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Trinité-et-Tobago : une interprétation revisitée de l’hymne national heurte la présidente du pays

Catégories: Caraïbe, Trinité-et-Tobago, Arts et Culture, Médias citoyens, Musique

Capture d'écran tirée de la vidéo d'une interprétation de l'hymne national de Trinité-et-Tobago, mise en ligne par JR Videos.

L’article d'origine [1] a été publié en anglais le 31 juillet 2019. Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages web en anglais.

Trinité-et-Tobago a récemment accueilli le Festival caribéen des arts, plus communément appelé Carifesta [2]. Il a été célébré entre le 16 et le 25 août 2019 sur plusieurs sites aux quatre coins de la république formée de deux îles jumelles.

L’évènement a été créé en 1972 dans le cadre d’une initiative visant à réunir les habitants de la région grâce à l’art et la culture, la musique et la littérature, le cinéma, l’artisanat, la danse et le patrimoine culturel. Carifesta a reçu un accueil chaleureux du public, mais le débat porte principalement sur l’interprétation de l’hymne national pendant la cérémonie de clôture.

Peu de temps après, le cabinet de la présidente a publié un communiqué de presse [3] décriant l’interprétation. La présidente Paula Mae Weekes a déclaré :

Between August 16 and 25, 2019, we […] were reminded of the things that bind us and the possibilities that exist, through culture, for harmony among nations. […]

However, a discordant note was struck at the closing ceremony, when an unacceptable rendition of our National Anthem was performed. The National Anthem must be sung in its original music; no introduction or coda can be added or other artistic licence taken in its rendition. The offence is compounded when it occurs at an official function, as was the closing ceremony of CARIFESTA XIV.

Entre le 16 et le 25 août 2019, […]  à travers la culture, nous nous sommes souvenus des choses qui nous lient et des possibilités qui existent, pour l’harmonie des nations. […]

Cependant, une note discordante est parvenue à nos oreilles lors d’une inacceptable interprétation de notre hymne national à la cérémonie de clôture. L’hymne national doit être interprété sur sa musique originale. Aucune introduction, aucune coda ne doit être ajoutée, aucune autre liberté artistique ne doit être prise pour l’interpréter. La faute est d’autant plus grave quand cela se produit lors d’une cérémonie officielle comme c'est le cas de la cérémonie de clôture de la 14e édition de CARIFESTA.

La présidente a ajouté : « Notre hymne national, tout comme notre drapeau national et notre blason, nous identifie en tant que nation. Ils doivent être respectés en toute occasion. » Le site Internet du cabinet de la présidente aborde [4] les questions relatives au protocole en ce qui concerne l’hymne national, composé par Patrick Castagne en 1962, l’année où le pays a obtenu son indépendance de la Grande-Bretagne :

The National Anthem should be accorded the respect due to it when played, and on no occasion should it be treated with scant courtesy. While it must be played in the original music, the pitch, speed and tone can be changed.

L’hymne national doit recevoir le respect qui lui est dû quand il est joué. Il ne doit être méprisé à aucun moment. Il doit être joué dans sa musique originale, mais la hauteur, la vitesse et le ton peuvent être modifiés.

« La hauteur » est une caractéristique essentielle qui définit le son comme étant grave ou aigu, « la vitesse » est relative au rythme de l’interprétation, et la tonalité décrit la hauteur, la qualité et l’intensité du son.

Sur les réseaux sociaux, les réactions étaient partagées [5] : certains ont pensé que la présidente remplissait simplement son rôle en réitérant le protocole concernant les emblèmes nationaux. D’autres, notamment des musiciens, ont pensé que son point de vue manquait de progressisme.

