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Trinité-et-Tobago : aucun danger pour les tortues marines selon le ministre de la Santé malgré une hausse du braconnage

Catégories: Caraïbe, Trinité-et-Tobago, Cyber-activisme, Environnement, Médias citoyens, COVID-19
Tortue luth [1]

Tortue luth. Photo [1] d'Alastair Rae sur Flickr, sous licence CC BY-SA 2.0 [2].

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages web en anglais.]

Cet article signé Nicole Vallie a été initialement publié sur le site Internet du réseau Cari-Bois News [3]. Une version modifiée est republiée ici dans le cadre d'un accord de partage de contenus.

La saison de ponte des tortues luths à Trinité-et-Tobago, qui s'étend de février à août [4] chaque année, est déjà bien engagée, mais les associations de protection des tortues sont sur le pied de guerre depuis qu'il leur est interdit d'effectuer des patrouilles nocturnes sur la plage pour protéger les tortues marines nicheuses. De nombreuses associations espéraient bénéficier de dérogations spéciales aux restrictions anti-Covid qui interdisent actuellement de se rendre sur les plages entre 18 h et 6 h.

Le ministre de la Santé, Terrance Deyalsingh, a justifié la position du gouvernement lors d'une conférence de presse le 8 mars, au cours de laquelle il a souligné que les tortues devraient être suffisamment en sécurité puisque « personne n'est autorisé à se rendre sur la plage pour voler les œufs, tuer les tortues ou monter sur leur carapace ».

Cependant, certaines associations comme Turtle Village Trust [5] [Fondation village des tortues], Las Cuevas Eco-Friendly Association [6] [Association écoresponsable de Las Cuevas] et l'organisation de protection de l'environnement Nature Seekers [7], toutes situées sur la côte nord de Trinité, ainsi que l’Institut de recherche environnementale de Charlotteville [8], établi à Tobago, répètent que les patrouilles actives sont encore nécessaires pour protéger les tortues luths et d'autres espèces. Selon ces organismes, le braconnage a augmenté lors de la saison de ponte de 2020. Étant donné que les tortues pondent la nuit, il est peu probable que les restrictions anti-Covid dissuadent les braconniers.

Pour illustrer la portée du danger, le groupe de coordination de protection des tortues Turtle Village Trust a révélé que les informations qui lui sont parvenues de la part des communautés de Manzanilla et Fishing Pond sur la côte est de Trinité, ainsi que de celles de Las Cuevas, Blanchisseuse, Sans Souci, Grande Riviere et Toco au nord, révèlent une augmentation des cas de braconnage. Turtle Village Trust est l'une des nombreuses associations qui ont demandé à bénéficier de dérogations aux règlements de santé publique [2019 Nouveau Coronavirus (2019-nCoV)] (N° 4) [9], qui prévoient que les plages restent interdites au public entre 18 h et 6 h.

Arlene Williams, la présidente de Las Cuevas Eco-Friendly Association, a fait remarquer que la plage de Las Cuevas, qui n'enregistre généralement aucun cas de braconnage durant l'entière saison de ponte, en a enregistré huit en 2020. Elle craint qu'il n'y en ait encore plus cette année et que la déclaration du ministre de la Santé n'encourage les braconniers. La présidente de l'Institut de recherche environnementale de Charlotteville, Aljoscha Wothke, a confirmé l'augmentation importante de signalements de cas de braconnage nocturne à Tobago depuis que les activités de patrouille nocturne ont cessé à cause de la pandémie en 2020.

Le président de Nature Seekers, Kyle Mitchell, a expliqué quels sont les enjeux :

Trinidad and Tobago is the largest nesting site for the Leatherback turtles in the northwest Atlantic. Such global proclamations cannot be made without the data to back it up. We have a significant place in the turtle world and we need to have rigorous conservation efforts in place to determine if the population is increasing or decreasing and what interventions are required. With local data collections efforts being stalled for another consecutive year, we are not in a position to do that.

