- Global Voices en Français - https://fr.globalvoices.org -

Au Mozambique, santé publique et droits numériques sont renvoyés dos à dos pendant la pandémie

Catégories: Mozambique, Médias citoyens, Santé, Sciences, COVID-19, Advox
L'hôpital est un bâtiment à trois étages peint en jaune. A l'entrée, on voit des fresques communiquant des messages de prévention.

L'Hôpital central de Maputo, au Mozambique. 14 juillet 2018. Photo par Jcornelius [1] via Wikimedia Commons, sous licence CC BY-SA 4.0. [2]

S'alignant sur des mesures prises par plusieurs autres pays africains afin de maîtriser la propagation du coronavirus, le Mozambique a déclaré l'état d'urgence [3] en mars dernier et l'a reconduit à trois reprises [4] en raison de l'augmentation du nombre de cas de COVID-19.

Depuis la mi-décembre, les cas sont en augmentation dans le pays. Au 19 janvier, il y avait plus de 27 446 cas et 249 morts [5], selon les chiffres communiqués par l'Université John Hopkins. Les hôpitaux publics fonctionnent actuellement à 90% de leur capacité et les cliniques privées n'ont plus de lits disponibles pour accueillir des malades.

Depuis septembre 2020, le décret d'état d'urgence [6] [pt ; pdf] a imposé un certain nombre de mesures restrictives [7] [en] qui limitent la circulation des personnes et des biens.

Pour assurer la diffusion rapide d'informations sanitaires essentielles et exactes pendant cette période, plusieurs plateformes numériques ont vu le jour à l'initiative d'organismes publics et privés. Cependant, celles-ci manquent de transparence en ce qui concerne leurs modalités de fonctionnement, et en particulier leur impact potentiel sur la sécurité des individus et la protection des données personnelles.

Gestion de l'information, données privées et sécurité

La plateforme Fica Atento [8] (Restez vigilants), créée par l'Institut national de santé publique (INS), est conçue pour transmettre des informations officielles à propos de la pandémie au Mozambique, tandis que l'application CovidMoz diffuse des données en temps réel sur le COVID-19 dans le pays.

Rien n'oblige les Mozambicain⸱e⸱s à consulter l'application Fica Atento soutenue par le gouvernement, mais celle-ci semble être la source plus recommandée pour s'informer sur la pandémie. En revanche, CovidMoz est une initiative privée plus récente.

Au troisième trimestre de l'année 2020, Fica Atento déclarait avoir 80 000 utilisateurs, contre plus de 50 000 pour CovidMoz. Aucune des deux entreprises n'a communiqué à Global Voices ses données démographiques les plus récentes.

L'application CovidMoz permet de suivre les statistiques du coronavirus au Mozambique. On y accède à des chiffres (nombre de cas, de guérisons, etc) et à des courbes d'évolution.

Capture d'écran de l'application CovidMoz, réalisée le 13 janvier 2021.

Les créateurs de CovidMoz, Luís Pereira et Clayton Matule, estiment qu'il faut mettre l'accent sur les questions de sécurité pour toutes les applications connectées, y compris la leur. Lors d'un entretien pour Global Voices, ils ont déclaré que les utilisateurs devraient partir du principe que toutes les applications contenaient des mécanismes de traçage et de collecte des données. Ils recommandent par ailleurs d'encourager les applications à mettre à disposition de leurs usagers des systèmes pour faire remonter l'information et traiter les problèmes rencontrés.

Ils sont cependant catégoriques sur le fait que CovidMoz ne stocke pas les données de ses utilisateurs, à l'exception des adresses email qui servent à envoyer des notifications ainsi que des mises à jour quotidiennes optionnelles. Selon les deux créateurs de l'application, la liberté de choix des utilisateurs est respectée puisqu'il est possible de se désinscrire de cette fonctionnalité.

Pourtant, Luís Pereira et Clayton Matule reconnaissent ne pas être certains que leur plateforme assure actuellement la sécurité et la protection des données privées des utilisateurs. En outre, bien qu'il existe une loi sur les transactions électroniques, le Mozambique ne possède aucune législation sur la sécurité des données.

