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Le mouvement de désobéissance civile du Myanmar a donné naissance à de multiples formes de protestation novatrices

Catégories: Asie de l'Est, Myanmar (Birmanie), Droits humains, Idées, Manifestations, Médias citoyens, Politique
L'image montre une foule compacte de manifestants dans la rue et sur des passerelles. Nombreux sont ceux qui brandissent des pancartes avec des revendications. Sur la 1ère passerelle, une banderole noire est tendue avec l'inscription en anglais avec une couleur blanche : "We will never kneel down under the military boots" (Nous ne nous agenouillerons jamais sous les bottes des militaires). A gauche de cette banderole, on voit une affiche avec le visage de Aung San Suu Kyi. La scène se passe en journée, sous le soleil. En arrière plan, on distingue un building et un ciel bleu. [1]

Au Myanmar, les manifestants déploient d'énormes banderoles sur lesquelles figurent des messages rejetant le gouvernement militaire. Photographie transmise à Global Voices par un journaliste citoyen, utilisée avec autorisation.

Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages web en anglais.

Les autorités militaires du Myanmar ont interdit les rassemblements publics, ce qui n'a pas manqué d'encourager les manifestants à concevoir de nouvelles façons d'exprimer leur opposition au coup d'État.

Suite à la prise du pouvoir par les militaires le 1er février, un mouvement de désobéissance civile a été engagé [2], incitant la population à ne plus aller travailler, à boycotter les établissements appartenant aux généraux et à se rallier aux protestations contre le coup d'État.

Les professionnels de santé ont été parmi les premiers à soutenir le mouvement de désobéissance civile [3] [fr], en démissionnant de leur poste. Beaucoup ont continué à travailler dans les hôpitaux, tout en portant des rubans rouges en signe de protestation contre le gouvernement militaire.

Cette opération a été suivie par des manifestations populaires [4] qui consistaient à faire du bruit avec des casseroles et des poêles pour chasser symboliquement les mauvais esprits. Un résident a expliqué la popularité de cette forme de protestation :

Banging pots and pans has continued until today, and it lasts about 15 minutes from 8:00 pm to 8:15 pm. Though this mode of campaign may seem insignificant, it ensures that all citizens can participate and express their voices peacefully and safely without having to leave their houses.

Le concert de casseroles, qui dure environ 15 minutes, de 20h à 20h15, s'est poursuivi jusqu'à ce jour. Si ce mode de mobilisation peut sembler insignifiant, il offre à tous les citoyens la possibilité de participer et d'exprimer leur voix, pacifiquement et en toute sécurité, sans avoir à quitter leur domicile.

L'inventivité des manifestants pour barrer les routes

Beaucoup ont observé la participation active des fonctionnaires tels que les enseignants, les professionnels de santé et les agents forestiers aux manifestations organisées à travers le Myanmar. Les manifestants ont eu recours à des méthodes ingénieuses pour stopper la circulation [5] et empêcher les fonctionnaires de se rendre au travail. Kyaw Zwa Moe, rédacteur en chef de l'édition anglaise de The Irrawaddy, écrit [6] à ce sujet :

At the Myaynigone intersection, just a few miles from Sule, protesters helped pick up onions and gains of rice from the asphalt road, where someone had “dropped” them. Dozens of protesters picked up each onion and grain of rice, one at a time, while police watched over them. The purpose was to stop the traffic—as they had during the “car breakdown protest” and the “slow-motion drive protest” to create traffic jams in support of the Civil Disobedience Movement (CDM), which is aimed at preventing government staff from going to work.

Au carrefour de Myaynigone, à quelques kilomètres de Sule, les contestataires ont participé au ramassage d'oignons et de grains de riz sur la route goudronnée, où quelqu'un les avait, au préalable, « déposés ». Des dizaines de manifestants ont alors ramassé les oignons et les grains de riz, un à la fois, sous la surveillance de la police. Leur objectif était de faire cesser la circulation, comme ils l'avaient fait lors de la « manifestation des pannes de voiture » et de la « manifestation ralentissements », en vue de créer des embouteillages, en soutien au mouvement de désobéissance civile (CDM, Civil Disobedience Movement), et avec pour objectif d'empêcher les fonctionnaires de se rendre au travail.

