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Le film guatémaltèque «La Llorona» mêle terreur et politique pour raconter une glaçante histoire de guerre civile

Catégories: Amérique latine, Guatémala, Arts et Culture, Ethnicité et racisme, Médias citoyens

Capture d'écran de l'une des scènes du film La Llorona sur YouTube [1].

En Amérique latine la llorona [2] est une légende orale populaire sur une femme qui a noyé ses enfants et qui, condamnée et repentie, les cherche la nuit dans les rivières en effrayant ceux qui la voient ou qui entendent ses cris.

La llorona a été représentée dans plusieurs œuvres culturelles, comme Coco (2017) [3] de Disney, mais aussi dans des films d’horreur hollywoodiens comme La malédiction de la dame blanche (2019) [4] et dans de multiples interprétations de la chanson mexicaine La llorona. Selon la revue Foreign Policy [5][en], dix films font référence à cette légende.

En 2019, le réalisateur guatémaltèque Jayro Bustamante a abordé l’histoire récente de son pays à travers le conte pour produire un film d’horreur extrêmement politisé, intitulé La llorona. Dans cette histoire, les esprits de milliers de victimes d’assassinats pendant la guerre civile du Guatemala reviennent pour tourmenter un ancien dictateur et sa famille dans leur demeure d’aristocrates.

La Llorona est le premier film centre-américain [6] [en] à être candidat au Golden Globe du Meilleur Film étranger, dont la cérémonie aura lieu le 28 février.

Voici la bande-annonce du film :

Avec la Guerre Froide pour toile de fond, la guerre civile du Guatemala [7] s’est déroulée des années 1960 aux années 1990, avec différents gouvernements soutenus par les États-Unis qui prétendaient étouffer toute tentative d’opposition engagée et anéantir les mouvements de guérilla de gauche. Les peuples indigènes ont subi le génocide [8] aux mains de l’État guatémaltèque, responsable pendant cette période de plus de 90% des morts [9] [en], des disparitions et d’autres violations des droits humains.

« Cette guerre civile acharnée a ôté la vie à 200 000 personnes, dont la majorité était indigène [10] [en ; pdf]. Dans tout le pays, 626 lieux de massacre [11] [en] ont été identifiés », rapportait The Conversation [12] [en] en 2018. Des villages ont été bombardés, les victimes étaient empalées ou brûlées vives, les femmes enceintes et les enfants ont été brutalement assassinés. Le dictateur Efraín Ríos Montt [13], aujourd’hui disparu, a été condamné à 80 ans de prison [9] [en] en 2013 pour génocide et crimes contre l’humanité pour le massacre d’au moins 1 771 ixiles durant son mandat en 1982-1983. Cependant, moins de deux semaines après, les tribunaux du Guatemala ont révoqué sa peine pour vice de forme.

Bustamante donne vie à la légende populaire pour relier le passé sanglant du Guatemala et l’actuelle lutte pour la justice, comme l'indique Foreign Policy [5] [en] :

The antagonist is not the woman who has lost everything, as we have come to expect. The antagonist is instead the broken human personification of the force of genocidal actions that took everything from her.

L’antagoniste, ce n’est pas la femme qui a tout perdu, comme nous le croyions. Elle est au contraire la personnification humaine des actions génocidaires qui ont tout détruit.

Le film a reçu une note de 97% sur Rotten Tomatoes [14], et les réactions à sa nomination ont été extrêmement positives.

La chanteuse guatemaltèque d’origine maya Sara Curruchich [17] a interviewé par Zoom l’héroïne du film María Mercedes Coroy [18] [en], elle-même d’origine maya kaqchikel. Coroy encourage les femmes et les filles à réaliser leurs rêves.

C’est le message de @MaMercedesCoroy, l'actrice qui a joué dans Ixcanul et La Llorona, pour les petites filles, les adolescentes et les femmes du Guatemala. #Tzijonik #EnTissantDesMots

Vous pouvez voir l’interview complète sur ?? https://t.co/jiRc5373Mg [22] pic.twitter.com/KE62NUHU4h [23]

Même s’il est difficile de trouver des critiques sur internet, des voix se sont élevées pour dénoncer les points de vue blancs et ladinos (personne métisse en Amérique centrale) du film. Dichos de un Bicho [25], illustrateur salvadorien qui vit aux États-Unis, déclare [26] [en] :

The narrative is constructed from the white/ladino point of view, and ultimately places the white/ladino Guatemalan characters at the center, leaving the indigenous characters on the periphery.

La narration se construit d’un point de vue blanc/ladino et se concentre en dernier ressort sur les personnages blancs/ladinos guatémaltèques, en excluant les personnages indigènes.

Sandra Xinico Batz [27], d’origine maya kaqchikel a fait une critique semblable [28] [es] sur le précédent film de Bustamante, Ixcanul [29] (2015).

En un país como Guatemala, hablar, escribir, proyectar, escenificar, (etc.) la vida indígena (ahora) dota de beneficios, claro, cuando no son los indígenas (mismos) quienes con sus demandas estructurales (…). Cuando los pueblos indígenas con su propia voz y a su forma se pronuncian sobre su situación son severamente juzgados, pero cuando se habla sobre ellos con la voz de un no indígena la cosa se transforma, ya no es igual (entonces sí escuchamos).

Dans un pays tel que le Guatemala, parler, écrire, projeter, mettre en scène (etc.) la vie indigène (aujourd’hui) comporte des bénéfices, bien sûr, quand ce ne sont pas les indigènes (eux-mêmes) qui, face à leurs exigences structurelles, élèvent la voix pour être écoutés. Quand les peuples indigènes, avec leur propre voix, s’expriment à leur manière sur leur situation, ils sont sévèrement jugés, mais lorsque l’on emploie la voix d’un non indigène pour parler d’eux, la situation se transforme et ce n’est plus pareil (alors oui, nous écoutons).

Pour le moment, les indigènes guatémaltèques n’ont pas donné leur opinion sur La Llorona de Bustamante ni sur sa reconnaissance à l’international. Sur les réseaux, beaucoup de Centre-américains espèrent que son talent rayonne sur le grand écran.

Le film La Llorona de Jayro Bustamante est disponible à la vente et à la location sur Mowies [30], Shudder [31], et Amazon [32].