Clayton Matule a confié à Global Voices :

We are not right [about its current privacy settings] but we are here to find solutions and help, because we all want to support, and it makes no sense to violate people's privacy to make money. … We have to have a bit of ethics and empathy to respect who accesses our platform, but let's be honest, nobody reads the terms and conditions…

Nous avons tort [à propos des paramètres de sécurité actuels] mais nous sommes là pour apporter notre aide et trouver des solutions, car nous voulons tous être un soutien, et cela n'a aucun sens d'enfreindre le droit à la vie privée des gens pour se faire de l'argent. […] Nous devons faire preuve d'un minimum de sens éthique et d'empathie pour respecter les personnes qui se connectent à notre plateforme, mais soyons honnêtes, personne ne lit les conditions générales d'utilisation…

Rien n'indique cependant ce que l'entreprise compte faire des adresses email de ses utilisateurs après la pandémie. Lorsque Global Voices a consulté la plateforme, les conditions générales d'utilisation étaient introuvables.

En plus des applications, le gouvernement a mis en place d'autres types de mesures qui impliquent la collecte des données des citoyens au nom de la lutte contre le COVID-19.

En mars dernier, le gouvernement a par exemple inauguré un système de suivi et de traçage par GPS pour tous les voyageurs entrant au Mozambique par voie aérienne ainsi qu'aux frontières terrestres. L'article 3 du décret d'état d'urgence [6] [pt ; pdf] dispose que la police et les autorités sanitaires « doivent créer les conditions nécessaires pour localiser, en temps réel, par ses coordonnées géographiques », quiconque a été en contact direct avec le virus.

Ce système a par la suite été abandonné sans explication et rien n'indique si les données ainsi collectées ont été effacées, et dans le cas contraire, où elles sont stockées.

Le personnel du ministère de la Santé et les résidents du programme de formation en épidémiologie de terrain et en laboratoire du Mozambique [9] ont réalisé des opérations de recherche des contacts au cours desquelles les personnes qui avaient été en contact avec le virus étaient priées de fournir leur numéro de téléphone portable ainsi que leur adresse. Ces informations ont ensuite été enregistrées et transmises aux services de santé du secteur public.

Les discours en ligne sur le coronavirus

Mussa Chaleque, de l'Institut national de santé publique (INS), a fait part de ses préoccupations à Global Voices lors d'un entretien. Selon lui, la communication institutionnelle est entravée par la diffusion d'un grand nombre de « fausses informations » sur le coronavirus et une bonne partie de la population est mal renseignée sur la situation du pays au regard du COVID-19.

En février 2020, avant que le premier cas ne se déclare, les autorités mozambicaines avaient mis la population en garde contre la désinformation à propos de la pandémie dans un communiqué de l'Hôpital central de Maputo [10] [en] :

“Any information on the evolution of coronavirus in the country will be reported promptly through the usual communication channels.”

Toute information concernant l'évolution du coronavirus dans le pays sera communiquée dans les meilleurs délais par les moyens de communication habituels.

Un mois plus tard, le journal mozambicain CanalMoz [11] [pt] annonçait les premiers cas de COVID-19, sans que ceux-ci aient été confirmés par le ministère de la Santé.

L'INS a également publié plusieurs tweets réfutant divers mythes relatifs au coronavirus qui circulent sur internet, par exemple l'idée que le virus pourrait se transmettre par contact sexuel :

Jusqu'à présent, il n'y a aucune preuve que le sperme ou la sueur puissent transmettre le #COVID19. Cependant, l'infection par le coronavirus peut se produire au cours d'activités sexuelles, à travers des baisers ou en raison d'un contact rapproché, puisque le virus se transmet par des goutelettes de salive.

[image]
L'affiche estampillée « ministère de la Santé » dissipe un malentendu à propos du COVID-19, en confirmant que « le coronavirus ne se transmet pas par le sperme ou la sueur ». Les internautes sont invité⸱e⸱s à s'assurer que les informations qu'iels partagent sont correctes et proviennent de sources officielles.

Dans un autre tweet, l'INS informe le public que les antibiotiques sont efficaces contre les bactéries et non contre les virus :

Les antibiotiques combattent les bactéries, et non les virus. Ainsi, ils ne peuvent pas être utilisés pour prévenir ou guérir le nouveau coronavirus. Cependant, les antibiotiques peuvent être utilisés dans le traitement d'une autre infection présente chez le ou la patient⸱e atteint⸱e de COVID-19. #Covid19Moz #RestezVigilants

[image]
Une affiche du ministère de la Santé revient sur des idées reçues véhiculées à propos du coronavirus, indiquant que « les antibiotiques ne sont ni un mode de prévention, ni un traitement contre le coronavirus ».

