Une centaine d'activistes kurdes détenu.e.s par les forces de sécurité iraniennes en 2021

Un collage réalisé par le Réseau des Droits Humains du Kurdistan (Kurdistan Human Rights Network) représentant les photos des activistes kurdes placé.e.s en détention. Autorisation d'utilisation accordée à Global Voices.

[Sauf mention contraire, tous les liens mènent à des sources en anglais]

À l'aube de 2021, la République islamique d'Iran a déchaîné une nouvelle vague de répression à l'encontre de sa population kurde, procédant à de nombreuses arrestations arbitraires visant des activistes de la société civile kurde.

Selon plusieurs rapports, depuis le début de l'année 2021, dans plusieurs villes, de Téhéran à Sanandaj la capitale du Kurdistan iranien, au moins 91 citoyen.ne.s kurdes, notamment des activistes des droits humains, de l'écologie, ainsi que des artistes, ont été mis.e.s en état d'arrestation, ou autrement dit « ont disparu aux mains des forces de sécurité. »

Une lettre commune, à l'initiative de l'organisation suisse Association des Droits Humains au Kurdistan – Genève (KMMK-G) et publiée le 3 février, déclare que certain.e.s détenu.e.s ont été relâché.e.s mais que 89 personnes sont toujours incarcérées, et au moins 40 personnes ont subi une disparition forcée.

Plus de 50 activistes kurdes ont appelé le gouvernement iranien à libérer les détenu.e.s.

La persécution de la minorité kurde aux mains de l'État iranien dure depuis longtemps. Un rapport de 2008 réalisé par Amnesty International cite plusieurs exemples de « discriminations religieuses et culturelles à l'encontre de la population kurde de 12 millions d'habitants vivant en Iran, soit 15% de la population totale. »

Global Voices a interrogé Taimoor Aliassi, co-fondateur et directeur général de l'organisation suisse Association des Droits Humains au Kurdistan (KMMK-G), pour comprendre les motivations derrières ces mesures répressives.

Cet entretien a été édité par souci de concision et de clarté.

Quelles sont les raisons derrières ces arrestations ?

Before answering this question, it's necessary to note that the causes and scale of repression and violence in Iran against Kurdish people and other minorities are inherent to the inception of the Islamic Republic.

In August 1979, Ayatollah Khomeini, Iran’s then supreme leader, declared a holy war against Kurdish people and framed the Kurds as anti-Islam and anti-revolutionary because they simply were in favour of establishing a secular and democratic state in Iran. Since then, the Kurds have been stigmatized, marginalized and excluded from any participation in public life and perceived, and treated, as a hostile group by the Iranian state and its media.

Answering your question, since the beginning of January, along with the recent coordinated crackdown and mass arrests of Kurdish citizens, we are also witnessing a campaign of intense stigmatization, demonization, and criminalization of Kurdish citizens by Iranian media (Seda va Sima and Fars News). The Islamic Republic of Iran’s system of government heavily relies on violence and the spread of fear.

Given the internal political, economic, socio-cultural, environmental, and health crisis facing the regime and its incapacity to solve the Iranian challenges, we believe that the regime is fearing to lose control over its people, and the best way to show that it’s still on the reign and to keep on top, is the intensification of violence and repression, especially in the ethnic and marginalized territories. As such, since January, 16 Baluchi citizens were executed and five Ahwazi-Arabs prisoners are at imminent risk of executions.

Avant de répondre à cette question, il me semble nécessaire de souligner que les causes et l'ampleur de la violence et de la répression en Iran à l'encontre du peuple kurde et des autres minorités sont inhérentes à la mise en place de la République islamique.

En août 1979, l'Ayatollah Khomeini, le guide suprême d'Iran de l'époque, a déclaré une guerre de religion contre le peuple kurde, les accusant d'être anti-islam et anti-révolutionnaires car en faveur de la mise en place d'un état séculaire et démocratique en Iran. Depuis lors, la population kurde a été stigmatisée, marginalisée et exclue de toute participation à la vie publique du pays, perçue et traitée comme une entité hostile par le gouvernement iranien et les médias.

Pour répondre à la question, depuis début janvier, en plus des mesures répressives et des arrestations de masse de citoyen.ne.s kurdes, nous assistons également à une intense campagne de stigmatisation, de diabolisation et de criminalisation du peuple kurde par les médias iraniens (Seda va Sima et Fars News). La violence et la peur font partie intégrante du système de gouvernement de la République islamique d'Iran.