Dernière tactique en date des manifestants hostiles au coup d'État militaire : des voitures « en panne » dans la principale ville du Myanmar, Yangon, obstruent les rues et déconcertent la police.
– Matthew Tostevin (@TostevinM) 17 février 2021

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L'image montre des voitures à l'arrêt sur une autoroute, tactique des automobilistes pour stopper la circulation et signifier leur mécontentement face au coup d'État militaire. Les capots et les coffres sont ouverts. Il y a 3 personnes en dehors de leur véhicule, avec un masque de protection faciale. En arrière plan, on voit des buildings, sous un ciel bleu et du soleil.

Même les trishaws [véhicules à trois roues utilisés comme taxis] ont été mobilisés pour cette action :

Dans un acte de désobéissance, les automobilistes de Yangon ont abandonné leurs voitures au milieu des routes, capot levé, et ont plaisanté en disant que leurs moteurs étaient tombés en panne.

Ce matin, certains conducteurs de trishaw lancent une « campagne de panne de trishaw » à Yangon afin de faire barrage au déplacement des militaires.
– Myanmar Now (@Myanmar_Now_Eng) 19 février 2021

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L'image sur 4 plans montre des rickshaws à l'arrêt, barrant les routes, en signe de protestation. On voit de grandes affiches de couleur rouge attachées à leur rickshaws avec une inscription en birman critiquant la ligne éditoriale de la chaîne de télévision publique MRTV. Sur le dernier plan, des policiers marchent dans les rues, suivis par des civils.

Les manifestants se sont également déplacés en bateau :

Ville de Nyaung Shwe – 18e jour de protestation le 21 février.

Pour la troisième fois, des bateaux se sont rassemblés sur le lac Inle pour réaliser une colonne de protestation sur l'eau, le 21 février. Environ 400 bateaux se sont ralliés aux manifestations.
– OnzeMyanmar (@ElevenMyanmar) 21 février 2021

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L'image en 4 plans montre un cortège de bateaux et une manifestation sur les pontons. La foule est compacte. On distingue des banderoles et des revendications : “Release our leader” (Relâchez notre dirigeante) sur un bateau ; “We want democracy” (Nous aspirons à la démocratie), banderole tenue par des hommes en chemise blanche et pantalon orange, une tenue typique de la région.

Un habitant a ajouté des précisions sur la campagne de « ramassage d'oignons » :

Basically, protesters intentionally drop onions in the middle of busy roads, and everyone helps pick up the onions, and put them in the (broken/bottomless) bags. This way, the police cannot claim that protesters are illegally blocking the roads.

En fait, les manifestants lâchent intentionnellement des oignons au milieu de routes très fréquentées puis tous aident à les ramasser et les placer dans des sachets (déchirés ou sans fond). Ainsi, la police ne peut pas dire que les manifestants bloquent illégalement les routes.

Lors d'une manifestation contre le coup d'État militaire, à Yangon, au Myanmar, le 19 février 2021, des manifestants feignent de ramasser des oignons tombés dans la rue dans le but de ralentir la circulation et de bloquer les routes.
– Mizzima News (@MizzimaNews) 19 février 2021

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L'image montre de nombreuses personnes, accroupies sur un passage pour piétons, faisant mine de récupérer des oignons, ce qui a pour effet de ralentir la circulation.

Le ralentissement de la circulation [20] est également obtenu au travers de la campagne « nouer les lacets » :

Première manifestation mondiale sur passage piétons à Yangon??
Les manifestants traversent légalement les passages piétons de Circle à l'intersection de Myay-Ni-Kone et ralentissent la circulation
Mais ils obéissent strictement aux lois
Au sens propre, c'est le mouvement d'obéissance civile ?
– Thu Yein Ye Htut Zaw (@GmYein) 18 février 2021

[description vidéo]
Vidéo de 45 secondes. On voit, sur des plans serrés et larges, de nombreuses personnes, accroupies, lacer leurs chaussures, arrêtant ainsi la circulation automobile, en guise de protestation. Certains font mine de ramasser des oignons. Une personne filme la scène et s'en amuse. A la fin, on entend des applaudissements.

Les spectacles de rue peuvent également rassembler les gens et paralyser la circulation :

Une récitation de poèmes face au coup d'État militaire
#Protestations au Myanmar.
– Maung Saungkha (@maung_saungkha) 8 février 2021

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2 plans montrent une foule compacte. Certaines personnes sont debout sur une passerelle et d'autres assises à même le sol, dans une rue, sous un ciel bleu ensoleillé. Tous les manifestants font le salut à 3 doigts. Une banderole rouge, avec une inscription en birman, et des drapeaux rouges de la NLD sont visibles.

