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L’article d'origine a été publié en anglais le 5 février.
Le premier février, le réseau social Twitter a temporairement empêché les habitants de l’Inde de consulter plus de 250 comptes qui semblaient témoigner leur soutien aux manifestations des agriculteurs qui secouent le pays depuis quatre mois. Les comptes ont été rétablis environ six heures plus tard.
Twitter a ensuite informé l’agence de presse ANI que les comptes avaient été bloqués sur requête du ministère indien de l'Électronique et de l'Informatique, qui a demandé le blocage des comptes ayant tweeté le hashtag #ModiPlanningFarmerGenocide (Modi planifie le génocide des agriculteurs) pour avoir publié des “tweets faux, provocateurs et intimidants”.
La plateforme nord-américaine a expliqué sa décision en évoquant sa politique de rétention de contenus dans certains pays, qu'elle emploie lorsqu'elle reçoit “une demande d'une entité compétente” dans cette juridiction.
Une source s'exprimant sous le couvert de l'anonymat a déclaré au Hindustan Times que Twitter avait décidé de restaurer les comptes après avoir conclu que le contenu occulté était “un discours digne d'intérêt”.
Le gouvernement indien s’est ensuite acharné sur Twitter, déclarant envisager une action en justice contre l’entreprise si elle ne se conformait pas à ses ordres :
Twitter cannot assume the role of (a) court and justify non-compliance. […] Twitter being an intermediary is obliged to obey the directions as per the satisfaction of authorities as to which inflammatory content will arouse passion and impact public order. Twitter cannot sit as an appellate authority over the satisfaction of the authorities about its potential impact on derailing public order.
Twitter ne peut assumer le role d’un tribunal et justifier le non-respect des règles (…) Twitter, étant un intermédiaire, est obligé d'obéir aux directives selon la satisfaction des autorités quant à l'évaluation du contenu incendiaire qui suscitera la passion et aura un impact sur l'ordre public. Twitter ne peut pas faire office d'autorité d'appel en ce qui concerne la satisfaction des autorités quant à son impact potentiel sur les dérives en matière d'ordre public.
Parmi les comptes suspendus sur Twitter le premier février, se trouvait le prestigieux magazine indien The Caravan. Le rédacteur en chef Vinod K. Jose a déclaré à Buzzfeed news que la décision de Twitter de suspendre leur compte officiel était la “dernière attaque en date parmi une longue liste d’actions ciblées” orchestrées contre la publication pour son engagement à couvrir des sujets importants.
Les militants et les organisations qui ont publié des mises à jour sur les manifestations ont également été pris dans le coup de filet de Twitter le 1er février. Certains d’entre eux étaient de gros comptes populaires, tels que @Tractor2twitr, @Kisanektamorcha, et @bkuektaugrahan.
Ces suspensions en masse ont été déplorées par l'organisme mondial de surveillance des médias Reporters sans frontières, qui a qualifié l'incident d'“affaire choquante de censure flagrante”. L’organisation a ajouté : “En ordonnant ces blocages, le ministère de l’Intérieur se comporte comme un ministère orwellien de la Vérité qui veut imposer son propre récit sur les manifestations des agriculteurs.”
Beaucoup de journalistes en Inde ont également condamné cette action, à l'instar de Sania Farooqui :
La spéciale d'aujourd'hui dans Censorship Nation : Twitter India bloque de multiples comptes https://t.co/klpkuWmrUz via @geetaseshu
— Sania Farooqui (@SaniaFarooqui) Le premier février, 2021
Edition spéciale aujourd'hui dans le dossier “Une nation sous censure” : Twitter Inde bloque de multiples comptes.
La journaliste renommée Rana Ayyub a tweeté :
Nous parlons de l'urgence au Myanmar mais personne ne parle de l'urgence non déclarée en Inde. Journalistes, militants accusés de sédition pour avoir couvert la manifestation des agriculteurs, leurs comptes Twitter suspendus, le monde ne peut se permettre d'ignorer cette dictature.
— Rana Ayyub (@RanaAyyub) February 1, 2021
Nous parlons de l'état d'urgence au Myanmar mais personne ne parle de l'état d'urgence non déclaré en Inde. Journalistes et militants accusés de sédition pour avoir couvert la manifestation des agriculteurs, leurs comptes Twitter suspendus, le monde ne peut se permettre d'ignorer cette dictature.
Des centaines de milliers d’agriculteurs dans plusieurs régions de l’Inde protestent contre des réformes agraires approuvées par le parlement en septembre 2020, qui vont dans le sens d'une libéralisation du secteur agricole. Les syndicats et organisations d'agriculteurs affirment que la réforme, qui parmi d'autres mesures élimine les subventions et les protections contre les grosses entreprises, mettra en péril leurs modes de vie.
Des milliers de fermiers ont campé pendant des mois à l’extérieur de New Dehli, revendiquant l'abrogation de cette loi. Depuis le début des manifestations, les autorités ont déposé plusieurs plaintes pour sédition contre des militants et des journalistes, et ont imposé des coupures d'Internet.
Les manifestations ont attiré l’attention mondiale au début du mois de février après que la pop star internationale Rihanna a tweeté à propos du problème :
Pourquoi on ne parle pas de ça? !#FarmersProtest https://t.co/obmIlXhK9S
— Rihanna (@rihanna) 2 février, 2021
Pourquoi on ne parle pas de ça? ! #ManifestationDesAgriculteurs
Le lendemain, Meena Harris, la nièce de la vice-présidente américaine Kamala Harris, a aussi utilisé Twitter pour condamner les coupures d’internet.
Et le 4 février, la militante suédoise pour le climat Greta Thunberg a témoigné son soutien aux manifestants sur un fil de discussion Twitter dans lequel elle a également partagé une “boîte à outils pour manifester”. Il s'agit d'un document contenant des ressources pour ceux qui veulent se familiariser avec la lutte des agriculteurs ou aider à l’organisation.
La police de Delhi a alors déclaré qu'elle allait enquêter sur les auteurs de la boîte à outils, qui sont jusqu'à présent inconnus.
Beaucoup d’Indiens, y compris des politiciens, des stars Bollywoodiennes, et des joueurs de cricket ont condamné les tweets de personnalités étrangères.
Dans une déclaration du 3 février, le ministre des Affaires étrangères de l’Inde a aussi commenté les expressions de soutien des personnalités étrangères : “La tentation des hashtags et commentaires sensationnalistes des médias sociaux, surtout lorsqu'ils sont utilisés par des célébrités et autres, n'est ni exacte, ni responsable.”