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La contestation gronde contre l'«apartheid médical» israélien pendant la pandémie

Catégories: Afrique du Nord et Moyen-Orient, Israël, Palestine, Gouvernance, Médias citoyens, Santé, COVID-19
Israël laisse complètement de côté les Palestiniens sous son occupation dans sa campagne de vaccination COVID-19 très réussie [1]

Capture d'écran du rapport de PBS [2] montrant un citoyen israélien recevant la vaccination COVID-19. Près de 19% des Israéliens ont déjà été vaccinés depuis la mi-décembre.

[Sauf mention contraire, tous les liens mènent vers des sites en anglais, ndt.]

Note de la rédaction : Cet article a été rédigé par Pam Bailey [3], fondatrice et directrice exécutive de  We Are Not Numbers [4] (Nous ne sommes pas des chiffres), une plateforme qui porte la voix des Palestiniens sous occupation israélienne, à travers l'autonomisation et le mentorat de jeunes journalistes locaux.

La contestation s'intensifie alors qu'Israël devient le pays avec le taux de vaccination COVID-19 par habitant le plus élevé [5] au monde, tout en refusant d'organiser l'acheminement de ce traitement vital pour les territoires palestiniens sous son contrôle.

Une pétition de Change.org [6] appelle le gouvernement israélien à «assumer sa responsabilité en tant que puissance occupante au regard du droit international et à mettre fin à cet acte flagrant de discrimination raciale».

La représentante des États-Unis, Marie Newman, démocrate de l'État de l'Illinois, a t [7]weeté [7]:

Ce virus ne considère pas et ne se soucie pas de la nationalité, des frontières ou de la religion – son impact dévastateur est partout. L'administration Netanyahu a une obligation morale et humanitaire de veiller à ce que les Israéliens aussi bien que les Palestiniens aient accès aux vaccins.

Le groupe militant américain Codepink a adressé [10] un e-mail à ses soutiens, leur demandant d'exiger que leurs représentants «condamnent l'apartheid médical israélien». En outre, cinq organisations de défense des droits humains ont déposé [11] une pétition auprès de la Cour suprême israélienne pour contester le refus du ministre de la Sécurité intérieure de vacciner les prisonniers palestiniens dans les prisons israéliennes.

En date du 11 janvier,  1 604 Palestiniens [12] des territoires palestiniens occupés sont morts du COVID-19, dont 441 dans la Bande de Gaza. Selon le Dr Mustafa Barghouti, membre du parlement palestinien et directeur de la Société palestinienne de secours médical, une ONG, le taux d'infection est beaucoup plus élevé [13] dans les territoires occupés (35%) qu'en Israël (4,5%).

Pourtant, même si aucune dose d'un des vaccins approuvés n'est parvenue aux Palestiniens de Cisjordanie et de GazaIsraël a vacciné sa propre population plus rapidement que n'importe quel autre pays au monde : plus d'un quart [5] de la population est déjà vaccinée.

«Le gouvernement israélien doit cesser d'ignorer ses obligations internationales en tant que puissance occupante et agir immédiatement pour s'assurer que les vaccins COVID-19 soient également et équitablement fournis aux Palestiniens vivant sous son occupation en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza», a déclaré [14] [fr] Amnesty International dans un communiqué.

Au moins 25 membres de la famille élargie d'Asmaa Tayeh, responsable des opérations de We Are Not Numbers (WANN) ont été testés positifs pour le virus, 15 sont tombés malades et trois en sont décédés.

«Depuis que les rapports sur le virus ont fait surface en mars 2020, nous sommes paranoïaques», a déclaré Mme Tayeh:

I was scared to death and ran to the market to fetch food so we could prepare to stay home for months. I’d yell at anyone who left the house. But since we didn’t know anyone who was infected, we started feeling a little safer. Then came November and December. More and more of our relatives were infected. On top of that was the fear that we wouldn’t get good medical care, since the Israeli occupation has crippled our health care system.

J'étais morte de peur et j'ai couru au marché chercher de la nourriture afin que nous puissions nous préparer à rester à la maison pendant des mois. Je criais après quiconque quittait la maison. Mais comme nous ne connaissions aucune personne infectée, nous avons commencé à nous sentir un peu plus en sécurité. Puis vinrent novembre et décembre. De plus en plus de nos proches étaient infectés. En plus de cela, il y avait la crainte que nous n'obtenions pas de bons soins médicaux, puisque l'occupation israélienne a paralysé notre système de santé.

Un autre membre de la WANN, Nour Yacoubi, a été forcé de retarder son mariage [15] lorsque ses futurs belle-sœur et beau-frère ont été hospitalisés en soins intensifs avec des symptômes de COVID-19.

Pendant ce temps, le directeur de WANN à Gaza, Issam Adwan, s'est battu pour que sa mère, qui souffre d'une maladie cardiaque, soit testée pour le virus lorsqu'elle a commencé à présenter des symptômes de coronavirus. Cependant, les tests sont rares et on lui a d'abord refusé le dépistage. Lorsqu'elle a perdu le goût et l'odorat – des symptômes viraux courants – et a obtenu le test, presque tous les membres de sa famille avaient déjà été exposés. Nombre d'entre eux ont été testés positifs et plusieurs sont tombés malades.

