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Le monde arabe pleure le grand poète palestinien Mourid al-Barghouti

Catégories: Afrique du Nord et Moyen-Orient, Palestine, Arts et Culture, Littérature, Manifestations, Médias citoyens, Politique, Réfugiés

Photo issue du compte Twitter [1] de Mourid al-Barghouti, le représentant accompagné de sa défunte épouse Radwa Ashour : une histoire d’amour chérie à travers le monde arabe. La légende indique : « Après-midi du 22 juillet 1970 : nous sommes devenus une famille. Son rire est devenu mon foyer ».

L'illustre Mourid al-Barghouti, poète palestinien tant apprécié, est décédé le dimanche 14 février à l’âge de 77 ans ; une onde de chagrin a parcouru le monde arabe, plongeant son vaste public dans l'affliction. Ce qu'il avait prophétisé il y a fort longtemps s’est donc réalisé :

أنا أكبر من إسرائيل بأربع سنوات، والمؤكد أنني سأموت قبل تحرير بلادي من الاحتلال الإسرائيلي. عمري الذي عشت معظمه في المنافي تركني محملًا بغربة لا شفاء منها، وذاكرة لا يمكن أن يوقفها شيء

J’ai quatre ans de plus qu’Israël, mais je mourrai sûrement avant que mon pays ne soit libéré de l’occupation israélienne. Ma vie, passée en grande partie en exil, m’a laissé chargé d’une aliénation incurable et de souvenirs indélébiles.

La poésie de Mourid, ses images frappantes et ses mots sombres vecteurs de résilience et de mélancolie, porte majoritairement sur des questions arabes et palestiniennes. Durant des décennies, il a partagé son désir de fouler à nouveau sa terre natale en Palestine, d’où il a été tenu à l’écart depuis la guerre des Six Jours, plus de trente ans auparavant. Un accès restreint lui avait depuis été accordé.

Il est l'auteur d'une douzaine de recueils poétiques dans lesquels sa plume oscille entre espoir, résistance et désespoir, rêvant de retrouver sa terre natale lointaine, sa famille éclatée par l’absence d’État, et son amour que l’exil a tenu éloigné.

En 2008, il a déclaré dans une interview [2] [en] au Guardian :

The dilemma of Palestinian writers, that we're expected to address the needs of people denied self-expression under occupation, to express their pain. But this is a trap: you have to strike a balance, not sacrificing the aesthetics for your readership. I hate the terms “resistance poetry” or “exile poetry.” We're not one-theme poets. A moment of joy or misery is juxtaposed by its opposite. There's no one face; I see both. I question myself all the time; if you oversimplify, you'd better quit.

Le dilemme des écrivains palestiniens est que nous sommes censés raconter la douleur et répondre aux besoins d’un peuple occupé et privé de sa liberté d’expression. Mais c’est un piège : il faut trouver un point d’équilibre, ne pas sacrifier l’esthétique pour son lectorat. Je déteste les expressions « poésie de la résistance » ou « poésie de l’exil ». Nous ne sommes pas cantonnés à un seul thème. Un moment de joie ou de malheur est accolé à son contraire. Il n’y a pas qu’une face, les deux me sont visibles. Je me remets sans cesse en question ; si on simplifie à outrance, il est temps de raccrocher.

Son récit autobiographique J’ai vu Ramallah, qui l’a révélé au grand public, a été décrit par le fameux intellectuel et universitaire Edward Said comme « l’un des plus brillants compte-rendus existentiels relatifs au déplacement de la population palestinienne ».

Né en 1944 à Deir Ghassaneh, petit village montagneux cis-jordanien situé près de Ramallah, Mourid a été exilé vingt ans de Jordanie, quinze ans du Liban et dix-huit d’Égypte, le coupant de sa femme égyptienne, la professeure et romancière Radwa Ashour, et de son fils, le poète Tamim.

Hormis ses poèmes évoquant les questions sociales et politiques traversant le monde arabe, ainsi que le combat quotidien de ses habitants, c'est la relation entre les deux écrivains qui est devenue une histoire d'amour particulièrement appréciée dans cette vaste région.

Mourid al-Barghouti nous a offert sa passion et sa douleur pour son pays natal. Il nous a offert la pureté de son amour pour Radwa. Il nous a offert ses mots qui entrent en résonance avec notre Nakba syrienne. Enfin, il nous a offert J’ai vu Ramallah, qui me touche par-dessus tout en raison de ma relation avec mon propre héritage. Repose en paix, Mourid.

Un autre tweet explique :

L’amour intemporel unissant Mourid al-Barghouti et Radwa Ashour – que l’on voit éclore dans leurs œuvres respectives – est l’une des plus belles histoires d’amour du XXe siècle… Un autre âme admirable a quitté notre royaume terrestre. Puisse leur amour sublime réunir ces deux âmes combatives, qu'elles trouvent enfin le repos.

Aux quatre coins du monde, la plume brillante de Mourid a touché un très large public partageant son envie de voir la Palestine libérée et une voix libre s’élever.

La réalisatrice Annemarie Jacir a tweeté  :

Mourid al-Barghouti. Ça me fend le cœur. À jamais gravé dans ma mémoire : un dîner à Amman. La pluie s'était mise à tomber. Tu t’es précipité dehors, les bras écartés comme un enfant, et tu as tournoyé, souriant pendant que la pluie te trempait. La Palestine a perdu l’un de ses plus brillants enfants.

Pleurant la mort du poète bien-aimé, les réseaux sociaux du monde entier ont été envahis de messages de deuil et de chagrin, de gratitude et de souvenirs, ainsi que d’extraits de ses poèmes.

La poétesse libanaise Zeina Hashem a ainsi écrit :

« laissé le monde en l’état,
en espérant qu’un jour, quelqu’un d’autre
le changera. » — @MouridBarghouti
Repose en puissance, & merci.

La professeure Laleh Khalili a, elle, cité le poète :

« Jérusalem. La ville de nos petits plaisirs que nous oublions vite, car nous n’aurons que faire de nos souvenirs, parce qu'ils sont ordinaires, de même que l’eau est eau et l’éclair est éclair. Puis, s’échappant de nos mains, devenue symbole, là-haut dans le ciel. » Mourid al-Barghouti.

Dans un autre post, Omar Ghraieb déclare :

Nous avons perdu @MouridBarghouti, une perte immense pour la Palestine. Puisses-tu reposer en paix avec la conviction que ta plume virtuose a parlé pour ton pays. Pas une génération ne t’oubliera, et ton œuvre légendaire perpétuera ton nom.