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Un projet Wikipédia donne un coup de pouce aux locuteurs du sakizaya à Taïwan

Catégories: Asie de l'Est, Taïwan (ROC), Langues, Médias citoyens, Rising Voices
Des hommes et des femmes en vêtements traditionnels sakizaya exécutent une danse en se tenant par la main. [1]

Le peuple Sakizaya. Capture d'écran prise sur YouTube.

En novembre 2019 [2][en], les contributeurs de Wikipédia dont la langue natale est le sakizaya [3] [en] de Taïwan ont reçu le cadeau parfait : une encyclopédie Wikipédia dans leur propre langue.

Il existe 299 encyclopédies Wikipédia en cours d’édition dans 299 langues différentes. Le Sakizaya Wikipitiya [4][szy], ainsi nommé dans la langue sakizaya, possède actuellement 1 759 [5] [szy] articles rédigés par une quarantaine de contributeurs bénévoles actifs.

Comme toutes les encyclopédies Wikipédia, elle est librement consultable et modifiable par tous. Publier sur Wikipédia consiste essentiellement à créer du nouveau contenu encyclopédique, à modifier des articles déjà publiés ainsi qu’à traduire du contenu existant dans une autre langue sur Wikipédia.

Le gouvernement taïwanais n’a reconnu le peuple sakizaya [6] comme un groupe ethnique à part entière qu’à partir de 2007. Pendant les 129 années qui ont précédé, ce groupe avait été considéré comme faisant partie de l’ethnie des Amis [7]. En effet, des personnes appartenant au groupe sakizaya avaient intentionnellement dissimulé leur origine ethnique à la suite d’une bataille dévastatrice [8] contre les envahisseurs Qing à la fin du XIXe siècle, que les Sakizaya ont nommée « Bataille de Takubuwan ».

Actuellement, cette communauté autochtone réside principalement dans les villes de Keelung [9], de Taoyuan [10], de Nouveau Taipei [11], ainsi que dans le comté de Hualien [12].

Le recensement officiel de la population dénombrait 985 habitants au sein de la communauté à compter de janvier 2020 [13] [zh].

Ci-dessous : une courte vidéo sur l’histoire du peuple sakizaya produite par le Conseil des peuples autochtones [14] [zh] :

Pour en savoir plus sur le développement de Wikipédia en sakizaya et sur les efforts d’activisme numérique qui s’y rattachent, Rising Voices a contacté Lami Tsai-Wei Hung, une des contributrices actives de cette version de Wikipédia, mais également doctorante et chercheuse au sein du Département des cultures et relations ethniques [15] [zh] de l’Université nationale Dong Hwa [16] [zh] à Taïwan.

Lami a également apporté son aide à la mise en place du programme de mentorat financé par le gouvernement taïwanais.

Rising Voices (RV) : Quelle est la situation actuelle de la langue sakizaya et comment est-elle utilisée au quotidien, en milieu scolaire et dans les médias ?

Lami Tsai-Wei Hung (LH): Along with six other indigenous languages in Taiwan, Sakizaya is classified as “critically endangered” by UNESCO [17]. For its vitality, Ethnologue [18], a guide on living languages of the world, classifies the language as “institutional,” meaning the language has been developed to the point that it is used and sustained by institutions beyond home and community settings. However, Ethnologue’s assessment may not reflect actual status.

Though the 2020 statistics [19] suggests that there are about 985 registered members of Sakizaya, the number of actual speakers could be as low as 590 as it hasn’t been fully passed down to the younger generation. Many Sakizaya elders above 55 might be fluent, yet urban dwellers and youths might not be.

While there’s no designated TV channel or radio station in Sakizaya, the Taiwan Indigenous TV [20] (TITV [21]) and the FM96.3 Alian Radio [22] broadcast in local indigenous languages including Sakizaya. However, the lead anchors are in their sixties and therefore [lack] young audiences.

The government has become more aware of the [need to use] indigenous languages along with Mandarin for public announcements. While it has made policies more indigenous-friendly and brought more subsidies to language revitalization programs, this has not helped much in raising public interest.