Des artistes et des militants ont uni leurs forces pour confectionner de grandes bannières portant des messages contre le coup d'État ainsi que des graffitis de rue :

Les manifestants en opposition au gouvernement militaire du Myanmar ont marqué les esprits en espérant que tous constatent leur opposition au coup d'État militaire, depuis le 1er février. On m'a dit que cela se trouvait dans la 73e rue à Mandalay [deuxième plus grande ville du Myanmar]. Photographies par @tonywumm
– May Wong (@MayWongCNA) 17 février 2021

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L'image, en 4 plans aériens, montre une inscription avec un hashtag sur la route, de couleur blanche : #Save Myanmar (Sauvons le Myanmar). Les caractères sont écrits en gros pour être visibles. Des voitures circulent sur cette route.

Structuré, pacifique et créatif. Une sélection de bannières, d'œuvres d'art de rue et de slogans apparus dans le cadre des manifestations contre le coup d'État au Myanmar. Beaucoup de travail a été fourni pour réaliser certaines de ces œuvres et le message qu'elles véhiculent est maintenant relayé dans le monde entier.
– Freya Cole (@freya_cole) 17 février 2021

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Sur 4 plans l'image montre l'ampleur des manifestations. Sur le 1er plan, aérien, on lit en grosses lettres, le message : « We want democracy ; Save Myanmar » (Nous aspirons à la démocratie ; Sauvons le Myanmar). On distingue de nombreuses personnes en train de marcher dans cette rue et des voitures à l'arrêt. Le 2e plan montre des personnes, tenant des affiches, fouler une affiche sur laquelle figure le portrait du chef militaire, le général Min Aung Hlaing. Le 3e plan montre une affiche, tendue par 8 personnes, au milieu des manifestants, sur laquelle figure un gros plan du visage d'Aung San Suu Kyi et la carte du Myanmar, en filigrane sur son visage. Enfin, sur le dernier plan, on voit une foule compacte immense dans les rues. Une affiche avec le portrait d'Aung San Suu Kyi et l'inscription en anglais, « Please save our Leader, Future, Hope » (S'il vous plaît, sauvez notre leader, notre destin, notre espoir) est accrochée sur une passerelle, en hauteur. A côté de cette affiche, figure une banderole noire avec les mots « We will never kneel down under the military boots » (Nous ne nous agenouillerons jamais sous les bottes des militaires). Le logo RFA (Radio Free Asia) est visible en bas sur la droite, sur tous les plans.

Refuser le gouvernement militaire

Les manifestants ont également entrepris des actions visant à saper la bureaucratie contrôlée par l'armée. L'une d'entre elles est la campagne du « boycott de la loterie ».

The incomes from lottery directly go into government funds just like other taxes. So we stop buying lottery tickets to prevent our taxes from going to the military.

Les revenus de la loterie alimentent directement les fonds publics, tout comme les autres impôts. Cessons alors d'acheter des billets de loterie pour éviter que nos impôts ne soient reversés à l'armée.

La campagne « anti-conférence de presse » est menée par des journalistes qui boycottent les conférences de presse tenues par les militaires. Certains journalistes affiliés à un média étatique local ont été contraints d'assister à l'une d'entre elles, débouchant sur leur démission.

Les « campagnes de malédiction » visent à dénoncer les généraux et à leur faire honte, visant en particulier le commandant en chef Min Aung Hlaing. Dans le même ordre d'idées, la « campagne autour du surnaturel » fait intervenir des diseurs de bonne aventure et des chefs spirituels, chargés de jeter des sortilèges sur les généraux militaires superstitieux.

La campagne en ligne « Let's report pro-military Facebook pages » (Signalons les pages Facebook en faveur des militaires) encourage les utilisateurs de Facebook à signaler les pages suspectes, propageant des informations erronées en faveur du coup d'État.

Trois semaines seulement se sont écoulées depuis le coup d'État, cependant les manifestants ont déjà usé de diverses méthodes créatives pour exprimer leur dissidence. Les autorités militaires ont récemment eu recours à la violence [36], ce qui n'a fait qu'encourager davantage de personnes à se rallier aux protestations, comme le montre la grève générale [37] [fr] du 22 février, laquelle a donné lieu aux plus grandes manifestations contre le coup d'État dans tout le Myanmar.

*Avec des reportages supplémentaires réalisés dans le cadre du projet d’Observatoire des médias civiques [38] de Global Voices.