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L’unique académie de musique de Zanzibar va peut-être devoir fermer ses portes faute de financements

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Quatre élèves sont assis en rang, s'exerçant à divers instruments dans une pièce lumineuse.

Les élèves de l'Académie de musique des pays dhow (DCMA) s'exercent au kanoun, à la flûte, à la batterie et au piano au sein de l'ancienne maison des douanes à Stone Town, sur l'île de Zanzibar, en 2019. Photo fournie par la DCMA.

L’article d'origine [1] a été publié en anglais le 22 septembre 2019. L'académie de musique a finalement pu poursuivre ses activités avant de voir son fonctionnement perturbé de nouveau en 2020, en raison de la pandémie de COVID-19 [2].

Dans la ville historique de Stone Town à Zanzibar, des milliers de visiteurs se sont dirigés vers les notes de musique qui s'échappaient de l’Académie de musique des pays dhow ( [3]Dhow Countries Music Academy [4], DCMA). [3]Depuis 2002, cette école promeut et préserve les traditions musicales des îles de la côte swahilie située le long de l’océan indien, ainsi qu'un unique mélange de cultures arabe, indienne et africaine propre à Zanzibar.

Après 17 ans d’activité, l’école fait face à une crise financière qui pourrait mener à sa fermeture. Presque 70 % de ses 80 élèves à plein temps ne peuvent s’acquitter de leur frais de scolarité, qui s’élèvent à approximativement 13 dollars américains par mois, selon un communiqué de presse de la DCMA. L’école fait face à un déficit de financement malgré les aides reçues au fils des années de la part de donateurs internationaux et de missions diplomatiques. Elle pourrait se voir forcée de fermer sa structure située au sein de l'ancienne maison des douanes, un bâtiment historique.

Sans accès au budget essentiel, les élèves et le personnel de la DCMA craignent qu’on n’entende plus les chansons expressives qui résonnent dans les couloirs de cette institution iconique qui fait chanter les îles. Non seulement l’école enseigne et promeut la culture traditionnelle et l’héritage à travers la musique, mais elle est aussi le refuge d’une communauté de jeunes musiciens qui cherchent une alternative pour pouvoir gagner leur vie en tant qu’artistes.

Un jeune homme en casquette et lunettes de soleil jour d'un instrument à cordres posé à plat sur un tabouret.

Un élève de la DCMA apprend le kanoun, un instrument joué dans les chansons classiques de taarab. Photo fournie par la DCMA.

« Nous nous trouvons face à une situation financière très difficile », confie Alessia Lombardo, directrice générale de la DCMA, dans une vidéo [5] officielle de l’école. « Nous ne sommes pas sûrs de pouvoir garantir le salaire de nos professeurs et de notre personnel dans les six prochains mois. »

L’école n’arrivant pas à obtenir de solides partenariats financiers, ni à explorer un système de financement durable, les 19 maîtres enseignants et les quelques employés n’ont pas reçu de salaire depuis plus de trois mois. Même si l’archipel est réputé pour ses plages immaculées et ses hôtels de luxe qui font de lui une destination touristique, la majorité de la population locale est confrontée à un taux élevé de chômage [6], bien que le taux de pauvreté ait légèrement baissé, selon la Banque Mondiale.

Depuis 17 ans, la DCMA travaille sans relâche à la protection et à la promotion du riche héritage et des traditions de Zanzibar à travers la musique. Lieu de naissance des chanteuses mythiques de taarab [7] Siti Binti Saad [8] et Fatuma Baraka [9] (aussi connue sous le nom de Bi kidude), Zanzibar est le berceau de genres musicaux qui ont émergé le long de la côte swahilie à travers des centaines d'années d'échanges culturels et de collaborations. Aujourd’hui, les élèves peuvent apprendre les genres musicaux traditionnels comme le taarab, l’ingoma et le kidumbak [10], avec des instruments de musique comme la batterie, l’oud [11] et le kanoun [12]. Ils sont les gardiens et les interprètes de la culture et de la tradition.

Neema Surri, une violoniste de la DCMA, étudie cet instrument depuis l’âge de 9 ans. « Je connais de nombreuses personnes désireuses d’étudier la musique, mais qui n'ont pas les moyens de payer les frais de scolarité minimaux à cause de la pauvreté et du chômage », confie [13]-t-elle dans une vidéo de la DCMA.

