- Global Voices en Français - https://fr.globalvoices.org -

Une nouvelle loi russe exige l'autocensure des plateformes de médias sociaux

Catégories: Europe Centrale et de l'Est, Russie, Censure, Cyber-activisme, Gouvernance, Liberté d'expression, Manifestations, Média et journalisme, Médias citoyens, Politique, RuNet Echo
smartphone in crowd [1]

Un smartphone dans la foule. Image par SplitShire [2] de Pixabay [3].

[Sauf indication contraire, tous les liens de cet article mènent à des pages en russe, ndlt.]

Une nouvelle loi russe entrée en vigueur [4] début février 2021 fait reposer la responsabilité du blocage des contenus interdits sur les épaules des plateformes de réseaux sociaux populaires. Cela signale un changement de rythme pour RuNet [5] [fr], où le blocage de contenu était auparavant effectué par des fournisseurs de services Internet ou des services d'hébergement à la demande des représentants de l'État, des forces de police ou des tribunaux.

La nouvelle loi (№530-FZ) introduit une définition légale des « réseaux sociaux » : toute plateforme avec plus de 500 000 visiteurs quotidiens sera désormais officiellement classée comme telle et ajoutée à un registre spécial de l'État [6]. Ces sites de « réseaux sociaux » officiellement désignés devront trouver et supprimer le contenu illégal sur leurs pages par leurs propres moyens et s'exposent à de lourdes amendes [7] – allant de 800 000 roubles à 4 millions de roubles (10 860 à 54 310 dollars US) – s'ils n'obtempèrent pas. Des infractions répétées peuvent entraîner des amendes pouvant aller jusqu'à un dixième du chiffre d'affaires annuel de la plateforme.

Les types de contenu en ligne actuellement considérés comme illégaux en vertu de la loi russe comprennent les images à caractère sexuel représentant des enfants, les informations relatives à la consommation de drogues, au suicide ou à la propagation d'« activités dangereuses » parmi les mineurs, et les publicités pour l'alcool ou les jeux d'argent. Les informations qui portent atteinte à la dignité humaine ou à la moralité publique ou qui montrent un manque de respect envers « la société, l'État, les symboles de l'État ou les agents publics » sont également interdites. Une autre catégorie importante de contenu interdit comprend les appels à la désobéissance de masse, l'extrémisme, le terrorisme ou les appels à la participation à des rassemblements non approuvés, par exemple des manifestations.

Il convient de noter que de nombreuses plateformes de réseaux sociaux répertorient bon nombre de ces catégories de contenu comme des violations de leurs conditions d'utilisation et que ce type de publication est probablement déjà supprimé régulièrement dans le cadre de leurs pratiques de modération. Les experts soulignent que la raison la plus probable expliquant l'adoption de cette nouvelle législation est le désir de l'État de réduire le mécontentement croissant et les actions de protestation dans le pays.

Mikhaïl Tretyak, responsable de la section spécialisée dans la propriété intellectuelle et les technologies au Centre des droits numériques (Digital Rights Center), a déclaré au média indépendant The Bell  [7]:

Законопроект направлен и на обязательную блокировку контента оппозиционных политиков. Это и информация, выражающая неуважение к органам государственной власти, и призывы к массовым беспорядкам и участию в несогласованных публичных мероприятиях. К тому же владелец социальной сети обязан не допускать использование ресурса для разглашения сведений, составляющих государственную или иную специально охраняемую законом тайну.

La loi vise le blocage obligatoire du contenu partagé par les politiciens de l'opposition. Elle interdit également les informations s'attaquant aux organes de l'État et les appels au désordre de masse et à la participation à des événements publics non autorisés. Le propriétaire du réseau social doit également empêcher que sa plateforme soit utilisée pour divulguer des informations constituant un secret d'État ou toute autre information secrète protégée par la loi.

L'ONG Safe Internet League, proche des pouvoirs publics, a accepté la loi et a déjà compilé une liste de plateformes de réseaux sociaux qui, selon elle, devraient être ajoutées au nouveau registre de toute urgence. Cette liste comprend Facebook, Instagram, TikTok, Twitter, YouTube, VKontakte, Odnoklassniki, Telegram et WhatsApp. Elena Mizoulina, responsable de la Safe Internet League, a déclaré [8]à l'agence de presse officielle TASS :

Мы призываем Роскомнадзор не медлить с созданием реестра, чем быстрее он будет создан, тем быстрее заработает сам закон и быстрее соцсети в России будут очищаться он запрещенной информации.

Nous implorons [le régulateur des médias] Roskomnadzor de ne pas tergiverser sur la création du registre, plus vite il sera créé, plus vite la loi commencera à fonctionner et plus rapidement les réseaux sociaux en Russie seront purgés des informations illégales.

Sarkis Darbinyan, avocat principal de l'organisation de défense des droits numériques RosKomSvoboda, pense que [9] la nouvelle loi sera plus gênante pour les réseaux sociaux russes, qui devront peut-être investir davantage dans la modération de contenu en temps réel. Les plateformes basées en dehors de la Russie et sans siège dans le pays peuvent ignorer les demandes et sont moins susceptibles de faire face à un blocage complet, déclare Sarkis Darbinyan :

There were already a number of other laws which would allow [the state] to block [these social media platforms]. But blocking YouTube, Facebook or Twitter is obviously a political decision, which is not made by Roskomnadzor. And so far, we have not seen such a decision.

Il existait déjà un certain nombre d'autres lois qui permettraient à l'État de bloquer ces plateformes de médias sociaux. Mais bloquer YouTube, Facebook ou Twitter est certainement une décision politique, qui n'est pas prise par Roskomnadzor. Et jusqu'à présent, nous n'avons pas vu une telle décision.