Lami Tsai-Wei Hung (LH) : Le sakizaya, de même que six autres langues autochtones de Taïwan, est classé comme étant « en situation critique » par l’UNESCO [23]. Quant à son dynamisme, Ethnologue [18][en], un guide sur les langues vivantes du monde, répertorie la langue comme étant « institutionnelle ». Autrement dit, la langue s’est développée au point qu’elle est usitée et entretenue par les institutions au-delà du cadre familial et communautaire. Cependant, il est possible que l’étude d’Ethnologue ne reflète pas le véritable statut des langues.

Bien que les statistiques de 2020 [13] [zh] laissent penser qu’il y a environ 985 membres recensés au sein de la communauté sakizaya, le nombre de locuteurs véritables ne dépasserait pas 590, car la langue n’a pas été complètement transmise aux jeunes générations. Il se pourrait que nombre de Sakizaya âgés de plus de 55 ans parlent couramment la langue, mais ce n’est sans doute pas le cas des citadins et des jeunes.

Bien qu’il n’existe pas de chaînes de télévision dédiées ou de stations de radio en sakizaya, la Taiwan Indigenous TV [20] [en] (TITV [21]) [zh] et la station FM96.3 Alian Radio [22] [zh] diffusent du contenu dans les langues autochtones, y compris en sakizaya. Toutefois, les principaux animateurs et présentateurs sont âgés d’une soixantaine d’années. C’est la raison pour laquelle ils n’attirent pas le jeune public.

Le gouvernement a davantage pris conscience de la [nécessité d’utiliser] les langues autochtones en plus du mandarin lors des allocutions publiques. Bien qu’il ait élaboré des lois plus favorables envers les communautés autochtones et alloué davantage de subventions à des programmes de revitalisation des langues, cela n’a pas beaucoup contribué à susciter l’intérêt du public.

RV : Pouvez-vous nous en dire davantage sur l’utilisation du sakizaya en milieu scolaire ?

LH: So we have this mandatory “native language curriculum” for everyone till 9th grade, which takes place one hour per week. Students can enroll in any preferred language as long as the school has a teacher for it. And if a student intends to learn Sakizaya, the school is obliged to find them a teacher for the language. At the moment, there are about 15 teachers and 60 students for Sakizaya in elementary schools and junior high schools across the country.

LH : Eh bien, nous avons ce cursus en langue maternelle obligatoire pour tous jusqu’à la neuvième année d’étude, à raison d'une heure par semaine. Les élèves peuvent s’inscrire dans le cours de langue de leur choix à condition que l’école dispose d’un professeur qualifié. Dans l’éventualité où un élève exprime le souhait d’apprendre le sakizaya, l’école se voit obligée de lui trouver un enseignant pour cette langue. Pour l’heure, nous comptons une quinzaine de professeurs et 60 élèves pour le sakizaya dans l’ensemble des écoles élémentaires et des collèges du pays.

RV : Un Wikipédia dans une nouvelle langue, c'est toujours un énorme enjeu pour la communauté, car il faut des ressources publiées telles que des journaux, des revues, des livres, etc. Quelles ressources avez-vous fournies afin de permettre au Wikipédia en sakizaya de voir le jour ?

LH: Some contributors built on existing entries in (traditional) Chinese and English Wikipedia by translating them into Sakizaya. This makes the job easier because they can use the references already cited in the related entries. Meanwhile, some referred encyclopedias when making entries on indigenous herbs. These are two practices that we recommended to our community as they save time. Some went further and did additional research on Google, YouTube, newspapers and academic publications for entries that weren’t covered yet in Wikipedia. Some even wrote about basketball players, comics books, American TV series and anything that interests them. Of course, elders with in-depth knowledge concerning the Sakizaya people, their history and their places of heritage usually work on [articles] on their own, with maybe some technical assistance from young people.

