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Japon : la décision de rejeter dans l’océan les eaux contaminées de la centrale accidentée de Fukushima suscite l'inquiétude

Catégories: Asie de l'Est, Japon, Catastrophe naturelle/attentat, Médias citoyens, Sciences
Au premier plan, on peut voir des ouvriers en tenue de protection (blouses blanches, masques et casques), manipulant des câbles électriques. En arrière plan, on aperçoit des réservoirs de stockage de deux formes différentes.

Des ouvriers travaillent au milieu des réservoirs de stockage souterrains de l'eau contaminée, à la centrale nucléaire de Fukushima-Daiichi, le 17 avril 2013. On aperçoit en arrière-plan deux types de réservoirs de stockage hors sol. Photo de Greg Web, tirée du compte Flickr officiel de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) [1] et modifiée de son format d'origine, sous licence CC BY 2.0.  [2]

[Sauf mention contraire, tous les liens de cet article renvoient vers des pages en anglais, ndlt.]

Le gouvernement japonais a annoncé, mi-octobre 2020, son intention de rejeter de l'eau contaminée par des isotopes radioactifs dans l'océan. Cette eau provient de l'accident nucléaire de Fukushima, et la décision suscite de fortes inquiétudes dans le monde entier.

L'agence de presse japonaise Kyodo a publié [3] un article le 16 octobre, annonçant la volonté du gouvernement japonais d'approuver le rejet de près d'un million de tonnes d'eau radioactive issue de la centrale nucléaire de Fukushima-Daiichi dans l'océan.

Cette eau contaminée contiendrait des taux élevés de carbone 14, un isotope radioactif susceptible d'endommager l'ADN humain [4], selon un rapport [5] de Greenpeace publié suite à cette annonce. Face aux préoccupations liées à l'impact environnemental et sanitaire d'une telle manœuvre, certains experts ont souligné la difficulté, voire l'impossibilité, d'évaluer le risque réel sans connaître plus en détails les intentions du gouvernement.

À Fukushima, le secteur de la pêche, ravagé [6] d'un point de vue économique, s'oppose à tout projet de rejet dans l'océan, car cela pourrait contaminer les poissons. La Corée du Sud voisine a également exprimé « de fortes inquiétudes  [7]». De l'autre côté de l'océan Pacifique, sur l'île de Vancouver (au Canada), à quelque 7 300 km de Fukushima, la nouvelle a alarmé les habitants :

Le gouvernement japonais aurait prévu de rejeter plus d'un million de tonnes d'eau radioactive, provenant de la centrale nucléaire de Fukushima, dans l'océan. #yyj #pollution #nucléaire #radioactif

La centrale nucléaire de Fukushima-Daiichi (à environ 250 km au nord de Tokyo), sur la côte Pacifique du Japon, a été le théâtre du pire accident nucléaire au monde [14] depuis Chernobyl (1986), suite à un séisme dévastateur ayant entraîné un tsunami, le 11 mars 2011 [15]Trois des quatre réacteurs [16] [fr] de la centrale ont été détruits dans l'accident, entraînant la fuite de matériaux radioactifs qui ont contaminé les communautés voisines et forcé les populations locales à des évacuations en masse.

Actuellement, environ 1,25 million de tonnes [17] [jn] d'eau contaminée est stockée sur le site de la centrale nucléaire démantelée de Fukushima-Daiichi. Chaque jour, 170 tonnes [18] d'eau sont réinjectées pour le refroidissement des réacteurs, générant l'accumulation de nombreux éléments radioactifs potentiellement dangereux pour la santé humaine. L'eau contaminée est issue du mélange de l'eau utilisée pour le refroidissement des trois réacteurs avec des eaux de pluie ou avec celles qui circulent dans les sous-sols et s'infiltrent dans le bâtiment des réacteurs et des turbines, des équipements détruits par le séisme de la côte Pacifique du Tōhoku, le 11 mars 2011.

L'eau non contaminée, provenant des nappes phréatiques en amont de la centrale, est pompée dans l'océan, tandis que l'eau contaminée issue du site nucléaire est stockée dans d'immenses réservoirs qui dominent à présent le complexe tentaculaire de Fukushima. Le plus gros défi du gouvernement japonais et du service public d'électricité propriétaire des installations de Fukushima reste d'éviter que cette eau contaminée ne s'écoule dans l'océan.

