Cet article de Shashika Bandara est initialement paru le 12 octobre 2020 sur Groundviews, un site primé de journalisme citoyen au Sri Lanka. Une version adaptée est publiée ci-après dans le cadre d'un accord de partage de contenu avec Global Voices.
[Sauf mention contraire, tous les liens de cet article renvoient vers des pages web en anglais, ndt.]
Le Sri Lanka connaît une hausse des infections liées au COVID-19, avec 1 307 infections au total et 1 180 nouveaux cas confirmés entre le 3 et le 10 octobre. En parallèle à cette augmentation, un récit malsain commence à s'imposer – centré sur le rejet de la responsabilité sur les autres, suscitant la peur et la frustration. Le refrain qu'on entend souvent, qui consiste à dire « Ces gens-là n'auraient-ils pas pu faire preuve de suffisamment de prudence ? », est néfaste et conduit souvent à stigmatiser les communautés vulnérables affectées par le virus.
Il est important de comprendre pourquoi nous (et d'autres) avons des difficultés à observer les mesures sanitaires, afin d'améliorer nos habitudes en matière de sécurité et de passer d'une culture du blâme à une culture qui soutient et dirige avec gentillesse.
Qu'est-ce que la lassitude pandémique ?
Je suis convaincu que vous éprouvez, à l'heure actuelle, une fatigue croissante liée aux mesures de sécurité, à l'anxiété qui survient lorsqu'on se trompe sur un geste simple et à la frustration envers ceux qui ne respectent pas les consignes de sécurité. Cette sensation de fatigue s'est probablement immiscée dans votre quotidien et est constamment présente. C'est ce qu'on appelle la « lassitude pandémique », et nous la ressentons tous, peu importe notre nationalité, notre appartenance ethnique, notre profession ou notre religion. Le seul moyen efficace de lutter contre la fatigue liée à la pandémie est de prendre des mesures pratiques de bienveillance, tant envers les autres qu'avec nous-mêmes. Des mesures de bienveillance doivent être employées à tous les niveaux, y compris personnel, organisationnel et au niveau des politiques nationales.
Comment contrer la lassitude liée à la pandémie ?
Restez courtois mais faites-vous entendre
Soutenez personnellement ceux qui sont en difficulté, en expliquant que la lassitude pandémique est un phénomène qui nous affecte tous, mais réitérez également l'importance de continuer à veiller à notre sécurité et orientez les autres vers des ressources utiles. Une autre mesure importante à mettre en place au niveau personnel consiste à minimiser la honte, la condescendance et l'agression envers ceux qui ratent les protocoles de sécurité lors de rencontres personnelles et sur les réseaux sociaux. Cela ne veut pas dire rester sans voix. Cela implique de rappeler gentiment de suivre les directives sanitaires. L'idée répandue selon laquelle les gens réagissent à la honte ou à l'agression est fausse et n'est pas une méthode durable [en]. Si vous dirigez une organisation, rappelez avec délicatesse ce qu'est la lassitude pandémique et l'importance d'être courtois tout en restant vigilant. Cela contribuera grandement à soutenir le moral des personnes qui travaillent sous votre responsabilité et à assurer leur sécurité.
Sensibilisez mais ne surfez pas sur la peur
Il est également essentiel que le gouvernement comprenne que la lassitude face à la pandémie affecte sa population. Il est primordial de le comprendre si nous souhaitons arrêter de traiter agressivement les personnes infectées ou d’une manière qui suscite la peur et la stigmatisation. L’un des points négatifs de la gestion de la pandémie de COVID-19 par le Sri Lanka est le manque d’efforts du gouvernement pour lutter contre la stigmatisation. Deux exemples récents en témoignent : la manière dont les travailleurs d'usine ont été traités après avoir été testés positifs au COVID-19, et les faux discours persistants ciblant les musulmans. Le Sri Lanka devrait sérieusement envisager de moins s'appuyer sur la peur de la punition pour appliquer les politiques de confinement du COVID-19 et de fournir davantage d'explications scientifiques qui intègrent le public dans l'effort.
Le succès de la Nouvelle-Zélande dépend en grande partie de la participation du public à l'effort ainsi que des explications [en] efficaces du gouvernement. Le Sri Lanka doit redoubler d'efforts pour expliquer et ré-expliquer les données scientifiques sur lesquelles s'appuient les décisions politiques. Ces explications pourraient se concentrer sur la propagation asymptomatique ou pré-symptomatique du COVID-19, les impacts à long terme de la contraction du COVID-19 au-delà du rétablissement, l'impact sur le système de santé, la façon dont la stigmatisation ou la propagation de rumeurs peuvent conduire à une plus grande propagation de l'infection et l'importance du soutien de la communauté pendant cette période difficile. Comme idée initiale pour communiquer les faits scientifiques au public, le Sri Lanka peut se tourner vers la série COVID-19 Science in 5 de l'Organisation mondiale de la santé, une série vidéo et audio en cours dont chaque épisode éclaire en cinq minutes un concept clé lié au COVID-19.
Égalité dans la communication et dans la mise en application
La confusion au sujet des politiques de lutte contre le COVID-19 et l'expérience de l'application sélective des mesures de confinement peuvent contribuer davantage à la lassitude liée à la pandémie. Par conséquent, le gouvernement a également la responsabilité d'être clair, de communiquer dans les trois langues (cinghalais, tamoul et anglais), et d'appliquer des politiques de confinement sans faire de favoritisme. Ces facteurs ainsi que d'autres, tels que l'inaccessibilité des directives gouvernementales, la confusion au sujet des mesures ou encore l'absence de lutte contre la stigmatisation, sont des impairs commis par d'autres pays dont nous pouvons tirer des leçons. Par exemple, la confusion autour des directives sanitaires et leur application sélective ont entraîné une crise aux États-Unis.
Lutter contre le journalisme de piètre qualité
Les mauvaises pratiques journalistiques sont aussi dangereuses que la pandémie elle-même et contribuent largement à la lassitude pandémique. Une mauvaise éthique journalistique, tant de la part des entreprises que des individus, qui enfreint les limites de la vie privée, désinforme et stigmatise, donne une image incomplète de la situation actuelle. Ces pratiques, dont certaines donnent en outre la priorité aux intérêts politiques, sont extrêmement dangereuses et mettent intentionnellement des vies en danger. Il est essentiel que les journalistes indépendants et les entreprises assument la responsabilité de suivre les directives éthiques de la profession : respecter de la vie privée, éviter la dramatisation des faits, transmettre des informations exactes, et choisir des titres pertinents, au lieu de générer des pièges à clics. International Media Support propose des principes utiles [en ; pdf] à suivre pour les reportages, afin de commencer à améliorer ou à réorienter les pratiques journalistiques nuisibles.
Nous sommes tous las et souhaitons que ce soit fini. La fatigue pandémique s'est emparée de nous au niveau personnel, et au niveau politique, les gouvernements du monde entier s'efforcent de maintenir la sécurité et l'économie de leurs pays. Bien que la nouvelle norme ne soit pas facile, comprendre que la lassitude pandémique nous affecte tous et la contrer avec gentillesse et des méthodes fondées sur la science sera le moyen le plus efficace pour y parvenir.