Au Haut-Karabakh, la guerre fait rage, la pandémie aussi

Bâtiments dans le centre de Stepanakert après des bombardements de l’armée azérie mi-octobre 2020. Photo par Régis Gente, utilisée avec autorisation.

L’article d'origine a été publié en anglais le 23 octobre 2020.

Au cœur d’une zone de guerre, gestes barrières et quatorzaine sont choses impossibles.

Une zone de guerre, c’est ce que le Haut-Karabakh est devenu. Le 27 septembre, alors que l’Azerbaïdjan tente de reprendre le Caucase du Sud, de violents affrontements éclatent. Cette guerre est maintenant le conflit le plus sérieux dans la région depuis 1994. À l’époque, un cessez-le-feu fragile avait laissé le Haut-Karabakh sous un État de facto, entre les mains des forces ethniques arméniennes. Si aujourd’hui le Haut-Karabakh n’est pas reconnu officiellement par l’Arménie, la capitale arménienne, Erevan, lui fournit un soutien militaire et économique de taille. En outre, la plupart des habitants de la région sont des citoyens arméniens.

Les forces armées azerbaïdjanaises ont bombardé la capitale, Stepanakert, avec de l’artillerie, des drones et, selon un rapport récent publié par l’organisation Human Rights Watch (HRW), des armes à sous-munitions. Des pertes civiles ont été dénombrées [en] dans la ville et une grande partie de ses 55 000 habitants ont fui vers l’Arménie, le pays voisin. Ceux qui sont restés sont contraints de se réfugier dans des abris et des caves. Le réseau électrique de la ville a également été perturbé.

Jusqu’à présent, deux cessez-le-feu humanitaires négociés par la Russie ont échoué. L’armée azerbaïdjanaise a reconquis rapidement des territoires dans le sud du Haut-Karabakh, le long de la frontière iranienne. Au moment de la rédaction de cet article [23 octobre 2020, ndlt], les soldats azéris se trouvent à quelques kilomètres de l’artère principale de transport entre le Haut-Karabakh et l’Arménie, le corridor de Latchin.

Alors que les affrontements se poursuivent, la question n’est plus de savoir si le Karabakh risque de se retrouver face à une crise humanitaire [en], mais plutôt comment l’éviter. Cette guerre se déroule dans l’ombre de la pandémie de COVID-19. La pandémie actuelle menace cet État qui n’est pas reconnu au niveau international et qui est presque complètement coupé de son seul lien vers un soutien extérieur à l’approche de l’hiver.

Les dernières données fournies par le ministère de la Santé de facto du Haut-Karabakh ont été publiées par le site d’investigation arménien Hetq [hy] le 26 septembre, la veille du début des hostilités. D’après ces chiffres, 421 cas de COVID-19 étaient alors confirmés sur le territoire. Cette semaine-là, les médias en langue arménienne ont également rapporté que 12 nouveaux cas de COVID-19 avaient été enregistrés [hy] dans le Haut-Karabakh en une journée, une hausse importante pour un territoire qui compte 140 000 habitants.

Il semblerait que, depuis le début de la guerre, les autorités sanitaires n’ont pas fait état de nouvelles statistiques relatives au COVID-19.

Global Voices a essayé de contacter le ministère de la Santé du Haut-Karabakh, sans succès. Cependant, le 22 octobre, le ministre de la Santé de facto, Ararat Ohanjanyan, a déclaré à l’Associated Press [en] que parmi le personnel soignant et infirmier du Karabakh, beaucoup avaient été infectés, mais avaient gardé leur état secret. « Nous n’avons pas eu le temps de retrouver ceux qui étaient infectés alors que Stepanakert subissait de lourds bombardements. Le virus a donc pu se propager », a déclaré Ohanjanyan, qui continue à travailler même s’il a été testé positif au COVID.

Lutter efficacement contre une pandémie tout en essayant de survivre à une guerre est presque impossible. D’après un rapport publié par EuroNews le 21 octobre, certains patients atteints de COVID-19 à Stepanakert ont dû se réfugier avec d’autres personnes lors de bombardements, augmentant le risque de transmission du virus.

« Objectivement et subjectivement, on ne peut jamais faire assez attention aux mesures préventives », a expliqué Artak Beglaryan, responsable chargé des droits humains au Karabakh, lors d'une conversation téléphonique.

Dans un échange en ligne avec Global Voices, Lika Zakaryan, une journaliste de Stepanakert, a déclaré plus directement : « En ce moment, tout le monde s’en fiche du COVID-19. Beaucoup de personnes sont probablement infectées, car nous avons des blessés de guerre dans les hôpitaux », a expliqué la reporter de CivilNet, une publication en ligne arménienne.

Zakaryan a ajouté qu’à sa connaissance la plupart des hôpitaux du Haut-Karabagh, dont l’hôpital général de Stepanakert, admettent toujours des patients. Mher Musaelyan, directeur de la clinique de l’Hôpital Général Républicain, a confirmé lors d’une conversation téléphonique avec Global Voices qu’il n’était pas au fait d’une quelconque surveillance à grande échelle du taux d’infection du COVID-19. « Actuellement, notre mission principale est de nous occuper des blessés », a expliqué le docteur Musaelyan, qui a également souligné que les médecins feraient de leur mieux pour traiter les personnes présentant des symptômes de COVID-19.

