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Déclaration de l'état d'urgence en Malaisie : les forces d'opposition et la société civile s'inquiètent d'un glissement autoritaire

Catégories: Asie de l'Est, Malaisie, Droit, Gouvernance, Liberté d'expression, Médias citoyens, Politique, COVID-19
Le Premier ministre Muhyiddin Yassin porte un uniforme noir et or, et un masque de protection faciale, assis dans un fauteuil en cuir. [1]

Le Premier ministre Tan Sri Muhyiddin Yassin au cours d'une séance parlementaire en 2020. Photo par Hasrolhashim / Wikipedia, tirée d'une vidéo YouTube [2].

[Sauf mention contraire, tous les liens de cet article renvoient vers des pages web en anglais, ndlt.]

La déclaration de l’état d’urgence par la Malaisie en réponse à l’augmentation des cas de COVID-19 dans le pays est décrite par plusieurs groupes et par l’opposition comme une menace pour la démocratie.

L’ordonnance contenant la déclaration de l'état d’urgence a été publiée le 14 janvier [3].

Le gouvernement malaisien a affirmé avoir empêché la propagation du COVID-19 [4] lors du premier semestre 2020. Mais en septembre, une résurgence de l'épidémie a été constatée lors d’une élection locale dans l’un des États.

Cette mesure d’urgence a non seulement imposé des restrictions de mouvement mais aussi une interdiction des activités politiques. Les sessions du Parlement ont été suspendues et les élections sont interdites. Les forces armées sont également dotées de pouvoirs de police pour faire respecter la loi.

Le Premier ministre Tan Sri Muhyiddin Yassin a clarifié le fait qu’aucun couvre-feu ne serait appliqué et que la déclaration de l’état d’urgence ne devait pas être assimilée à un régime militaire.

Mais les groupes de défense des droits humains et les partis de l’opposition ont remis en question le fondement [5] de la déclaration de l'état d’urgence. Ils ont accusé Muhyiddin d’utiliser la pandémie pour s’accrocher au pouvoir en empêchant le Parlement de se réunir et de déterminer s’il a encore la majorité pour former un gouvernement.

Environ 75 groupes de la société civile, connus sous le nom de Plateforme des OSC pour la réforme, ont publié une déclaration exprimant leur inquiétude face à l'absence de contre-pouvoirs [6] qui laisse libre champ au gouvernement Muhyiddin :

While we think the public health crisis must be handled urgently through powers under other laws such as MCO [Movement Control Order], the overreach of executive power without the need for Parliament or state assembly oversight is a tragedy of governance.

Nous pensons que la crise de santé publique doit être gérée de toute urgence par le biais des pouvoirs prévus par d’autres lois telles que l'Ordre de contrôle des mouvements. L’extension excessive du pouvoir exécutif sans droit de regard de la part du Parlement ou l’Assemblée de l’État est une tragédie de la gouvernance.

Le Centre pour le journalisme indépendant [7] a fustigé les autorités pour avoir menacé d’arrêter les utilisateurs des médias sociaux et les citoyens qui s'immiscent dans la mise en œuvre des mesures d’urgence :

Why such an immediate impulse to silence critics? This foretells a possibility that this emergency is likely to be used to justify arbitrary arrests and investigations that infringe on freedom of expression and other fundamental liberties. This also shows the possibilities of heightened military presence and attempts to further curtail our liberties, which must not be undermined during a public health crisis, and especially not under the guise of an emergency.

Pourquoi une impulsion aussi immédiate pour faire taire les critiques ? Cela présage la possibilité que cette urgence soit utilisée pour justifier des arrestations arbitraires et des enquêtes qui portent atteinte à la liberté d’expression et à d’autres libertés fondamentales. Cela montre également la possibilité d’une présence militaire renforcée et de tentatives de restreindre davantage nos libertés, qui ne doivent pas être mises à mal en cas de crise de santé publique, et surtout pas sous couvert d’une urgence.

Zaid Malek, coordinateur du groupe Avocats pour la liberté (Lawyers for Liberty), a exhorté le gouvernement à reconsidérer l’octroi de pouvoirs d’interpellation [8] aux forces armées.

There is legitimate concern that allowing military personnel to arrest civilians may lead to excessive use of force or other abuses that infringe the civil liberties of the public.

Members of the public should not be treated as enemies and be dealt with by military personnel.

On peut légitimement craindre que l’autorisation donnée au personnel militaire d’arrêter des civils n’entraîne un usage excessif de la force ou d’autres abus qui portent atteinte aux libertés civiles du public.

Les membres du public ne devraient pas être traités comme des ennemis et avoir affaire au personnel militaire.

Le groupe de défense des droits humains Aliran a déclaré que l’état d’urgence «ressemble à un Muhhyiddin qui veut désespérément s’accrocher au pouvoir alors qu’il est devenu évident qu’il a perdu sa très mince majorité au Parlement». Ces nouvelles restrictions vont nuire à de nombreuses personnes [9], selon Aliran :

…no financial and other means of support have been proposed by the regime for the many industries that are still struggling to recover and for the many more Malaysians who have lost their jobs and are now suffering. How are people meant to survive?

…aucun moyen financier ou autre forme de soutien n’a été proposé par le régime pour les nombreux secteurs dont la reprise économique est difficile, ni pour les nombreux autres Malaisiens qui ont perdu leur emploi et qui souffrent à présent. Comment les gens sont-ils censés survivre ?

Le groupe a adressé au gouvernement une liste de revendications :

Aliran opposes the abuse of parliamentary democracy in this way. We call for the swift revocation of this emergency declaration, the reinstatement of parliamentary sittings and rule, and the return of power back to our representatives.

Aliran s’oppose à un tel abus de la démocratie parlementaire. Nous demandons la révocation rapide de cette déclaration de l'état d’urgence, le rétablissement des séances parlementaires et des pouvoirs législatifs du Parlement, et la restitution du pouvoir à nos représentants.

Les activistes et les groupes de la société civile ont enjoint les internautes à s’opposer à la déclaration de l'état d’urgence en utilisant le hashtag #BantahDaruratMuhyiddin [10] [ms] (en malais «protester contre l’état d'urgence de Muhyiddin»).

Les politiciens de l’opposition se sont également opposés à la déclaration de l'état d’urgence. L’ancien Premier ministre Mahathir Mohamad a déclaré que cette action «supprime le dernier vestige des droits démocratiques du peuple». Il a précisé sur son blog [11] :

…Can the Prime Minister with his power to jail people for up to 10 years and impose a fine of five million Ringgit (1.2 million US dollars) reduce the number of cases?

The problem caused by the pandemic are very many and do not lead to easy solutions. Can the enhanced power of the Prime Minister tackle these problems?

… Le Premier ministre, avec son pouvoir d’emprisonner les gens jusqu’à 10 ans et d’imposer une amende de cinq millions de ringgit (1,2 million de dollars américains), peut-il réduire le nombre de cas ?

Les problèmes causés par la pandémie sont très nombreux et ne conduisent pas à des solutions simples. Le pouvoir accru du Premier ministre peut-il s’attaquer à ces problèmes ?

Le 26 janvier, le leader de l’opposition Anwar Ibrahim a déposé une requête [12] demandant au tribunal de procéder à un examen judiciaire de la déclaration de l'état d’urgence [12].

À moins qu’il ne soit révoqué par les autorités, l'état d’urgence est en vigueur jusqu’en août 2021.