Arrestation d'un homme politique nigérian qui avait condamné les enlèvements d'écoliers et écolières

On aperçoit des femmes assises à même le sol, et en arrière plan ce qui semble être une tente.

Familles deplacées suite aux attaques de Boko Haram dans les États de Adamawa et Borno, Nigéria. Boko Haram a revendiqué l'enlèvement de 300 écoliers en décembre 2020. Photo tirée du compte Flickr de la Direction générale pour la protection civile et les opérations d'aide humanitaire européennes de la Commission européenne, sous licence CC BY-NC-ND 2.0.

[Sauf mention contraire, tous les liens de cet article renvoient vers des pages en anglais, ndlt.]

Salihu Tanko Yakasai, qui occupait jusqu'à récemment la fonction de conseiller réseaux sociaux du gouverneur de l'État de Kano (nord-ouest du Nigeria), a été arrêté le 26 février par le Service de la Sécurité d'État (plus communément appelé DSS, pour Department of State Security), après avoir critiqué le contexte sécuritaire déplorable dans le pays.

Le père de Yakasai a informé le journal en ligne CableNG que son fils avait été arrêté par la DSS alors qu'il se rendait chez le barbier. Il a ajouté : « Mais je ne sais pas s'il est détenu ici à Kano ou bien ailleurs. »

Yakasai avait dénoncé le gouvernement du président Muhammadu Buhari, dont il fait lui-même partie, pour son inaction face aux enlèvements et à l'insécurité dans le pays. Le jour de son arrestation, il avait laissé entendre sur Twitter que l'administration [fr] avait manqué à ses obligations envers la population :

De toute évidence, nous tous au gouvernement du Congrès des progressistes, avons manqué à nos obligations envers le peuple nigérian. Nous avons échoué à protéger les personnes et les biens. C'était notre devoir, ce pour quoi nous avons été élus. L'insécurité sous toutes ses formes est une réalité du quotidien dans ce pays. Quelle honte ! Gérez le terrorisme fermement ou bien démissionnez.

Yakasai, déplorant que les enlèvements d'écoliers et écolières soient devenus la triste norme dans le nord du Nigeria, a déclaré que même si les citoyens « déplorent la situation, la condamnent, [et] créent des hashtag[s] », « aucunes mesures concrètes ne sont prises afin d'empêcher que les enlèvements ne se reproduisent [sic], et l'histoire se répète ».

Il est allé encore plus loin dans un tweet :

Pas plus tard que la semaine dernière est apparu le hashtag #freekagaraboys (en français : « libérez les garcons de Kagara »), et aujourd'hui il y a un nouveau hashtag #RescueJangebeGirls (en français : « sauvez les filles de Jangebe »). Qui sait quel nouveau hashtag nous verrons apparaître demain ? Peut-être un hashtag pour nous, si nous sommes les prochaines victimes de ces attaques. C'est triste et navrant, je me sens impuissant et plein de désespoir. ?

Yakasai a été licencié le 27 février par Abdullahi Ganduje, le gouverneur de Kano, en raison de ses « commentaires et propos indiscrets », qui ont été jugés déplacés au regard de son poste « au gouvernement du Congrès des progressistes ».

Depuis lors, les internautes nigérian·e·s appellent à la libération de Yakasai, et le hashtag #FreeDawisu (en français : « libérez Dawisu ») prend de l'ampleur sur Twitter. Omoyele Sowore, journaliste, a déclaré que le DSS « bondit volontiers sur les Nigérian·e·s qui critiquent le régime défaillant » :

#LibérezDawisu Le DSS bafoue la loi et a procédé à l'arrestation de @dawisu pour avoir exprimé librement ses opinions au sujet des manquements du gouvernement de @MBuhari. Les dirigeant·e·s fainéant·e·s du DSS sont incapables d'aider les Nigérian·e·s exposé·e·à l'insécurité. Ils et elles sont en revanche prêts à bondir sur les Nigérian·e·s qui critiquent le régime défaillant #BuhariDoitPartir.

Demola Olarewaju, écrivain, a ajouté que « certains partis politiques », allusion à peine dissimulée au Congrès des progressistes, « fonctionnent comme une secte » :

Certains partis politiques fonctionnent comme une secte dont le Dieu est le Président. Si vous appartenez à cette secte, vous n'avez pas le droit de déroger au protocole et de dénoncer la ligne du parti, quel que soit votre échelon dans la hiérarchie.

Pour le bien de l'humanité, joignez-vous à moi pour dire à ses ravisseurs #LibérezDawisu

Une personne a comparé sur Twitter l'arrestation de Yakasai au mode opératoire de la Gestapo en Allemagne sous les Nazis :

La manière dont @dawisu a été arrêté est digne de la Gestapo. Ils n'ont pas informé un seul membre de sa famille. Ils l'ont fait disparaître. Il n'a pas été arrêté selon les règles démocratiques. Hitler aurait été fier du DSS pour le coup #LibérezDawisu

Une autre personne a souligné à quel point le système était dysfonctionnel :

Je trouve ça ironique maintenant d'avoir tweeté « Alhamdulillah @dawisu a été retrouvé » alors que nous avons appris qu'il avait était enlevé par l'État, et non par des ravisseurs. Quel pays dysfonctionnel ! #LibérezDawisu

Yakasai avait tweeté ses commentaires après que 300 écolières avaient été enlevées, le 26 février, à l'école secondaire publique pour filles de la ville de Jangebe (État de Zamfara, au nord-ouest du Nigéria).

Cette attaque est survenue dans la foulée de l'enlèvement, neuf jours plus tôt, d'environ 42 personnes (dont 27 écoliers) au collège des sciences du gouvernement de la ville de Kagara (État de Niger, au nord-ouest du pays). Les hommes armés avaient ensuite libéré les otages 10 jours plus tard, le 27 février.

Personne n'a encore revendiqué les faits pour ces deux incidents. Cependant, en décembre 2020, le groupe islamique djihadiste Boko Haram avait revendiqué l'enlèvement d'environ 300 étudiants dans un lycée public scientifique de Kankara (État de Katsina, au nord-ouest du pays). Les jeunes garçons avaient été libérés après quelques jours en captivité.

Nigeria : nombre d'individus signalés comme victimes d'enlèvement.

Les enlèvements d’écoliers et écolières au Nigeria ont augmenté de manière inquiétante, et pour des raisons bien précises, selon Bulama Bukart, analyste de la sécurité. D'une part, les enlèvements de mineurs donnent de la visibilité et favorisent la notoriété publique de groupes comme Boko Haram. D'autre part, ces enlèvements ajoutent des pressions politiques sur le gouvernement, mettant les ravisseurs en position de force pour demander des rançons.

Au moment de la publication de cet article [le 27 février 2021, ndlt], rien n'a encore été communiqué au sujet d'une potentielle libération de Yakasai.

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