Le tweet suivant tord le cou à l'idée reçue selon laquelle l'exposition au soleil pourrait contribuer à éliminer le virus : 

Il est important de s'exposer au soleil pour produire de la vitamine D et renforcer le système immunitaire mais cela ne vous empêche pas de contracter le #COVID19. Pour éviter une contamination par le nouveau coronavirus, lavez-vous les mains plusieurs fois avec de l'eau et du savon, et maintenez-vous à une distance de 1,5 mètres des autres personnes.

[image]
Une affiche du ministère de la Santé résume le propos :
« COVID-19, vrai ou faux ? Rester au soleil aide à se prémunir contre le Covid-19. Faux. »

En décembre 2020, l'Institut des médias d'Afrique australe a créé la plateforme MisaCheck [21] [pt], consacrée à la vérification des faits avancés dans les médias mozambicains. L'objectif de MisaCheck est de détecter les fausses informations sur des questions d'intérêt national et de communiquer les résultats de ces enquêtes au public mozambicain. Leur premier projet portait sur le déni de l'existence du COVID-19 [22] [pt] par les citoyen⸱ne⸱s.

Mussa Chaleque a expliqué à Global Voices que, durant une discussion en ligne [23] [en] à propos de la désinformation dans les espaces numériques, qui s'est tenue en juin 2020 en marge d'une rencontre organisée en Tunisie par les Centres africains de contrôle des maladies, de nombreuses personnes avaient demandé si les informations diffusées sur les médias sociaux étaient issues du ministère de la Santé.

To answer this question, we created a digital platform called PENSA. Thus, the creation of the platform was the first initiative, and our inspiration was South Africa.

Pour répondre à cette question, nous avons créé une plateforme numérique nommée PENSA. Ainsi, la création de cette plateforme était la première initiative et nous nous sommes inspirés de l'Afrique du Sud.

La plateforme mHealth de PENSA [24] [en] met gratuitement à disposition de toute personne au Mozambique des informations de santé approuvées par le gouvernement. Plusieurs modes d'accès sont possibles : par USSD, par SMS ou via un site interactif.

Disponible en composant le *660# (même code pour tous les opérateurs de téléphonie mobile du pays) ou en consultant le site web [25], PENSA permet aux citoyens de « voir les symptômes, les gestes de prévention ainsi que des informations générales sur plusieurs maladies ; voir des informations sur la santé maternelle, le développement infantile, et les vaccins ; obtenir les coordonnées des centres de santé ; et plus encore ».

La mission de service public de PENSA consiste à diffuser aussi largement que possible des informations parfaitement exactes, en collaboration avec le ministère de la Santé.

Les différences entre PENSA, du ministère de la Santé, et Fica Atento, de l'INS, sont minimes.

M. Chaleque a expliqué qu'il ne pouvait pas en dire davantage au sujet des questions de sécurité et de protection des données privées, puisque l'INS ne collecte que peu de données. Le site contient cependant une boîte de dialogue permettant aux gens de poser des questions et de recevoir les réponses par email, sans que ces adresses ne soient enregistrées, a-t-il déclaré.

Il reconnaît pourtant que les données personnelles peuvent être récupérées par l'application de chat automatique (chatbot) [26] [pt], qui est utilisée par l'INS pour envoyer des messages concernant le COVID-19 sur WhatsApp.

Bien que le décret d'état d'urgence fournisse un cadre légal général pour ces diverses mesures, la protection de la sécurité numérique et des données privées des citoyen⸱ne⸱s pendant cette période reste une zone de flou juridique.

Cet article fait partie d'une série analysant l'ingérence sur les droits numériques pendant la pandémie COVID-19, en période de confinement et au-delà, dans neuf pays africains : Ouganda, Zimbabwe, Mozambique, Algérie, Nigeria, Namibie, Tunisie, Tanzanie et Éthiopie. Le projet est subventionné par le Fonds pour les droits numériques en Afrique de la Collaboration en matière de politique internationale des TIC (technologies de l'information et de la communication) pour l'Afrique orientale et australe [27] (CIPESA).