Notes du Kazakhstan : des pigeons, du désinfectant et la COVID-19

Vue du parc avec quelques voitures stationnées mais pas âme qui vive.

Le square Respublika déserté, à Almaty, Kazakhstan. Photo (c) : Joanna Lillis. Avec sa permission.

[L’article original a été publié en anglais le 28 avril 2020, alors que le premier confinement mondial provoqué par la crise du coronavirus ébranlait nos sociétés à l’échelle internationale et mettait en lumière les dysfonctionnements déjà existants, ndlt.]

[Sauf mention contraire, tous les liens mènent à des articles en kazakh.]

Les pigeons.

Je n’y ai jamais vraiment prêté attention. À part quand j’étais petit, pour leur courir après. Ou en tant qu’adulte, en implorant mon enfant de ne pas leur courir après.

Et puis 30 d’entre eux périssent au vu et au su de tous, et le ministère de l’Écologie ouvre une enquête. Et là, on commence à les sentir.

Les picotements sur la peau.

Les deux plus grandes villes du Kazakhstan, Almaty et Noursoultan [le nouveau nom d'Astana depuis mars 2020 en hommage au président Noursoultan Nazarbaïev, ndlt] sont verrouillées pour plus d’un mois.

Ces dernières semaines, la plupart des autres grandes agglomérations les ont rejointes, des clusters du nouveau coronavirus se développant dans pratiquement tous les recoins du neuvième plus grand pays du monde.

La vaste steppe limite la connectivité entre ces centres éloignés les uns des autres, mais la distance ne fait pas office de vaccin.

Dans notre famille, le confinement est plutôt doré. Notre appartement est assez spacieux. Et les mètres carrés que l’on possède à l’intérieur prennent une autre importance quand l’accès aux mètres carrés à l’extérieur – parcs, terrains de jeux*, zones piétonnes – est fermé. Nous avons de quoi attendre que ça se termine.

Ce n’est pas le cas de tout le monde au Kazakhstan. Le gouvernement du régime autoritaire du Kazakhstan s’est engagé à verser chaque mois l’équivalent d’à peu près 100 dollars US aux quelque quatre millions de citoyens laissés sans travail à cause du confinement. C’est plus que ce que peuvent se permettre les pays voisins d’Asie centrale, mais ça reste insuffisant.

Ce tweet d’un journaliste du Kirghizistan voisin résume bien le fossé qu’il existe entre les couches relativement aisées de la population, utilisatrices des réseaux sociaux, et la masse populaire déconnectée. Et même si le Kirghizistan est plus pauvre que le Kazakhstan, la comparaison reste d'à-propos :

À gauche, un utilisateur de Twitter se plaignant d’être à court de whisky et de prendre du poids pendant le confinement. À droite, le reste du Kirghizistan.

Pour les gouvernements de cette région autoritaire, la course à l’aplatissement des courbes semble existentielle.

Si le choix entre la progression de la faim et l’insoutenable propagation de la COVID-19 devient binaire, même les régimes qui ont surmonté le maelström économique des années 1990 ont de quoi avoir des craintes.

Terrain de jeux pour qui ?

Alors que les gouvernements européens ont tourné dans tous les sens la question de la bonne manière d’appliquer le confinement et la distanciation sociale, ici la réponse semble plus réfléchie.

Et quand l’État passe à côté de quelque chose, un réseau « d'informateurs » est là pour aider.

Un groupe WhatsApp intitulé Comité d’action, créé par les administrateurs de notre parc résidentiel pour informer les habitants de l’évolution des mesures liées au confinement, est rapidement devenu un puissant lobby exigeant leur application : Comment des familles peuvent-elles profiter de leur autorisation à sortir les poubelles pour aller se balader dans la résidence, et non pas une, mais de nombreuses fois ? Les gens se promènent sans masque malgré les recommandations du gouvernement ! Vous avez vu ces enfants qui continuent à jouer au basket-ball ?!

Depuis, policiers et militaires ont fait leur apparition pour venir patrouiller quasiment tous les matins dans la résidence. Et, bien entendu, les joueurs de basket-ball, dont l’activité donnait à l’extérieur un semblant de normalité, ont disparu.

La crise de la COVID-19 est l’occasion pour l’État de faire une démonstration de force, mais elle révèle aussi ses faiblesses.

Les autorités, depuis notre capitale Noursoultan, se sont vantées de la capacité de leur réseau de caméras de surveillance routière intelligentes fabriquées en Chine à garder les conducteurs dans le collimateur pour veiller à ce que personne ne transgresse le confinement.

Pourtant, le gouvernement a été incapable d’empêcher un fort taux de contamination au sein des équipes soignantes en première ligne – concrètement, cela représente près de 30 pour cent des quelque 2 300 cas de COVID-19 du pays.

La plupart du temps, les équipements de protection personnelle manquent. Alors quand la cheffe épidémiologiste d’Almaty a blâmé les personnels soignants pour leur propre contamination, ils se sont rebellés et ont menacé de la traduire en justice. Avec un large soutien de la population. Le 18 avril [2020, ndlt], elle démissionnait.

Le président Kassym-Jomart Tokayev, dont le gouvernement avait aussi à faire face à la tuile du quasi-effondrement des prix du pétrole [en], a depuis reconnu que beaucoup de membres du personnel hospitalier n’avaient pas reçu l’attention nécessaire.

Il semble que la désinfection soit un nouvel étalage de forces.

Des hommes masqués et en combinaison débarquent deux fois par semaine dans les immeubles de la résidence, s’annonçant à coup de haut-parleurs et désinfectant tout à vue. Beaucoup des endroits qu’ils désinfectent, terrains de jeux, parcs, allées, ont peu ou pas du tout été fréquentés depuis le renforcement du confinement. Mais ce n’est finalement pas inutile. Les résidents sont ainsi avertis qu’il n’est pas prudent de sortir dans les cinq heures suivant la désinfection des espaces. #RestezChezVous.

Les pigeons n’ont pas eu droit aux mêmes faveurs. Quasiment dès le début du confinement, des vagues d’images choquantes de ces créatures gisant mortes dans un parc célèbre ont circulé sur les réseaux sociaux. Le ministère de l’Écologie a vaguement supposé qu’ils avaient été empoisonnés et a promis d’enquêter. Il ne l’a toujours pas fait, mais cela ne fait plus de mystère. Ces 30 pigeons ont été désinfectés à mort.

*Le jour où cet article a été publié, les terrains de jeux des résidences ont été réouverts pour la première fois après plus d’un mois. Cette mesure faisait partie d’un décret présidentiel du 27 avril et qui prolongeait le confinement jusqu’au 11 mai en assouplissant tout de même certaines restrictions dans les villes concernées. Le décret autorisait aussi les vols internes entre les deux plus grandes villes du Kazakhstan, Almaty et Noursoultan.

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