelles du Commonwealth 2020, Brian Heap a qualifié la narration de « plus grande réalisation des êtres humains ».

En tant qu'éducateur à la retraite et ancien directeur du Centre Philip Sherlock pour les arts créatifs du campus de Mona de l’Université des Indes occidentales (UWI) à Kingston, en Jamaïque, M. Heap, a entretenu une relation étroite avec la narration pendant la plus grande partie de sa vie : en racontant lui-même des histoires, en apprenant celles des autres et en étant un digne gardien de ces récits.

Il a également dirigé 15 pantomimes jamaïcaines annuelles, écrit plusieurs livres, articles et communications pour des conférences, et a reçu en 2002 la médaille d'argent Musgrave de l'Institut de la Jamaïque.

Après sa sélection en tant que gagnant des Caraïbes du prix régional de nouvelles du Commonwealth 2020, nous avons discuté par e-mail de son histoire, Mafootoo, de narration en général et de ce que la victoire signifie pour lui.

Portrait de l'auteur Brian S. Heap sur fond noir. Il porte une chemise à carreaux et tient dans la main un livret.

Brian S. Heap, vainqueur des Caraïbes du prix régional de nouvelles du Commonwealth 2020. Photo grâcieusement fournir par Brian S. Heap.

EL : Vous êtes bien connu comme une référence en ce qui concerne le théâtre jamaïcain. Est-ce votre première initiative dans l'écriture en prose ?

BH: I did do some prose writing many years ago, but I seem to remember that it wasn’t very well received at the time, or so I felt. I sort of convinced myself that I was better at drama and that I should stick to that particular genre. Plus, I was really fortunate to have the University of the West Indies supporting me in getting productions onto the stage. Otherwise, I think drama would have been an overwhelming challenge.

BH : J'ai fait quelques textes en prose il y a de nombreuses années, mais je me souviens que la réception n'avait pas été très bonne à l'époque, ou c'est comme cela que je l'ai perçu. Je me suis en quelque sorte convaincu que j'étais meilleur dans le théâtre et que je devais m'en tenir à ce genre spécifique. Et puis, j'ai eu la chance que l’Université des Indes occidentales m'aide à porter des productions à la scène. Sinon, je pense que le théâtre aurait été un défi insurmontable.

EL : Quelles sont les différences entre raconter une histoire au théâtre et par le biais d'une nouvelle ?

BH: The difference is really between ‘showing’ and ‘telling.’ In drama, I get to work with wonderful shapeshifters called actors who bring the characters to life on stage in all their many dimensions. Good actors will take you into the deep psychological recesses of a character and show that to the audience.

The audience can see the relationships between characters unfold in time and space in front of them and respond accordingly. The audience is ‘reading’ a complex semiotic field of spoken word, gesture, body language, lighting, silence, movement, proxemics and stillness. Largely because of the development of film and television, modern audiences have become very sophisticated and adept at interpreting nuances in the dramatic performance.

Telling a story via the symbolic process of writing it down depends even more heavily on the skills of your audience for its interpretation. I often say that being able to read doesn’t necessarily make somebody a reader. A lot of functionally literate people don’t have the patience to get through a story, much less a novel. Yet, other people will get totally lost in reading a book. I laughed at one comment about ‘Mafootoo’ where the reader said she devoured it ‘in one gulp.’

BH : La différence se situe réellement entre « montrer » et « raconter ». Dans le théâtre, j'ai travaillé avec de merveilleux transformistes appelés acteurs qui donnent vie aux personnages sur scène dans toutes leurs dimensions. Les bons acteurs sont capables de vous mener dans les profonds méandres psychologiques d'un personnage et de montrer cela au public.

Le public peut voir les relations entre les personnages se développer dans le temps et l'espace devant eux et réagir en conséquence. Le public « lit » un champ sémiotique complexe composé de paroles, de gestes, de langage corporel, de lumière, de silence, de mouvement, de proxémie et d'immobilité. En grande partie à cause du développement du cinéma et de la télévision, les publics modernes sont devenus très sophistiqués et habiles à interpréter les nuances dans la performance théâtrale.