En raison des défis politiques, économiques, socio-culturels, environnementaux et sanitaires auquel le régime est confronté, et face à son incapacité à les résoudre, nous pensons que, de peur de perdre le contrôle de la population, le gouvernement réaffirme son pouvoir à travers l'intensification des violences et de la répression, en particulier dans les territoires où se trouvent des minorités ethniques et marginalisées. Ainsi, depuis le mois de janvier, 16 citoyens Baloutches ont été exécutés et cinq prisonniers Ahwazi risquent une exécution imminente.

Existe-t-il un lien entre les personnes qui ont été arrêtées ? Étaient-elles impliquées dans un projet commun par exemple ?

The detainees are members of civil society and they include students, environmentalists, cultural activists, musicians, and academics. For instance, five of the female detainees are all members of a Kurdish female musical group from the city of Kermanshah called “Gelaris”.

Les détenu.e.s sont des membres de la société civile et sont notamment des étudiant.e.s, des écologistes, des militant.e.s culturels, des musicien.ne.s, et des universitaires. Par exemple, cinq des détenues sont membres du groupe de musique kurde « Gelaris », originaire de la ville de Kermanshah.

Avez-vous des informations concernant les détenu.e.s et les chefs d'accusations retenus contre elleux ? Est-ce que les détenu.e.s ont eu la possibilité de contacter leurs familles ou leur avocat ?

The fate and whereabouts of 51 of the detainees are yet unknown. During the arrests, the houses of 31 detainees were searched and the belongings of five of them were confiscated by security forces. Five others were victims of physical assaults during their arrests.

Families of the 51 persons subjected to enforced disappearances have been subjected to continuous threats by the Revolutionary Guard when they seek information about their loved ones, and are told to avoid any communications with the media and UN agencies. They are also told that the detainees are not allowed to have access to a lawyer during investigations, which increases the risks of extracting confessions under torture. The families are extremely concerned about the fates and whereabouts of their loved ones and the Iranian authorities have refused to provide information about the detainees.

Such state measures constitute a clear violation of Article 14 of the International Covenant on Civil and Political Rights (ICCPR) to which Iran is a party, as they severely limit access to lawyers and legal defense. Beatings, ill-treatment, torture, incommunicado detentions, enforced disappearances, and arbitrary arrests of the detainees are all infringements, not only of the ICCPR, but also the Iranian law.

51 des détenu.e.s restent introuvables à ce jour et leur sort reste inconnu. Lors des arrestations, les habitations de 31 détenu.e.s ont été fouillées, et les possessions de cinq d'entre elleux ont été confisquées par les autorités. Cinq autres ont été victimes de violences physiques lors de leur arrestation.

Les familles de 51 personnes ayant subi une disparition forcée, en quête d'information au sujet de leurs proches disparu.e.s ont fait l'objet de menaces continues de la part des Gardiens de la Révolution, et ont été sommées d'éviter tout contact avec les médias ou toute agence onusienne. Elles ont également été informées que les détenu.e.s n'auraient pas le droit à la présence d'un.e avocat.e pendant l'enquête, augmentant fortement le risque d'usage de la torture afin d'obtenir des aveux. Les familles s'inquiètent vivement du sort de leurs proches, ignorant l'endroit exact où iels se trouvent, et les autorités iraniennes refusent de fournir la moindre information les concernant.

Ces mesures prises par le gouvernement, privant les détenu.e.s des moyens juridiques pour se défendre, y compris le recours à un avocat, constituent une violation manifeste de l'Article 14 du Pacte international relatifs aux droits civils et politiques (PIDCP [fr]), dont l'Iran est signataire. Les violences physiques, le mauvais traitement, la torture, les détentions au secret, les disparitions forcées et les arrestations arbitraires des détenu.e.s constituent des violations non seulement du PIDCP, mais également de la loi iranienne.

Un groupe d'activistes civil.e.s et politiques kurdes a publié une déclaration dénonçant cette vague d'arrestations de masse. Pouvez-vous nous dire si d'autres Iraniens, non-Kurdes, ont rejoint ce mouvement de protestation ?

