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« Vous vous êtes embrouillés avec la mauvaise génération » : les manifestations quotidiennes défient le coup d'État au Myanmar

Catégories: Asie de l'Est, Myanmar (Birmanie), Droits humains, Manifestations, Médias citoyens, Politique
L'image montre 8 affiches collées sur une porte en fer bleue. Elles représentent des caricatures accompagnées de textes en langue birmane. Sur l'affiche, en blanc, située au milieu, on peut lire « You messed with the wrong generation » (« Vous vous êtes embrouillés avec la mauvaise génération »). 4 affiches identiques, sur fond jaune, sont le dessin d'une tête avec des cornes, faisant penser au mal, et portant un collier avec, en guise de perles, des têtes de mort. Au dessus de son crâne ouvert, il y a des nuages et des éclairs. 2 autres dessins identiques, sur fond vert, montrent un visage à 3 faces : une face qui rigole, une autre qui tire une langue de serpent, et une face qui est représentée avec des dents de vampire. Une dernière affiche, sur fond grisé, montre 2 corps féminins nus suspendus par les pieds, attachés par une corde. On aperçoit aussi 2 serpents enroulés autour de ces corps. [1]

« Vous vous êtes embrouillés avec la mauvaise génération », un des visuels du mouvement de protestation placardé sur les murs de plusieurs villes à travers le Myanmar. Photographie transmise à Global Voices par des chercheurs locaux, reproduite avec autorisation.

Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages web en anglais.

Le mouvement de désobéissance civile lancé en réaction au coup d'État militaire du 1er février [2] [fr], ne cesse de rallier des soutiens aux quatre coins du Myanmar.

Depuis le coup d'État, les communications ont été perturbées par intermittence et la connexion internet a été totalement coupée le 6 février. Le lendemain, lorsque le service a été rétabli, le reste du monde a pu voir des images et des reportages de rassemblements [3] massifs en faveur de la démocratie, dans les rues des villes et des villages du Myanmar.

Global Voices a interviewé des chercheurs locaux et des résidents étrangers sur le mouvement de protestation [4]. Un membre de la communauté des expatriés a partagé ce récit au cours du week-end :

The civil disobedience movement asked the public to go out in the streets on Friday [February 5]. The protests swelled on Saturday. Then internet connection was cut off in the country. Protests continued on Sunday until today [February 7]. Hundreds of thousands participated in almost all regions and cities. Police are deployed in the streets but so far no arrests were made. Protest is peaceful. Meanwhile the Than Pone is still being done every night at 8PM.

Le mouvement de désobéissance civile a appelé la population à sortir dans la rue, le vendredi 5 février. Les protestations se sont intensifiées ce samedi. Ensuite, la connexion internet a été interrompue dans le pays. Les mouvements de protestation se sont répétés depuis dimanche à aujourd'hui, le 7 février. Des centaines de milliers de personnes ont pris part à l'événement dans presque toutes les régions et villes du pays. La police est déployée sur le terrain et aucune arrestation n'a, jusqu'à présent, été menée. La protestation est pacifique. Entre-temps, le Than Pone se poursuit tous les soirs à 20 heures.

Than Pone, qui fait référence aux « seaux en fer », désigne le fait de taper sur des récipients pour chasser les mauvais esprits. Depuis le coup d'État, le « concert de casseroles » collectif se produit trois fois par jour dans certaines régions : à 8h, 14h et 20h, pendant 15 minutes.

Des chercheurs locaux ont rapporté à Global Voices que beaucoup d'internautes « se sont indignés de la coupure internet et se sont ralliés aux protestations ». Un chercheur qui n'avait plus de connexion internet chez lui, est sorti retrouver un ami et a finalement rejoint les manifestants.

Ils ont observé que des personnes proposaient des fleurs, des bouteilles d'eau et des snacks aux forces de police, lors de la manifestation à Yangon le 6 février.

Ces vidéos partagées par les chercheurs offrent un éclairage sur la manifestation massive dans la principale ville du pays, Yangon :

Retour sur le week-end de protestation au Myanmar. Vidéo partagée par des chercheurs locaux en collaboration avec Global Voices.
— GlobalVoices Asie du Sud-Est (@gvsoutheastasia) 8 février 2021

[description vidéo]
Vidéo aérienne de 1'25, prise d'un balcon. On voit des manifestants défiler et scander des slogans dans la rue, entourés par des buildings. Dans le même temps, des voitures klaxonnent. On entend des applaudissements sur la fin de la vidéo.