Raconter une histoire par le processus symbolique de l'écriture dépend davantage des compétences de votre auditoire pour son interprétation. Je dis souvent que savoir lire ne fait pas nécessairement de quelqu’un un lecteur. Beaucoup de personnes qui ont des compétences fonctionnelles n’ont pas la patience d'affronter une histoire, et encore moins un roman. Pourtant, d'autres personnes se perdent totalement dans la lecture d'un livre. J’ai ri d’un commentaire sur Mafootoo où une lectrice m’a dit avoir dévoré l'histoire « en une seule bouchée ».

EL : Evadne, votre protagoniste, est une femme pragmatique et qui a son franc-parler. Avez-vous déjà rencontré une telle femme dans la vie réelle ?

BH: I have met several no-nonsense women like Evadne; not all of them were Jamaican, though many were. I’m sure the same is true for you. Many readers of the story have commented that they know Evadne well, so I’m really encouraged by that kind of response.

BH : J'ai rencontré plusieurs femmes pragmatiques comme Evadne ; elles n'étaient pas toutes jamaïcaines, bien que beaucoup l'aient été. Je suis sûr que vous pourriez en dire autant. Beaucoup de lecteurs de l'histoire ont commenté qu'ils connaissent bien Evadne, donc je suis vraiment stimulé par ce genre de réponse.

EL : Quels projets avez-vous en tête pour l'avenir ?

BH: There may be a theatre festival later in the year, but it will probably have to go virtual since it is unlikely that theatres will reopen any time soon, due to COVID-19. I am working on a couple of other short stories which are slowly coming together. I think I’m going to have to pick up the pace if I want to put together a collection!

BH : Il y aura peut-être un festival de théâtre plus tard dans l'année, mais il faudra probablement passer à une version virtuelle puisqu'il est peu probable que les théâtres ouvrent à nouveau prochainement, en raison du COVID-19. Je travaille sur quelques autres nouvelles qui avancent lentement. Je pense que je vais devoir accélérer le rythme si je veux assembler une collection !

EL : Quelle est l'importance de l'humour dans la narration ?

BH: The Jamaican practice of ‘tekkin’ serious t’ing, mek joke’ [taking serious things and making jokes of them] is both inspired and inspiring — so, at what should be a tragic moment in the story, a phrase like ‘plug him out’ makes you want to laugh, all the more so because it is given an earnestly straight-faced delivery.

Jamaican language tends to have that effect because it is designed to subvert the English language. I love its frequent juxtaposition of archaic English words and African expressions and syntax, which can be used to sometimes devastating effect. That is not to say that Jamaican language cannot be tender or poetic, which it obviously can, but its wry comic impact can enrich a story immensely. A little humour can lighten the writer’s hand.

BH : La pratique jamaïcaine de plaisanter sur des choses sérieuses est à la fois inspirée et inspirante. Ainsi, à ce qui devrait être un moment tragique de l’histoire, une phrase comme « débranchez-le » vous donnera envie de rire, d'autant plus qu'on vous le dit de façon sincère et directe.

La langue jamaïcaine a tendance à avoir cet effet parce qu'elle est conçue pour subvertir la langue anglaise. J'adore sa juxtaposition fréquente de mots anglais archaïques et d'expressions et syntaxe africaines, qui peut être utilisée avec des effets parfois bouleversants. Cela ne veut pas dire que la langue jamaïcaine ne peut pas être tendre ou poétique, elle peut l'être évidemment, mais son impact comique sur le mode de l'ironie peut immensément enrichir une histoire. Un peu d'humour peut rendre l'écriture plus légère.

EL : Qu'est-ce que la victoire signifie pour vous ?

BH: Making it to the shortlist of 20 writers from a field of 5,107 entries was already more than I could have imagined. To have actually won the Caribbean Regional Award left me in total shock. Winning the overall award would probably be, in the words of Rex Nettleford, “Gilding the anthurium.”

BH : Être parmi les 20 meilleurs écrivains sur un total de 5 107 en compétition était déjà plus que ce que j'aurais pu imaginer. Avoir effectivement gagné le prix régional des Caraïbes m'a laissé dans un état de choc absolu. Remporter le premier prix serait probablement, pour reprendre les mots de Rex Nettleford, « la dorure de l'anthurium ».

Commentez

Merci de... S'identifier »

Règles de modération des commentaires

  • Tous les commentaires sont modérés. N'envoyez pas plus d'une fois votre commentaire. Il pourrait être pris pour un spam par notre anti-virus.
  • Traitez les autres avec respect. Les commentaires contenant des incitations à la haine, des obscénités et des attaques nominatives contre des personnes ne seront pas approuvés.