Le musicien Denny Ablack a écrit [6] sur Facebook :

As a musician and musical curator of a 5,000 member T&T music network myself, I would say that personal aesthetic musical opinions of officials ought not to become the official state legal position based on their rank. I'm defending our musical sistren from charges of disrespecting the anthem…take a look, this may be unusual but it is a very respectful performance…the musical variation preceding and post anthem are not disrespectful either…aesthetically, it is fair to criticize if you don't like the rendition but not to assign disrespect to her intentions […]

Etant moi-même musicien et programmateur musical d’un réseau de musique de 5 000 membres à Trinité-et-Tobago, je dirais que les opinions personnelles des gouvernants en matière d’esthétique musicale ne doivent pas devenir la position légale et officielle de l’Etat selon leur statut. Je défends notre sistre musical contre les accusations d’irrespect envers notre hymne… La performance, bien qu’inhabituelle, est très respectueuse de notre hymne…  La variation musicale qui précède et clôture l’hymne n’est pas irrespectueuse non plus. Artistiquement, on peut critiquer la performance si on ne l’aime pas. Mais c’est injuste de juger ses intentions irrespectueuses […]

Il a ajouté :

If the national anthem is played on [steel] Pan for example, it won't be standard or original either, but it's not inherently disrespectful to vary from the original […] take some time to look at artistic reinterpretations of other countries anthems at sporting events, whether hit or miss. In art, the creative door must be open and not closed…

Jouer l’hymne national sur un steel drum par exemple n’est ni ordinaire, ni original, mais différer de la version originale n’est pas fondamentalement irrespectueux […] Prenez le temps d’écouter les réinterprétations artistiques des hymnes des autres pays lors d’évènements sportifs, qu’elles soient réussies ou non. En matière d’art, les portes de la créativité doivent être ouvertes et non fermées…

Dans une interview accordée à Global Voices par téléphone, la professeure de musique Patrice Cox-Neaves précise que tout instrument – y compris la voix –  est doté d’une sonorité qui lui est propre et qui est souvent influencée par la performance. Elle s’est montrée nuancée sur la question de la stricte adhérence à la partition originale de l’hymne, puisque plusieurs interprétations s’en sont éloignées. La phrase « Iles de la mer bleue des Caraïbes, » explique-t-elle, doit être chantée avec un rythme régulier, mais les variations sont fréquentes, tout comme le point d’orgue [7] [fr] ajouté à la fin ; il ne fait pas partie de la composition originale :

Music is a living thing. If Her Excellency had said that the rendition didn't appeal to her stylistically, that would be a different conversation, but I can attest to the fact that quite often when the anthem is played on the steel pan, or played in another genre of music, ‘artistic license’ is taken.

La musique est une chose vivante. Si son Excellence avait dit que l’interprétation ne lui avait pas plu stylistiquement, on aurait eu une conversation différente, mais je peux tout à fait attester que dans la plupart des cas, quand l’hymne est joué sur un steel drum ou dans un tout autre registre musical, on s'autorise une certaine “licence artistique”.

Cependant, pour Chantal Esdelle, musicienne et professeure, qui s’est aussi confiée à Global Voices par téléphone, il ne s’agissait pas dans ce cas d'une paraphrase de la mélodie. Elle considère que la manière dont Danielle Williams a chanté la première phrase (même si elle l’a correctement chantée une seconde fois) « a dénaturé l’hymne ».

C’est aussi l’avis d’observateurs non-musiciens comme Rose-Marie Lemessy-Forde. Sur Facebook, lors d’une discussion fermée (republiée ici avec sa permission), elle a écrit  [8]:

I actually agree with the president. If the anthem is not supposed to be embellished in that way, then respect that. When she first started singing, my initial thought was, “who anthem she singing? ?”. Her voice is lovely, she didn't need to pad the anthem with that intro. It seriously took away from the performance.

Je dois dire que je suis d’accord avec la présidente. Si l’hymne n’est pas supposé être modifié de cette manière, alors il faut l’accepter. Quand elle a commencé à chanter je me suis tout de suite demandé : “c’est l’hymne de quel pays ??”.

Sa voix est magnifique, elle n’avait pas besoin d’enjoliver l’hymne avec cette intro. Ça a sérieusement gâché la performance.

Certains commentateurs ont profité pour contester [9] d’autres aspects de la composition. Patrice Cox-Neaves a résumé tout ce pataquès en disant : « En matière de musique, nous ne pouvons être objectifs car c’est aussi personnel que chacun de nous. »