Les manifestations du week-end contre le coup d'État ont réuni des milliers de personnes dans la ville de Yangon mais aussi dans d'autres villes du Myanmar. Une vidéo réalisée par des chercheurs locaux et partagée en collaboration avec Global Voices.
— GlobalVoices Asie du Sud-Est (@gvsoutheastasia) 8 février 2021

[description vidéo]
Vidéo de 1'10. On voit un rassemblement important de personnes chantant, dans la rue, au pied d'un immeuble. La personne filmant la scène se balance doucement, comme bercée par la mélodie de la chanson (Dust in the wind par Kansas).

Une désinformation massive pendant la coupure internet

Depuis le coup d'État, la désinformation est omniprésente. L'une des sources de désinformation les plus notoires concerne Radio Free Myanmar [9], laquelle reproduit le logo et la convention de nommage du site d'information Radio Free Asia.

Des chercheurs locaux ont constaté que la vérification des informations se compliquait avec la coupure d'internet :

When you don’t have internet for two days, there is no way to verify those news. Even politicians starting to believe those are rumours.

Lorsque vous n'avez plus accès à internet pendant deux jours, vous ne disposez d'aucun moyen permettant de valider telle ou telle information. Même les hommes politiques finissent par penser que ce sont des rumeurs.

Ils évoquaient des reportages erronés circulant à l'extérieur du pays, fondés sur des discussions tenues sur la plateforme chinoise de réseaux sociaux Weibo, tels que la prétendue volonté des militaires de rapatrier les réfugiés Rohingya au Bangladesh, ou encore le fait que les soldats avaient organisé le coup d'État dans le but de protéger la population.

L'image montre une affiche collée sur une porte en fer. L'affiche, sur fond rouge, montre le salut à 3 doigts avec une inscription en birman et un hastag en anglais, « #civil disobedience » (désobéissance civile). [10]

Le symbole de la mobilisation pour la désobéissance civile est inspiré du salut à trois doigts, tiré du film hollywoodien Hunger games. Photographie fournie à Global Voices par des chercheurs locaux et reproduite avec autorisation.

Les chercheurs ont également rapporté que certains ultra-nationalistes bouddhistes ont cherché à leurrer les sympathisants du coup d'État en prétendant que le salut à trois doigts, très utilisé dans les manifestations contre le coup d'État, est en réalité une « gestuelle islamique » signifiant « je suis le fils/la fille de Mahomet ».

La campagne de désobéissance civile bénéficie du soutien de l'opinion publique

La désinformation apparaît comme une réponse désespérée des partisans du coup d'État alors que la campagne de désobéissance civile, elle, gagne du terrain. Voici quelques photos illustrant la défiance [11] [fr] de nombreux groupes à travers le Myanmar :

Mise à jour : des fonctionnaires des départements de l'éducation et des chemins de fer de Mandalay, pôle économique du Haut-Myanmar, se joignent, lundi, aux manifestations menées contre le régime militaire, dans toute la ville. (Photographie tirée du site de The Irrawaddy)
— The Irrawaddy (Eng) (@IrrawaddyNews) 8 février 2021

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L'image, en 4 plans, montre des hommes et des femmes qui manifestent dans la rue. La plupart son masquées. Des drapeaux birmans sont visibles. 2e plan : des femmes manifestent en mode sitting. 3e plan : des hommes marchent en brandissant des affiches. Sur le dernier plan, le poing levé, on distingue de jeunes manifestants tenant une banderole rouge avec une inscription en birman.

Des avocats prennent part à une manifestation contre le coup d'État militaire à Yangon, Myanmar, en date du 8 février 2021.
— Mizzima News (@MizzimaNews) 8 février 2021

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Plan d'hommes et de femmes se tenant debout, sur le trottoir, et brandissant une affiche avec des inscriptions en birman. Tous portent un masque de protection faciale.