LH : Certains contributeurs se sont servis d’articles existants sur Wikipédia en chinois (traditionnel) et en anglais pour les traduire en sakizaya. Cela rend le travail plus facile parce qu’il est possible de se servir de références déjà citées dans les articles connexes. Dans le même temps, certains ont fait référence à des encyclopédies lors de la rédaction d'articles sur des plantes indigènes. Ce sont deux pratiques que nous avons recommandées à notre communauté afin de gagner du temps. D’autres sont allés plus loin en effectuant des recherches supplémentaires sur Google, YouTube, dans des journaux et des publications universitaires pour des sujets qui n’avaient pas encore été traités sur Wikipédia. Certains ont même écrit sur des joueurs de basket-ball, des comic books, des séries TV américaines ou tout autre chose qui les intéresse. Bien évidemment, les plus âgés ayant des connaissances approfondies sur le peuple sakizaya, son histoire, et ses lieux patrimoniaux, travaillent généralement seuls sur [leurs articles], à part peut-être un coup de main des jeunes en cas de problème technique.

RV : À l’heure actuelle, combien y a-t-il de contributeurs actifs au sein de la communauté bénévole ? Avez-vous un domaine d’intérêt spécifique au sein de la communauté ?

LH: We have about 30 active editors right now. -Ten of them are from the Mentor-Apprentice Program funded by the government. Tuku and I designed the Sakizaya program under this framework. It has been running for two years now and will conclude its first term by the end of 2020. To foster commitment, participants in the program are provided with long-term subsidies as they cultivate their language skills. And this program requires that they contribute to the Wikipedia project on a monthly basis — with entries or maintenance work. The remaining editors are those who have been contributing since the inception of Sakizaya Wikipedia on Wikimedia Incubator [24].

LH : Nous comptons une trentaine de contributeurs en ce moment. – Dix d’entre eux sont issus du programme de mentorat financé par le gouvernement. Tuku et moi-même avons élaboré le programme sakizaya dans le cadre de ce projet. Ça fait maintenant deux ans qu’il est en marche et il achèvera son premier mandat d’ici la fin de l’année 2020. En vue de favoriser l’engagement, les participants du programme se voient verser des subventions à long terme au fur et à mesure qu’ils développent leurs compétences linguistiques. Ce programme nécessite une contribution mensuelle au projet Wikipédia, soit en rédigeant des articles soit en effectuant des travaux de maintenance. Les contributeurs restants sont ceux qui participent depuis le lancement de Sakizaya Wikipitiya sur Wikimedia Incubator [24][en].

RV : Y a-t-il des initiatives en cours pour éveiller les consciences sur le COVID-19 (coronavirus) sur Sakizaya Wikipitiya ?

LH: COVID-19 is too enormous to be ignored. Because one of the Mentor-Apprentice program’s goals is to make Sakizaya part of our modern life, we designated a whole session of our class to it. So far, we have published two COVID-19 entries— COVID-19 [25] and “satebuc nu kitakit [26]” (catastrophes worldwide).

LH : Le COVID-19 est un phénomène beaucoup trop important pour être ignoré. Un des objectifs du programme de mentorat consiste à intégrer le sakizaya dans notre vie quotidienne, c’est pourquoi nous y avons dédié une session entière au sein de notre cursus. Jusqu’à présent, nous avons publié deux articles sur le COVID-19 : COVID-19 [25] [szy] et « satebuc nu kitakit [26] » [szy] (catastrophes dans le monde).

RV : Dites-nous en plus sur vos projets futurs en tant que communauté.

LH: We definitely need to expand our editing community much more and encourage them to write on a regular basis. However, not all native speakers are familiar with Sakizaya grammar, use of computers and Wikipedia editing.

In contrast, those who are privileged with computer access and capable of editing are most likely not very fluent in the language. Many have difficulty incorporating Wikipedia editing into their daily routine. So I proposed a plan for training workshops and editing competitions and hopefully both will be rolled out soon. We will make circuits of workshops among seven of our tribes so that elders and youths can be paired up for editing. Young people can make drafts in Chinese and then ask the elders to rephrase or translate the content into Sakizaya, or the elders can orally narrate for the youth to type up. Still, we hope young people will be able to do it all by themselves some day.

We are planning to take advantage of social media in growing the community. For example, we will announce a topic every month on Facebook and invite followers who are native speakers and/or active learners to join us in strengthening Sakizaya Wikipedia. We hope this will help them stay engaged, while helping us locate potential candidates for further mentoring.

