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L'hebdomadaire anglophone Nepali Times commence l'année en relançant son édition imprimée

Catégories: Asie du Sud, Népal, Economie et entreprises, Good News, Média et journalisme, Médias citoyens

Capture d'écran d'une vidéo Youtube [1] de la chaîne du Nepali Times faisant le portrait de lecteurs.

Sauf mention contraire, tous les liens de cet article renvoient vers des pages en anglais.

Ce n’est pas une surprise : la pandémie de Covid-19 a accéléré la crise de l’industrie de l’information, affectée depuis longtemps par des pertes de recettes publicitaires [2] et en recherche désespérée d’un modèle économique durable.

Cette année, de nombreuses rédactions ont dû réduire leurs coûts pour survivre et cela signifie habituellement licencier aussi bien que mettre fin à des éditions imprimées – quand elles en avaient encore.

Mais au Népal, un média de premier plan va contre cette tendance.

L’hebdomadaire en anglais Nepali Times [3] a surpris ses lecteurs le premier jour de l'année 2021 en relançant son édition imprimée, qui avait été arrêtée en mars 2020.

Vendue 50 roupies népalaises (0,40 dollar américain), la publication de 16 pages a été relancée avec un tirage de 5 000 exemplaires.

Avez-vous lu le Nepali Times de cette semaine ? L'édition imprimée est de retour ! Prenez-en un exemplaire.
Dans ce numéro :
▶Les journalistes reviennent sur la couverture médiatique de cette année de crise
▶ Des Népalais expatriés reçoivent les premiers vaccins
▶ Le crépitant Narayan Gopal en vinyle
▶ La mort de l'imprimé est exagérée
▶ L'Âne pic.twitter.com/N4lAveyJZR [4]

Global Voices a parlé avec l’éditeur et rédacteur en chef du Nepali Times, Kunda Dixit [6], qui est aussi auteur et professeur d’études des médias, pour comprendre comment il en est arrivé à cette décision.

During the past year of the pandemic, the online readership of “Nepali Times” increased five-fold compared to pre-COVID times. We covered the pandemic in all its aspects, and the average time readers spent on a page rose to an all-time high of 4 minutes. However, revenue suffered. As the economy collapsed, there was no advertising, and no subscription income. As both editor and publisher of the paper, I had to get our team to work on tiding over the crisis so we could at least pay salaries. We had to cut staff, lower costs. But after finding no other way to raise revenue, we brought out a trial print edition in October 2020 [7], and were encouraged by the response from both readers and advertisers. Our preliminary survey showed that print had a prospect.

Pendant cette année de pandémie, le nombre de lecteurs du Nepali Times a été multiplié par cinq comparé à la période avant le Covid. Nous avons couvert la pandémie sous tous ses aspects et le temps moyen que les lecteurs passaient sur une page a atteint un record de quatre minutes. Cependant, les revenus ont souffert. Comme l’économie s’est effondrée, il n’y avait pas de recettes publicitaires ou d’abonnement. En tant que rédacteur en chef et éditeur du journal, j’ai dû obtenir de l’équipe qu’ils tiennent durant la crise pour qu’ainsi nous puissions au moins payer les salariés. Nous avons dû licencier, réduire les coûts. Mais comme nous n’avons trouvé aucune autre manière d’augmenter nos revenus, nous avons sorti une version d’essai en octobre 2020 [7] et nous avons été encouragés à la fois par les lecteurs et les publicitaires. Nos enquêtes préliminaires montraient que la version imprimée avait du potentiel. 

L’année dernière, le Nepali Times a demandé à ses lecteurs ce qui leur manquait le plus sans la version imprimée. Leurs témoignages ont été inclus dans cette vidéo de janvier 2021 :

Comme Dixit le met en évidence, la clé est dans l’expérience des lecteurs : pour le même contenu, elle n'est pas la même selon le support de lecture, par exemple en page centrale ou sur le petit écran d’un téléphone portable.

En effet, la plupart des lecteurs dans la vidéo indiquent que la sensation de lire sur du papier, les photos imprimées en grand ou encore le rituel de la lecture du journal pendant le petit-déjeuner leur manquent.

Une scène changeante

Le Nepali Times [8] a été fondé en avril 2000 et pendant un moment il était le seul site d’information du pays. En juillet, il lançait son édition imprimée.

La lecture des journaux est issue d’une longue tradition en Asie du Sud. En Inde plusieurs quotidiens dépassent les cinq millions d’exemplaires [9].