Le Dr Ayman Elhalabi, directeur général des services de soutien médical à Gaza – une division du ministère de la Santé basée en Cisjordanie -, confirme qu'en raison de pénuries, le test COVID-19 est largement inaccessible, près d'un an après que la pandémie a envahi le monde.

Il explique:

The central laboratory of the Ministry of Health is the only place in the Strip that can perform the COVID-19 test. … The lab ran 200 to 300 tests a day in the beginning of this crisis, but now we’re doing between 2,000 and 3,000. Still, it’s not enough. So, we have to prioritize patients by the severity of their condition. Currently, I’d estimate we have enough test kits for 20 more days.

Le laboratoire central du ministère de la Santé est le seul endroit de la Bande de Gaza qui peut effectuer le test COVID-19. … Le laboratoire effectuait 200 à 300 tests par jour au début de cette crise, mais nous en faisons maintenant entre 2 000 et 3 000. Pourtant, ce n'est pas suffisant. Nous devons donc établir des priorités en fonction de la gravité de l'état des patients. Actuellement, j'estime que nous avons suffisamment de kits de test pour encore 20 jours.

La pénurie de tests est particulièrement critique car les infections au COVID-19 augmentent après l'émergence d'un nouveau variant du virus dont le taux de transmissibilité est entre 10 et 60% supérieur à son prédécesseur. Sa propagation a été détectée [16] dans 50 pays à ce jour [mise à jour : le variant britannique est actuellement présent dans 70 pays [17][fr] et le sud-africain dans 31, ndt]. 

Selon le Dr Elhalabi:

Gaza's hospitals are in serious crisis due to the increasing cases of COVID[-19]; it’s put a lot of pressure on our capacity to deliver other medical services. Many doctors and nurses are working overtime and they are being paid just 50 percent of their salaries. These are people who need to provide for their families.

Les hôpitaux de Gaza sont en proie à une grave crise en raison de l'augmentation des cas de COVID[-19]; cela met beaucoup de pression sur notre capacité à fournir d'autres services médicaux. De nombreux médecins et infirmières font des heures supplémentaires et ne reçoivent que 50% de leur salaire. Ce sont des gens qui doivent eux aussi subvenir aux besoins de leur famille.

Malgré la crise, peu de gens pensent que Gaza recevra prochainement l'un des vaccins nouvellement approuvés.

L'Autorité palestinienne (AP) en Cisjordanie, a accusé Israël de négliger sa responsabilité d'assurer l'approvisionnement des vaccins dans les territoires occupés, et a eu du mal à se ravitailler ailleurs.

L'AP a déclaré [18] qu'elle avait négocié avec l’entreprise britannique AstraZeneca pour obtenir un premier envoi de doses de vaccin COVID-19 en mars – bien plus tard que d'autres pays et probablement en quantité insuffisante. Plus récemment, elle a annoncé qu'elle avait pris des dispositions pour obtenir le vaccin russe connu sous le nom de Spoutnik V [19], le premier envoi devant arriver en février. Cependant, ses ressources sont limitées et on ne sait pas combien de doses de vaccin seront allouées à Gaza, car l'Autorité palestinienne est en désaccord avec le Hamas, qui gouverne la Bande de Gaza.

Dans une  [20]interview [20] accordée à Sky News, le ministre israélien de la Santé, Yuli Edelstein, a déclaré que les Palestiniens «doivent apprendre à prendre soin d'eux-mêmes», ajoutant qu'Israël a «aidé nos voisins palestiniens dès les tous premiers stades de cette crise, y compris avec du matériel médical, des médicaments, des conseils, et des équipements ».

Gerald Rockenschaub, chef de la mission de l'Organisation mondiale de la santé auprès des Palestiniens, a déclaré [21] au journal britannique The Independent qu'il avait demandé à Israël de fournir des vaccins COVID-19 pour au moins couvrir les agents de santé palestiniens. Près de 8 000 médecins palestiniens auraient été infectés par le virus. Selon l'article publié par The Independent, le gouvernement israélien a refusé, affirmant qu'il devait d'abord s'occuper de sa propre population.

Dans son interview pour Sky News, le ministre Edelstein a déclaré:

I don't think that there's anyone in this country, whatever his or her views might be, that can imagine that I would be taking a vaccine from the Israeli citizen, and, with all the goodwill, give it to our neighbors.

Je ne pense pas qu'il y ait quelqu'un dans ce pays, quelle que soit son opinion, qui puisse imaginer que je prendrais un vaccin du citoyen israélien pour le donner à nos voisins, en toute bonne volonté.

«Nous entendons beaucoup d'informations contradictoires», a déclaré le Dr Elhalabi. «Vraiment, je pense qu'il faudra des mois avant de recevoir les vaccins. J'appelle les communautés internationales et arabes à intervenir avant que la situation ne devienne incontrôlable.»

Quant à Mme Tayeh, elle n'a pas été surprise. «Le virus éliminera un bon nombre de Palestiniens. De cette façon, Israël n'aura pas à débourser autant en dépenses de guerre pour nous tuer. De plus, nous serons trop distraits par la maladie pour riposter.»

Anas Mohammed Jnena a mené les entretiens avec les agents de santé.