Trinité-et-Tobago est le plus grand site de nidification des tortues luths de l'Atlantique nord-ouest. De telles déclarations doivent être appuyées par des chiffres. Nous occupons une place importante dans le monde des tortues et nous devons mettre en place des mesures de protection rigoureuses afin de déterminer si leur population est en augmentation ou en diminution et d'établir les interventions nécessaires, mais nous ne sommes pas en mesure de le faire puisque nos efforts pour recueillir les données locales ont été freinés pour une nouvelle année consécutive.

En 2020, Nature Seekers, en tant que « partenaire essentiel de la protection », a obtenu la permission de recueillir les données des plages de Las Cuevas et de Matura, dans le cadre d'un projet collaboratif avec Pêches et Océans Canada [10] [fr]. Cependant, suite aux normes sanitaires publiques additionnelles qui ont été mises en place à partir de 2021, son rôle au sein du projet est en suspens.

Dans une lettre du 9 mars adressée au ministre de la Santé, l'association Fishermen and Friends of the Sea [11] [Pêcheurs et amis de la mer], a indiqué que sur les deux îles, des communautés se livrent volontairement depuis des décennies à des patrouilles nocturnes afin de décourager les braconniers. L'association a également rappelé au ministre que ces groupes respectent la limite de dix personnes pour les rassemblements et que leurs patrouilles sur les plages sont cruciales pour la protection de cette espèce écologiquement sensible.

Dans la lettre, il est également souligné que le ministère de la Planification et du Développement, conscient des lacunes dans l'application de la loi au niveau de l'État, a établi l’Unité nationale [12]spéciale [12]pour les tortues marines [12] en janvier 2021. Cette initiative a rassemblé le gouvernement et les organisations de la société civile pour discuter de la protection des tortues marines.

Sous couvert d'anonymat, un officier de la division forestière du ministère de l'Agriculture, des Terres et des Pêches a déclaré à Cari-Bois News qu'actuellement, moins de vingt gardes-chasse sont en charge de l'île de Trinité. Selon lui, la nomination de gardes-chasse honoraires parmi les membres des associations locales de protection apporterait une aide indispensable pour patrouiller les plages du pays.

L'importance d'une présence de la communauté sur les plages a également été soulignée par l'Autorité de gestion environnementale (EMA) le 10 mars dans un communiqué de presse, à travers lequel elle déclare [13] que « la combinaison d'une stratégie de patrouilles communautaires, de la présence de chercheurs, de guides touristiques et du public durant la saison de ponte s'est révélée efficace pour éloigner les braconniers ».

Cinq espèces de tortues marines nidifient sur les côtes de Trinité-et-Tobago chaque année : la tortue luth, la tortue imbriquée, la tortue olivâtre, la caouanne et la tortue verte. En 2013, l'ensemble de ces espèces ont été déclarées écologiquement sensibles par l'EMA, une dénomination [14] protégée par la législation en vigueur, qui punit les tentatives d'atteinte aux tortues marines d'une amende de 100 000 dollars de Trinité-et-Tobago (environ 15 000 dollars américains) assortie d'une peine de prison de deux ans.

Une pétition en ligne [15] demandant au premier ministre Keith Rowley d'autoriser les patrouilles nocturnes sur les plages circule actuellement. Au moment où nous publions ces lignes [le 11 mars], la pétition a déjà récolté presque 4 000 signatures. De leur côté, les associations de protection environnementale exhortent les personnes concernées à signaler toute activité de braconnage à la police, aux gardes-chasse ou à l'unité de police environnementale de l'EMA.

Nicole Vallie est une professionnelle de l'environnement, titulaire d'une maîtrise universitaire ès sciences en Biodiversité et Développement Durable. Elle a beaucoup travaillé avec les organisations de la société civile dans les Caraïbes afin de promouvoir un développement durable et responsable.