Myanmar : les exactions de l'armée pour brimer la démocratie dépassent largement le cadre de la simple brutalité

L'image montre un mur dit « mur de liberté » sur lequel une multitude de messages sont apposés, papiers de toutes les couleurs. On peut y lire en caractères plus gros : « From wall to Democracy » (Du mur à la démocratie). Les messages sont en anglais et en birman.

Un mur de liberté (en référence à la fresque murale représentant vingt-huit leaders des droits civiques du XIXe au XXIe siècle) érigé par des manifestants anti-coup d'État. La photographie est reproduite avec autorisation.

Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages web en birman.

Ce reportage a été initialement publié sur le blog [en] d'un contributeur de Global Voices qui souhaite rester anonyme. Il est publié ici sous forme d'une série de trois articles.

Tout au long du mois de février, les manifestations contre le coup d'État ont fait l'objet de représailles systématiques de la part des forces de sécurité du Myanmar. Malgré la répression, des manifestants intrépides sont descendus dans la rue tous les jours pour lutter par des moyens pacifiques contre les injustices, les violations des droits humains et la brutalité.

La chronologie ci-dessous expose en détail quelques-unes des lois oppressives ainsi que la féroce répression de l'armée.

Intensification d'une répression brutale

Le soir du 8 février, un couvre-feu national (article 144) et une loi restrictive sur les rassemblements de plus de 5 personnes ont été adoptés par le conseil militaire.

Le 9 février, le ministère des Télécommunications et des Communications, sous le contrôle du conseil militaire, a présenté un projet de loi draconien sur la cybersécurité [fr] susceptible d'être utilisé pour appréhender les manifestants actifs sur internet. 161 organisations de la société civile [en] et la Fédération de l'informatique du Myanmar (MCF, Myanmar Computer Federation) se sont opposées à ce projet de loi.

Ce même jour, la police a ouvert le feu sur les manifestants, utilisant des balles réelles et des canons à eau dans la capitale, Naypyidaw. Une manifestante de 19 ans, Mya Thwe Thwe Khine, a été touchée à la tête. Elle est morte à l'hôpital le 19 février et est ainsi devenue la première martyre du mouvement de protestation.

La loi sur la cybersécurité n'a pas été votée, mais le 10 février, le conseil militaire a amendé les lois protégeant la vie privée des citoyens [en], autorisant désormais la police à interpeller des personnes sans mandat, et à les détenir pendant plus de 24 heures. Le 13 février, la loi sur l’administration des quartiers ou des villages [en] remontant à l'époque de la précédente junte militaire a été rétablie. Cette loi impose aux habitants de figurer sur un registre et de demander une autorisation avant de pouvoir se déplacer la nuit.

Aux alentours du 11 février, les arrestations nocturnes de personnes qui participent au mouvement de désobéissance civile [fr] se sont multipliées pendant les horaires du couvre-feu. Certaines de ces manœuvres ont pu être déjouées, les habitants de la ville s'étant mobilisés pour dissuader la police.

Puis, le 13 février, les militaires ont lancé des mandats d'arrêt à l'encontre de sept dirigeants et artistes protestataires.

Dans la soirée du 14 février, les militaires ont pris à partie des manifestants à proximité des locaux de la compagnie publique d'électricité à Myitkyina, capitale de l'État Kachin. Aucun blessé n'est à déplorer mais certains journalistes ont été arrêtés.

Le 15 février, une personne handicapée a été brutalement prise à partie par la police anti-émeute, lors d'une opération punitive.

Le 18 février, l'armée et la police ont engagé une violente répression dans la capitale, Naypyidaw, et ont interpellé une cinquantaine de manifestants. Cette opération a été le point de départ d'arrestations massives lors de manifestations à travers le pays.