Mise à jour : des milliers de personnes dans l'État de Karen se sont ralliées lundi à une grève générale nationale contre le coup d'État militaire. Les manifestants marchent vers le siège du gouvernement situé dans la capitale de l'État Karen, Hpa-an , depuis 8 heures du matin.
— The Irrawaddy (Eng) (@IrrawaddyNews) 8 février 2021

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3 plans montrant des hommes et des femmes marchant ensemble dans la rue. Beaucoup font le salut à 3 doigts. Des drapeaux et des petites banderoles sont visibles.

Les fonctionnaires du ministère des Affaires ethniques brandissent des affiches ornées de rubans rouges pour symboliser la résistance contre le coup d'Etat militaire, lors d'une grève baptisée campagne de désobéissance civile, devant le siège de leur ministère.
— Mizzima News (@MizzimaNews) 5 février 2021

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Image en 4 plans sur lesquels on distingue un plan éloigné de plusieurs personnes assises sur une pelouse, devant un bâtiment. Elles tiennent toutes une affiche avec le dessin d'un ruban rouge et portent aussi sur leur vêtement le ruban rouge. Toutes font le salut à 3 doigts. Sur le 2e plan, plus serré, une jeune femme accroche un ruban rouge sur le chemisier d'une autre. La scène est filmée par une autre personne dont on distingue tout juste le corps. Sur le 3e plan, on distingue un groupe de 4 jeunes femmes, masquées, distribuant des affiches avec le dessin d'un ruban rouge. La dernière image est un plan rapproché des personnes assises sur la pelouse, ruban rouge sur affiche et salut à 3 doigts (1er plan).

Aujourd'hui, le peuple du Myanmar se soulève contre le régime militaire et réclame la démocratie. Ce n'est plus une simple protestation. C'est un soulèvement. Les infirmiers du secteur public, les enseignants et les responsables du secteur forestier descendent dans la rue pour se joindre au mouvement.
— Myanmar Now (@Myanmar_Now_Eng) 8 février 2021

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Image en 2 plans. Sur le 1er, on distingue des femmes alignées portant de grandes affiches avec des inscriptions en birman et en anglais : « We don't want military dictator, We don't want the dictatorship » (Nous ne voulons pas de dictateur militaire, Nous ne voulons pas de dictature). Elles portent toutes un masque de protection faciale. Sur le 2nd plan, des hommes marchent en uniforme du département des forêts, tout en faisant le salut à 3 doigts.

Des enseignants et des étudiants de l'Institut de la marine marchande du Myanmar (Myanmar Mercantile Marine College) lancent un rapide salut à trois doigts et entonnent une chanson pour protester contre le coup d'État militaire à Yangon, au Myanmar, le 5 février 2021.
— Mizzima News (@MizzimaNews) 5 février 2021

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4 plans (en contre-plongée, large puis serré) d'étudiants manifestants devant leur université. Tous font le salut à 3 doigts.

Le géant japonais de la bière Kirin a lui-même été poussé à rompre [31] ses liens commerciaux avec l'armée au lendemain du coup d'État.

Les Ghouls birmans [32], une équipe de sportifs professionnels en ligne (sport électronique), qui fait habituellement très peu de commentaires sur la politique, ont publiquement dénoncé [33] le coup d'État.

En réaction à la semaine de mobilisation, les autorités militaires du Myanmar ont banni [34] tout rassemblement public de plus de cinq personnes dans certains cantons. La police a également fait usage de canons à eau afin de disperser une manifestation à Naypyidaw, capitale du pays.

La police disperse les manifestants opposés au coup d'État au moyen de canons à eau dans la capitale Naypyitaw [transcription alternative de Naypyidaw, ndlt].

Lundi, la police anti-émeute de Naypyitaw a dispersé les manifestants opposés au coup d'État, rassemblés sur le marché de Thabyae Gone, au moyen de canons à eau, blessant certains d'entre eux. (Photographie tirée du site de The Irrawaddy)
— The Irrawaddy (Eng) (@IrrawaddyNews) 8 février 2021

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L'image montre 4 plans d'une foule compacte, confrontée aux forces de police et aux canons à eau.

Ces deux événements récents influenceront certainement la dynamique du mouvement de protestation dans les prochains jours.

*Avec des reportages complémentaires du projet d'Observatoire des médias citoyens mené par Global Voices.