En février 2020, le rapport [19] [pdf] d'une commission gouvernementale a comparé et analysé plusieurs solutions envisageables pour se débarrasser de l'eau contaminée du site du Fukushima. Les solutions évoquées comprenaient notamment :

Dans ce document, le comité a conclu que l’évacuation dans l'océan représentait la solution la moins chère et la plus réalisable d'un point de vue technique. Se fondant sur ces recommandations, le gouvernement japonais a examiné [18] en 2020 la possibilité de rejeter au moins un million de tonnes d'eau dans l'océan. Cependant, les détails quant à l'endroit ou la manière dont l'eau sera rejetée n'ont pas encore été dévoilés. 

fukushima radioactive water storage tanks [21]

Les réservoirs contenant l'eau contaminée, en face des bâtiments qui abritent les réacteurs, à la centrale nucléaire de Fukushima-Daiichi. Photo de Susanna Loof / AIEA [21], sous licence CC BY 2.0. [2]

« La méthode prévue pour rejeter ces isotopes dans l'océan n'a toujours pas été dévoilée », a déclaré Jay Cullen [22] lors d'une interview accordée à Global Voices« L'eau sera-t-elle rejetée depuis la côte ? Sera-t-elle pompée et réinjectée dans les profondeurs de l'océan ? Transportée par des pétroliers ? Il n'est même pas certain qu'une telle opération soit légale en vertu du Protocole de Londres sur les déchets en mer  [23]». Jay Cullen est chimiste marin, océanographe et professeur à la faculté des Sciences de la Terre et de l'Océan de l’Université de Victoria, sur l'île de Vancouver.

Selon lui, l'eau contiendrait des contaminants radioactifs, dont notamment des isotopes de césium, cobalt, carbone 14 et tritium. Il est extrêmement difficile [24] de dépolluer l'eau usagée de ces contaminants, selon Cullen. Tous trois sont potentiellement dangereux pour la santé humaine. En revanche, le niveau de risque est difficile à évaluer car il dépend de plusieurs facteurs, qui sont soit inconnus, soit tenus secrets par le gouvernement japonais et le service public d'électricité en charge de la décontamination.

« Cela revient à dire que le plomb est mauvais pour la santé, sans savoir à quelles quantités de plomb on est exposé », a déclaré Cullen. Afin d'évaluer correctement le risque, le chercheur explique qu'il faut se demander « quelles quantités d'isotopes vont polluer l'environnement, quels seront leurs effets sur l'environnement, et à quels niveaux d'isotopes les humain·e·s seront exposé·e·s ».

Sur Twitter, Cullen a également souligné que l'activité humaine avait par le passé été responsable de pollution par des contaminants radioactifs à des niveaux bien plus importants, et que l'on retrouve dans l'environnement encore aujourd'hui. C'est le cas notamment des essais d'armes nucléaires :

3) La quantité de tritium stocké dans les réservoirs de #Fukushima (1 PBq) reste faible en comparaison aux quantités toujours présentes dans l'océan du fait des essais d'armes nucléaires réalisés au cours du siècle dernier (8 000 PBq).

Selon Cullen, il s'agit de trouver le juste milieu entre d'une part le stockage sur site et le rejet potentiellement non maitrisé de l'eau, et d'autre part le rejet contrôlé.

« Le tritium a une demi-vie [période radioactive, ndlt.] de 12 ans », explique Cullen. Le risque diminue avec le temps, mais « il doit être évalué au regard de la probabilité de défaillance accidentelle des réservoirs de stockage, mais aussi au regard du risque de mégaséismes qui engendreraient des fuites non contrôlées ».

À ce jour, on ne dispose que de très peu d'informations sur les isotopes radioactifs stockés dans les réservoirs et sur le risque qu'ils représentent pour l'environnement et la santé humaine, ce qui pose un autre défi majeur dans l'évaluation des risques liés au rejet de l'eau radioactive dans l'océan.

6) Pour une évalutation précise des risques liés à un rejet de l'eau radioactive dans l'océan, il faudrait également prendre en compte les autres isotopes contenus dans cette eau, notamment le stronium 90 (90Sr) et le césium 137 (137Cs), qui ont une durée de vie plus longue dans l'environnement et peuvent s'accumuler dans les organismes vivants.