Le 20 février, la police et l'armée ont ouvert le feu sur des civils, présents sur la jetée de Mandalay, après que des manifestants ont tenté d'empêcher des militaires de monter sur un navire en grève. Deux personnes ont perdu la vie [en] sur place et plusieurs manifestants ont été blessés. L'attaque de Mandalay a semble-t-il été perpétrée par la tristement célèbre 33ᵉ division d'infanterie légère, la même à qui on reproche les atrocités commises contre les Rohingyas en 2017 [en].

Un peu plus tard dans la semaine, une vidéo [en], montrant un soldat en train d'exhiber de véritables fusils et armes tout en menaçant de tirer en visant la tête des protestataires, a été partagée sur les réseaux sociaux. Par ailleurs, plusieurs séquences, dans lesquelles des soldats incitent à la violence [en] et menacent les manifestants, ont été abondamment diffusées sur TikTok.

Dans la soirée du 25 février, une imposante unité de police a fait irruption dans le canton de Tarmwe à Yangon, et a appréhendé 15 manifestants, marquant ainsi le premier recours à la force et aux arrestations dans la plus grande ville du Myanmar.

Le 26 février, les militaires ont entrepris de disperser les principaux lieux de protestation à Yangon au moyen de bombes assourdissantes, de gaz lacrymogènes et de balles réelles, accélérant ainsi la répression violente dans la ville. Le même jour, des répressions similaires ont eu lieu dans d'autres grandes villes comme Mandalay et Naypyidaw [en]. Les opérations militaires se sont poursuivies à Yangon les 27 et 28 février et plusieurs manifestants ont été interpellés.

Le 27 février, l'armée a violemment réprimé [en] les manifestations dans la ville de Monywa, située au centre du Myanmar. Deux personnes ont été mortellement blessées.

Le 28 février a connu la répression la plus musclée [fr] depuis le début des protestations : 18 personnes [en] ont été assassinées dans sept villes – Yangon, Myeik, Dawei, Mandalay, Mawlamyine, Bago et Pakkoku – au cours des manifestations nationales en lien avec la coalition de solidarité régionale, la Milk Tea Alliance (en français : l'alliance du thé au lait). Cette journée fut la plus violente [fr] du mois de février.

Entre le 1er février et le 2 mars, selon [en] l’Association d'assistance aux prisonniers politiques [en], près de 1 300 personnes ont été arrêtées, inculpées ou condamnées, et 988 sont toujours détenues ou font l'objet de mandats d'arrêt en cours.

Parmi les personnes arrêtées et victimes de violence figurent des journalistes et des mineurs.

#Le journalisme n'est pas un crime #Que se passe-t-il au Myanmar #Aung Kyaw #Kaung Myat Hlaing
– DVB Burmese (@dvbburmese) 1er mars 2021

[description vidéo]
Vidéo terrifiante, d'une durée de 2'20, sur laquelle un homme appelle à l'aide. Des forces de sécurité arrivent au niveau de son appartement, lui demandant de les suivre. On entend des bruits de verre brisé et des projectiles. La scène se passe dans l'obscurité de la nuit. Un sous titrage en anglais est visible sur un bandeau jaune.

Le 3 mars, un drame encore plus terrible a entraîné la mort de 38 personnes [en] dans les villes de Monywa, Mandalay, Myinchan, Mawlamyine, Kalay et Yangon.

Dans le canton d'Okkala Nord, à Yangon, des témoignages [SCÈNES DE VIOLENCE POUVANT CHOQUER] font état de l'utilisation de mitraillettes par l'armée, causant la mort d'au moins 20 personnes. Une vidéo [en] [SCÈNES DE VIOLENCE POUVANT CHOQUER] d'un manifestant abattu d'une balle dans la tête lors de son arrestation à Yangon illustre les atrocités militaires amplement diffusées sur les réseaux sociaux.

Les témoignages des violations des droits humains par l'armée, notamment les attaques ciblant les médecins volontaires, ne cessent de se répandre sur Facebook et Twitter.

