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Le Myanmar propose un projet de loi « draconien » sur la cybersécurité sur fond de résistance accrue au coup d'État

Catégories: Asie de l'Est, Myanmar (Birmanie), Censure, Cyber-activisme, Droit, Economie et entreprises, Gouvernance, Liberté d'expression, Manifestations, Médias citoyens, Politique, Advox
Une foule compacte de manifestants, brandissant des affiches avec des inscriptions en rouge clair, en anglais et en birman : « Refusez la dictature, rejetons les forces armées ». [1]

Des manifestations contre le coup d'État ont été lancées aux quatre coins du Myanmar en dépit de l'interdiction des rassemblements de masse. Photographie transmise à Global Voices, reproduite avec autorisation.

Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages web en anglais.

Des groupes issus de la société civile du Myanmar dénoncent [2] le projet de « loi sur la cybersécurité », déposé dans un contexte d’opposition [3] [fr] grandissante vis-à-vis du gouvernement militaire.

Le projet de loi a été transmis le 9 février aux entreprises de télécommunications locales par le ministère des Transports et des Communications, en vue de leur examen. Le document a fait l'objet d'une fuite en ligne, permettant ainsi au public d'en consulter le contenu.

Le projet de loi comprend 76 articles contenant des dispositions [4] qui confèrent aux autorités le pouvoir d'ordonner le verrouillage de sites web, le retrait de contenus et l'inculpation de personnes pour diffusion de fausses informations.

Le projet de loi a été présenté plusieurs jours après le coup d'État militaire [5] [fr]. Il est à craindre que ce texte, s'il est adopté, ne soit utilisé pour réprimer [6] davantage la liberté d'expression dans le pays. Ainsi, internet a été bloqué au Myanmar le 1er février, le jour même du coup d'État, ainsi que les 6 et 7 février. Bien que les manifestations aient été interdites, le mouvement de désobéissance civile [7] [fr], qui a mobilisé des milliers de personnes à travers le pays, continuait à gagner du terrain. L'internet a largement contribué à favoriser la diffusion des informations et autres mises à jour relatives au coup d'État et au mouvement démocratique.

Plus de 200 organisations représentant la société civile du Myanmar ont signé une déclaration dans laquelle elles refusent [8] [en, my] le projet de loi. Dans ce document, elles remettent en question la légitimité d'un ministère dirigé par des militaires à rédiger une proposition de loi.

The issuance of the “bill” is evidence that the military has not only attempted a coup d’état, but is also exercising undue legislative power unlawfully to oppress the public.

…the “bill” includes clauses which violate human rights including the rights to freedom of expression, data protection and privacy, and other democratic principles and human rights in the online space.

La promulgation de ce « projet de loi » prouve que l'armée a non seulement commis une tentative de coup d'État mais qu'elle exerce aussi illégalement un pouvoir législatif abusif visant à opprimer la population.

…le « projet de loi » contient des clauses qui enfreignent les droits humains, notamment les droits à la liberté d'expression, à la protection des données et à la vie privée, ainsi que d'autres principes démocratiques et droits humains sur internet.

L'une des clauses soulignées par les groupes de défense des droits humains porte sur l'obligation pour les entreprises informatiques de communiquer les données des utilisateurs à la demande des autorités.

Les articles 30 et 31, de la section 9 du « projet de loi », stipulent que les plateformes en ligne (Facebook, Twitter, etc.) devront stocker les données des utilisateurs (adresse IP, téléphone, identifiant, adresse, données d'utilisation et autres données nécessaires conformément aux instructions du ministère) pour une durée de trois ans, et devront les transmettre sur demande des autorités.
— MIDO (@myanmarido) February 10, 2021

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Plan serré sur une partie du projet de loi (articles 30 et 31), rédigé en birman.

La Fédération de l'informatique du Myanmar (MCF, Myanmar Computer Federation), sollicitée par le gouvernement militaire pour commenter le projet de loi, a également rejeté la proposition et suggéré que les parties prenantes soient consultées à ce sujet. Elle a ajouté que ce sont les parlementaires élus qui doivent se charger de l'élaboration du projet de loi.

DÉCLARATION : La Fédération de l'informatique de Myanmar, principale organisation regroupant toutes les associations informatiques du pays, s'est « fermement opposée » au projet de « loi sur la cybersécurité », projet que le conseil militaire lui a adressé pour relecture, et elle leur recommande de se conformer strictement aux procédures légitimes.
— Hnin Zaw (@hninyadanazaw) February 12, 2021

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4 pages du communiqué de la Fédération de l'informatique de Myanmar, rédigée en birman.

Vicky Bowman, directrice de l'Institut du Myanmar pour le commerce responsable (MCRB, Myanmar Centre for Responsible Business), a expliqué au magazine Frontier que le projet de loi allait affecter [15] défavorablement les activités commerciales des entreprises informatiques :

A law like this which does not protect human rights makes it very difficult for companies committed to respecting human rights to operate in Myanmar, which includes those offering online services.

Une telle loi, non respectueuse des droits humains, complique grandement la tâche des entreprises soucieuses de respecter les droits humains dans leurs activités au Myanmar, notamment celles qui offrent des services en ligne.

U Aung Myo Min, directeur de l'Institut d'éducation aux droits humains de Birmanie, a confié au Myanmar Times que le projet de loi pourrait légitimer [2] le contrôle militaire sur le cyberespace :

It sounds more oppressive than protective. It can be expected that the true aim of the bill is to repress freedom of expression online and ban social networks.

Cela semble plus oppressif que protecteur. On peut s'attendre à ce que le véritable objectif du projet de loi soit de museler la liberté d'expression en ligne et d'interdire les réseaux sociaux.

Cet argument a également été relayé par l'ONG Justice for Myanmar, dont le site web a été fermé en 2020 [16] [fr] pour avoir révélé les transactions commerciales douteuses effectuées par des responsables militaires :

L'armée du Myanmar va promulguer une nouvelle loi sur la cybersécurité. Les militaires « contrôlent déjà deux réseaux de téléphonie mobile, Mytel et MPT, à présent ils veulent surveiller toutes les informations en ligne dans le cadre d'un processus illégal et sanctionner ceux qui osent exercer leurs droits fondamentaux, y compris la liberté d'expression ».

Le gouvernement militaire du Myanmar a renforcé [22] sa répression envers les voix dissidentes au moment où le coup d'État entrait dans sa deuxième semaine. Des manifestants, des militants et des journalistes ont été arrêtés [23] pour leur rôle dans le mouvement de désobéissance civile. L'internet a été à nouveau verrouillé le 15 février, une mesure qui a suscité des craintes parmi la population : s'agirait-il du prélude à une nouvelle vague d'arrestations massives ?

Depuis lundi, vers 1 heure du matin, les connexions internet au Myanmar sont à nouveau coupées, dans un contexte marqué par la crainte d'une répression visant les récentes manifestations. Cette action fait suite au déploiement de véhicules blindés de transport de troupes et d'autres véhicules militaires en divers endroits de Yangon.
— Myanmar Now (@Myanmar_Now_Eng) February 14, 2021

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L'image, en 3 parties, montre des véhicules militaires postés dans les rues.