Cependant, certaines infrastructures médicales ont été endommagées et perturbées par les bombardements. Par exemple, s’il est probable que les plus grands hôpitaux du territoire possèdent leurs propres petits générateurs, une attaque azérie sur la principale centrale électrique de Stepanakert [en] a causé une panne d’électricité dans toute la ville le 3 octobre. Le 14 octobre, des photos sont apparues montrant le bombardement d’un hôpital dans la ville très contestée de Martakert, en proie à ce que les dirigeants arméniens ont qualifié d’attaque délibérée, ce que leurs homologues azéris ont démenti.

Avec cette guerre vient une recrudescence des cas de COVID-19 dans l'ensemble du Caucase du Sud.

Au début, l’Arménie était la plus durement touchée. Le 22 octobre, les médias publics ont rapporté une augmentation de 2 306 cas de COVID-19 [en] en un seul jour : le pire depuis le début de la pandémie en mars. Il n’y a cependant pas de bonnes nouvelles pour l’Azerbaïdjan ; le 21 octobre, Bakou a recensé un record journalier de nouveaux cas de COVID-19 [en].

Compte tenu de cette forte augmentation des infections, les dirigeants arméniens émettent maintenant des doutes quant à la capacité d'un système de santé en grande difficulté à faire face à la demande supplémentaire. Et cette demande supplémentaire est conséquente : la guerre a déjà conduit des milliers d’Arméniens du Haut-Karabakh à fuir vers le sud de l’Arménie [ru]. Beglaryan estime que jusqu’à 60 % de la population du territoire a déjà été déplacée.

« Si la situation continue comme cela, notre système de santé pourrait très prochainement s’effondrer et nous ne serons bientôt plus en mesure d’hospitaliser les cas graves [de COVID-19]. Nous avons actuellement 2 000 patients dans les hôpitaux », a mis en garde l’épidémiologiste Lusine Paronyan lors d’une conférence de presse [hy] le 22 octobre. Paronyan, qui dirige le centre national de contrôle des maladies du ministère de la Santé arménien, a ajouté que les services de santé travaillent main dans la main avec les forces armées afin de s’assurer que grâce au suivi des cas, le virus n’atteigne pas le front.

« Nous devons être unis contre le COVID-19 pour assurer la sécurité de nos soldats en première ligne » – Lusine Paronyan, ministre de la Santé

« Nous suivons tous les diagnostics de COVID-19 pour demander aux personnes qui étaient en contact avec eux de s’isoler. Ces données sont fournies au ministère de la Défense arménien afin d’empêcher que le virus atteigne le front. » – Lusine Paronyan, ministre de la Santé

Paronyan et ses collègues ont également incité les Arméniens à se rappeler que le pays est actuellement en train de mener deux guerres et qu’aucune n’a encore été gagnée :

Haut fonctionnaire du centre national de contrôle et de prévention des maladies : Depuis le déclenchement de la guerre à Artsakh, le nombre de cas de COVID-19 a drastiquement augmenté, de 13 %. Appel à la vigilance et au respect des consignes de sécurité.

Le ministre de la Santé arménien, Arsen Torosyan, a insinué que les dirigeants de l’Azerbaïdjan seraient également responsables de toute augmentation des morts liées au COVID-19 en Arménie et au Karabakh :

Le COVID-19 se propage dans la région disputée du Haut-Karabakh.
Comment les populations locales font-elles face à la pandémie ?

Une agression militaire pendant la pandémie de COVID-19 renforce la nature terroriste des dirigeants azerbaïdjanais. Stop à l’agression azérie.

Les organisations internationales évoquent de plus en plus en plus la pandémie dans leurs appels en faveur d'un apaisement de la situation.

« L’Arménie ne gagne pas. L’Azerbaïdjan ne gagne pas. C’est le COVID qui gagne. Nous devons arrêter », a exhorté le secrétaire général des Nations unies Antonio Gutierres le 21 octobre.

Pour Hans Klüge, le directeur régional pour l’Europe à l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la poursuite des hostilités contribuera directement [en] à la propagation des cas de COVID-19.

« Je ne m’attends pas à ce que la guerre ait des conséquences ; je sais qu’elle en a déjà », conclut Beglaryan, le responsable des droits humains. « Il est tout à fait clair que le conflit a affecté la situation du COVID-19 négativement, très négativement. Nous n’avons pas de chiffres exacts à cause de la surcharge de travail de notre système de santé. Le système de santé ne teste et ne traite plus les cas aussi bien qu’auparavant, nous n’avons donc pas non plus de statistiques générales. D’après mes conversations avec des médecins et le ministre de la Santé, il est clair que le nombre de cas s'est démultiplié. Pas par un facteur de deux ou trois, mais peut-être par dix ou quinze. Il augmente rapidement. »

Mais notre conversation a été perturbée.

« Ils attaquent encore », a dit Beglaryan, avant d’interrompre l’appel.

Cette nuit-là encore, Stepanakert a été la cible d’attaques.

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