Cela dépasse largement le cadre de la simple brutalité.
? https://t.co/52x6IAUFVs
– Yanghee Lee (@YangheeLeeSKKU) 3 mars 2021

[description vidéo]
Vidéo d'une durée de 2'20 qui montre des images très violentes. Des policiers font brutalement sortir 3 hommes d'une ambulance. Ce sont des médecins. Ils les tabassent ensuite sans ménagement, donnant des coups de pied et de matraque au niveau de la tête. Ils saccagent aussi leur ambulance. Le logo RFA (Radio Free Asia) apparaît en bas sur la droite.

Au 3 mars, on dénombrait au moins 50 morts lors des manifestations. La plupart des personnes tuées ont été victimes d'une balle dans la tête, tirées par les soldats déployés par le conseil militaire.

Le 1er mars, le Comité représentant le Parlement de l'Union (CRPH), comité formé par la Ligue nationale de la démocratie (LND) évincée, et qui s'oppose à la junte, a déclaré que le Conseil administratif d'État dirigé par le chef du coup d'État, le général Min Aung Hlaing, était une organisation terroriste du fait des violations des droits humains perpétrées sur des manifestants pacifiques et sur des civils.

Appel à une intervention de l'ONU

Les citoyens du Myanmar ont demandé le soutien des Nations unies afin de résister au coup d'État organisé par la Tatmadaw, l'armée nationale, le 1er février 2021. Des affiches [en] réclamant l'intervention de l'ONU, voire des États-Unis, sont visibles lors des nombreuses manifestations qui se tiennent dans tout le pays.

Lors de la première réunion du Conseil des droits humains des Nations unies, qui a eu lieu à Genève le 12 février, Myint Thu, représentant permanent du Myanmar auprès des Nations unies à Genève, s'est fait le porte-parole du conseil militaire.

Cependant, le 26 février, lors de la deuxième Assemblée générale des Nations unies à New York, l'ambassadeur du Myanmar aux Nations unies, Kyaw Moe Tun, a pris position et a fait une déclaration [en] surprise dans laquelle il a appelé le Conseil de sécurité des Nations unies, au nom du gouvernement civil, à engager une action contre les militaires du Myanmar. Il a conclu son discours en birman, d'une voix tremblante, en saluant et en remerciant le peuple du Myanmar, puis a levé trois doigts, geste devenu un symbole de résistance face à la junte.

Le conseil militaire a congédié [en] Kyaw Moe Tun le lendemain, le qualifiant de traître national, mais l’image de l'ambassadeur faisant le salut à trois doigts s'est transformée en source d'espoir pour le peuple.

Alors que les violences perpétrées par les militaires se sont démultipliées au cours de la dernière semaine de février, les citoyens du Myanmar espéraient vivement une intervention de l'ONU. Des messages tels que « Combien de cadavres faut-il à l'ONU pour intervenir contre l'armée birmane ? » ont fait leur apparition sur les réseaux sociaux et sur les affiches de protestation, ainsi que le sinistrement ironique « Abattez-moi si vous avez besoin de plus de cadavres pour obtenir une intervention de l'ONU » [en].

◼ Combien de cadavres sont nécessaires pour que l'ONU prenne des mesures contre l'armée birmane ?

◼ Combien de cadavres sont nécessaires à l'ONU pour engager une action contre l'armée birmane ?

◼ De combien de morts de civils avez-vous besoin pour restaurer la démocratie ici ? #Feb28Coup
– Sithu (@Sithu1011) 28 février 2021

[description image]
L'image montre une foule compacte. Toutes les personnes tiennent à bout de bras une affiche de couleur bleue, avec l'inscription en blanc : « How many dead bodies needed for UN to take action ? » (Combien de cadavres sont nécessaires pour que l'ONU agisse ?). Tous portent un masque de protection faciale. En arrière plan, on distingue des affiches, sur fond rouge, avec le portrait d'Aung San Suu Kyi.

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