Currently, we have initiated and published on February 3 a joint statement, supported by 36 civil societies and human rights organizations including Amnesty International and Human Rights Watch (HRW), calling for the international community's urgent attention to the ongoing wave of arbitrary arrests, incommunicado detention, and enforced disappearances by the Iranian authorities, targeting scores of people from Iran’s disadvantaged Kurdish minority.

According to this joint letter, few detainees have been released, but “89 individuals remain detained, at least 40 have are being subjected to enforced disappearance.”

À  notre initiative, nous avons publié le 3 février dernier une déclaration commune, soutenue par 36 sociétés civiles et organisations des droits humains, dont Amnesty International et Human Rights Watch (HRW), appelant à l'attention de la communauté internationale concernant la vague actuelle d'arrestations arbitraires, les détentions au secret, et les disparitions forcées, à l'encontre de nombreuses personnes issues de la minorité Kurde défavorisée d'Iran, aux mains des autorités iraniennes.

Selon cette lettre commune, quelques détenu.e.s ont été libéré.e.s, mais « 89 personnes demeurent enfermées, dont 40 au moins ont subi une disparition forcée. »

Selon vous, quel peut être l'impact des organisation internationales sur cette situation ?

We hope that pressure from the UN, EU, and the international community pushes the Iranian authorities to stop their campaign of demonizing and intensified repression against Iranian ethnic and religious minorities, as well all Iranian citizens.

Nous espérons que l'ONU, l'UE et le reste de la communauté internationale puissent faire pression sur les autorités iraniennes pour mettre fin à leur campagne de diabolisation et d'intense répression à l'encontre des minorités ethniques et religieuses iraniennes, ainsi que de la population iranienne.

La minorité kurde fait face à des pressions et des persécutions depuis plusieurs décennies. L'année dernière, des centaines de Kurdes ont été arrêtés. Y a-t-il une différence entre cette vague d'arrestation et les précédentes ?

Since 2020, we have observed a new pattern of persecution and the executions of Kurdish political prisoners in Iran by squad firing, group executions and disappearances of the prisoners and their bodies, and denial of the last visitation of the family before execution. This pattern was common in the 1980s.

The secret execution and enforced disappearances of Mr. Hedayat Abdollahpour, a Kurdish political prisoner, on 11 May 2020, in a military base in Oshnavieh, West Azerbaijan Province by squad firing, despite the UN human rights experts’ multiple calls and concerns raised with the Iranian authorities, as well as the group execution of Mr. Saber Sheikh Abdullah and Diako Rasulzadek, exemplifies this new pattern of executions of prisoners belonging to ethnic groups and others in Iran.

The recent crackdown on Kurdish civil society activists indicates this new pattern of persecution and cycle of violence against members of ethnic-religious groups in particular, and in Iran in general. This requires a tougher position from United Nations and Western countries on Iran and the question of  respect for human rights and minority rights in Iran needs to be a main part of EU-Iran new round of negotiations.

Depuis 2020, nous observons un nouveau schéma de persécution, et de nouvelles formes d'exécution des prisonnier.e.s politiques kurdes en Iran, par peloton d'exécution, des exécutions groupées et la dissimulation des prisonnier.e.s et de leurs corps, ainsi que le refus des droits de visite aux familles avant l'exécution. Ces méthodes étaient également appliquées dans les années 1980.

La disparition forcée et l'exécution secrète de M. Hedayat Abdollahpour, un prisonnier politique kurde, le 11 mai 2020, dans une base militaire d'Oshnaviyeh dans la province d'Azerbaïdjan-Occidental, par peloton d'exécution, malgré les préoccupations et multiples appels de l'expert des droits humains de l'ONU pour y mettre fin, ainsi que l'exécution groupée de M. Saber Sheikh Abdullah et Diako Rasulzadek, nous montrent cette nouvelle tendance d'exécution des prisonniers appartenant à différents groupes ethniques en Iran.

La récente vague de répression à l'encontre de la société civile kurde est un indicateur de cette nouvelle forme de persécution et le cycle de violence visant les membres de certains groupes ethno-religieux en particulier, et l'Iran en général. Cette situation requiert une position plus ferme de la part des Nations Unies et de l'Occident vis-à-vis de l'Iran, et le sujet du respect des droits humains en Iran doit faire partie intégrante des prochaines négociations entre l'Iran et l'Union Européenne.

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