Finalement, la guerre civile népalaise [10] a rattrapé le magazine : il tombe sous le coup de la censure [11] en 2005 quand le dernier roi du pays a imposé l’état d’urgence. Peu après, des cadres maoïstes, mécontents de ses reportages de terrain sur les événements, ont vandalisé les bureaux du magazine et ont attaqué physiquement le personnel.

En mars 2020, alors que le magazine s’apprêtait à fêter sa millième édition [12], la pandémie lui a causé un sérieux revers. « Nous avons dû liquider notre presse et nous assurer que le Nepali Times et son magazine associé Himal survivent uniquement de manière digitale », explique Dixit.

Arrêter complètement n'a jamais été une option, explique Dixit, à cause de la place du journal dans le paysage médiatique népalais :

Nepali Times, because it is in English, is restricted to academics, researchers, business and corporate houses, decision-makers, senior bureaucracy and Nepal's international partners. As such, the paper always had clout that was disproportionate to its circulation numbers. Our aim has always been to bring the reality of Nepal in all its aspects (especially the under-served and neglected) to the notice of the movers and shakers in Kathmandu. We practice solution-oriented journalism — not just exposing wrong-doing and what is wrong, but that things can be set right, and profiling people who survive and thrive despite all odds.

Le Nepali Times, parce qu'il est en anglais, est limité aux universitaires, aux chercheurs, aux sociétés commerciales, aux décisionnaires, aux bureaucrates de haut rang et aux partenaires internationaux du Népal. Ainsi, l'influence du journal a toujours été disproportionnée par rapport à son tirage. Notre but a toujours été de décrire la réalité du Népal dans tous ces aspects (en particulier les personnes défavorisées et négligées) aux décideurs à Kathmandu. Nous pratiquons un journalisme qui expose des solutions — il n'expose pas seulement les fautes et ce qui ne va pas, mais ce qui peut corriger la situation et fait le portrait de ceux qui survivent et réussissent malgré toutes les difficultés.

Le Népal présente en effet un défi unique pour les éditeurs. Il y a au moins 129 langues [13] [fr] parlées dans le pays ; le taux d'alphabétisation est en dessous des 70 pourcents [14], et l'accès à internet reste limité dans les régions montagneuses hors de la capitale.

D'ailleurs, les habitudes de consommation des médias changent constamment, comme le dévoile un article publié dans l’édition du 1er janvier du Nepali Times [15] :

[A survey] showed that the proportion of Nepalis who watch TV overtook radio listeners last year. This is a major change because Nepal's FM radio networks had been supreme for decades. But even TV is now facing a serious challenge from social media, and the rise of Facebook, YouTube and TikTok.

[Une étude] a montré que la proportion de Népalais qui regarde la télévision a dépassé l'année dernière celle de ceux qui écoutent la radio. C'est un changement majeur parce que les chaines de radio népalaises ont dominé pendant des décennies. Mais même la télévision fait maintenant face à une sérieuse concurrence des réseaux sociaux et à la montée de Facebook, Youtube et TikTok.

Dixit en conclut que ces changements de profil du public et une meilleure connectivité aux données mobiles pourraient signifier la fin des éditions imprimées — à très peu d'exceptions près.

Trade and specialty magazines may still be able to sustain themselves from ads, but general interest magazines and newspapers will have to plan for and move towards a digital-print hybrid, or even re-invent themselves as digital-only products. The eyeballs are dragging us in that direction, and this is a challenge not just for content producers, but also for those who are working on the new business model for media. How do we preserve the public service role of media in a democracy, while at the same time keep ourselves financially afloat? The media's political independence stems from its economic independence, and the new dependence on analytics and clickbait could lead us astray from the main mission. We have seen even in advanced and large democracies in the past few years how fragile that independence is.

Les magazines spécialisés et les revues peuvent subsister grâce à la publicité mais les magazines généraux et les journaux devront prévoir de se diriger vers une édition digitale hybride, voire se réinventer comme un produit uniquement digital. L'attention des lecteurs nous porte dans cette direction et c’est un défi non seulement pour les producteurs de contenu mais aussi pour ceux qui travaillent sur un nouveau modèle d’entreprise pour les médias. Comment préserver le rôle de service public des médias dans une démocratie, tout en se maintenant à flot financièrement ? L’indépendance politique des médias provient de son indépendance économique et la nouvelle dépendance aux analyses d’audience et aux pièges à clics pourrait nous éloigner de cette mission principale. Nous avons vu ces dernières années dans les démocraties avancées combien cette indépendance est fragile.