LH : Nous avons vraiment besoin d’étendre davantage notre communauté de contributeurs et de les inciter à écrire de façon régulière. Cependant, les locuteurs natifs ne sont pas tous à l’aise avec la grammaire du sakizaya, l’utilisation des ordinateurs et la publication sur Wikipédia.

En revanche, ceux qui ont le privilège d’avoir accès aux ordinateurs et qui sont capables de publier ne maîtrisent probablement pas très bien la langue. Beaucoup d’entre eux éprouvent des difficultés à intégrer la publication d’articles sur Wikipédia dans leurs habitudes quotidiennes. J’ai donc proposé un plan qui comporte des ateliers de formation et des concours de révision qui, avec un peu de chance, débuteront bientôt. Nous mettrons en place une tournée d'ateliers au sein de sept de nos tribus afin que les aînés et les jeunes puissent travailler en binôme sur la relecture des articles. Les jeunes peuvent rédiger des ébauches en chinois pour ensuite demander aux aînés de reformuler ou de traduire le contenu en sakizaya. Les aînés peuvent également dicter oralement aux jeunes qui dactylographient. Néanmoins, nous espérons qu’un jour les jeunes rédacteurs seront en mesure de faire tout cela en autonomie.

Nous envisageons de mettre à profit les réseaux sociaux pour étendre la communauté. Par exemple, nous annoncerons un sujet chaque mois sur Facebook et inviterons les abonnés qui sont locuteurs natifs et/ou apprenants actifs à nous rejoindre pour renforcer Sakizaya Wikipitiya.
Nous espérons que cela les aidera à rester mobilisés, tout en nous aidant à repérer des candidats potentiels pour plus de mentorat.

RV : Comment envisagez-vous de collaborer avec des organisations similaires et avec les contributeurs de Wikipédia à Taïwan et dans d'autres pays ?

LH: While Sakizaya Wikipedia was being developed in the Incubator, we worked very closely with the Center for Aboriginal Studies at the National Chengchi University, which encouraged every indigenous language student to start a Wikipedia project in their own language on Wikimedia Incubator. We have also been in touch with Wikimedia Taiwan [27], an affiliated local Wikimedia Chapter. The Center along with Wikimedia Taiwan has provided our Wikipedia community with technical and consultative assistance. Both organizations have continued to support us to this day.

LH : Pendant la période de développement de Sakizaya Wikipitiya au sein de l’incubateur, nous avons travaillé en étroite collaboration avec le Centre d’études aborigènes de l'Université nationale Chengchi qui a incité chaque étudiant en langue autochtone à entamer un projet Wikipédia dans leur propre langue sur Wikimedia Incubator. Nous avons également été en relation avec la section locale Wikimedia Taiwan [27][en], qui est affiliée à Wikimedia. Le centre ainsi que Wikimedia Taiwan ont fourni à notre communauté Wikipédia une assistance technique et joué un rôle consultatif. À ce jour, ces deux organisations continuent à nous soutenir.

*****

Nuwatan o Kumud, un sénior sakizaya, a raconté les obstacles qu’il a rencontrés lors de son apprentissage de l'utilisation de Wikipédia et a incité les jeunes locuteurs sakizaya à rejoindre la communauté dans un message audio [28][szy].

Vous trouverez ci-dessous un extrait du message transcrit et traduit par Buting Nukay et Miku Kumud :

Step by step, I gradually learned to write and edit Wikipedia [entries]. What I have written down is everything I think needed to be documented. These are the footsteps and tribal affairs of our people. I want to put them all onto Wikipedia…I think you can do it — learning to edit Wikipedia [entries] while working with a mouse in front of the computer. If even I can learn to do so, youngsters like you with a flexible mind should have no problem at all.

Petit à petit, j’ai progressivement appris à écrire et à publier [des articles] sur Wikipédia. Ce que j’ai rédigé contient tout ce qui d’après moi avait besoin d’être documenté. Il s’agit de l’histoire et des affaires tribales de notre peuple. Je veux tout publier sur Wikipédia… Je pense que vous pouvez y arriver : apprendre à modifier [les articles] sur Wikipédia tout en travaillant devant l’ordinateur avec une souris. Si moi-même j’ai su y arriver, des jeunes avec un esprit vif tels que vous ne devraient pas du tout rencontrer de difficulté.