Deux violonistes répètent face à face en extérieur. Derrière eux, une femme les observe attentivement.

Les élèves de la DCMA répètent dans l'ancienne maison des douanes qui abrite l'école à Stone Town, sur l'île de Zanzibar, en 2019. Photo fournie par la DCMA.

Après avoir suivi des ateliers, des cours sanctionnés par un certificat et des formations diplômantes, beaucoup d’élèves de la DCMA vont se produire sur les scènes internationales, que ce soit au sein d'un groupe primé ou en tant qu’artistes embrassant une carrière solo. Amina Omar Juma, originaire de Zanzibar, est une ancienne élève de la DCMA devenue enseignante dans le même établissement. Elle est récemment rentrée d’une tournée en Afrique du Sud avec son groupe « Siti and the Band [14] » acclamé par la critique et connu pour sa « fusion des racines [15] », un savant mélange de musique traditionnelle taarab superposée à des rythmes contemporains. Avec les autres membres du groupe, eux aussi d’anciens élèves de la DCMA, elle réalise son un premier album intitulé « Fusing the Roots » en 2018. Ils se sont produits cette même année sur la scène du plus grand festival de musique d’Afrique de l’Est, Sauti za Busara. [16]

Voici le clip officiel de la chanson de Siti and the Band intitulée Nielewa (Comprends-moi) tournée à Zanzibar. Elle met en scène une femme ayant fait l’objet de violences domestiques et qui rêve d’une carrière dans la musique. Cela rappelle l’histoire personnelle d'Amina Omar Juma :

Une histoire de carrefours culturels et de collaborations

Plus de 15 000 visiteurs ont passé les portes du bâtiment iconique pour assister à des prestations en live, des ateliers, des cours, mais aussi pour interagir avec les musiciens passionnés de la DCMA qui représentent le futur de la culture et de l’héritage de Zanzibar, selon la DCMA. Née de l’histoire complexe d’un échange entre Indiens, Arabes, et Africains, l’école célèbre l’influence « des pays dhow » en s’inspirant de cultures convergeant le long de l’Océan Indien et du Golfe persique.

Le sultanat d’Oman, une puissance maritime de premier plan entre le 17e et le 19e siècle [18], a déplacé son siège du pouvoir de Mascate à Zanzibar en 1840. Depuis Stone Town, les rois omanais supervisaient des systèmes élaborés de commerce maritime, notamment le commerce du clou de girofle, de l’or et du textile, alimentés par les vents soutenus qui dirigeaient les boutres (voiliers arabes traditionnels) pendant leur traversée de l’Océan indien de l’Inde à l’Afrique de l’Est en passant par Oman.

Les jeunes Zanzibaris reconnaissent l’importance de se connecter avec le passé pour déterminer le futur, et la musique d’aujourd’hui exprime ce désir de faire le pont entre le présent et le passé. Les élèves et les professeurs de la DCMA ont récemment créé le groupe « TaraJazz », qui mélange taarab traditionnel et jazz contemporain. Leur violoniste, Felician Mussa, 20 ans, étudie le violon depuis seulement 3 ans et demi. TaraJazz est l’un des groupes les plus demandés des îles. Voici un portrait du groupe réalisé par la photographe Aline Coquelle :

 

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Photo partagée par Aline Coquelle Photo reporter [20] (@alinecoquelle)

La côte swahilie raconte l’histoire de longs échanges culturels, et la DCMA perpétue cette tradition à travers ses collaborations musicales. Chaque année l’école accueille une initiative appelée « Rencontres Swahilies [21] » au cours de laquelle les élèves de la DCMA travaillent en binôme avec des musiciens connus venus d’Afrique, du Moyen-Orient, d’Europe et d’Amérique du Nord. Ensemble, ils créent des compositions musicales originales le temps d’une semaine. À la fin de la « rencontre » la collaboration nouvellement formée se produit au festival Sauti za Busara, et nombre de ces collaborations se transforment en amitiés à vie. Elles transcendent les barrières de la langue et de la culture, ce qui prouve bien que la musique est une langue universelle [22].

Un groupe de violonistes se produit à l'académie de musique de Zanzibar dans une salle aux tons bleu et blanc.

La DCMA offre chaque semaine des prestations mettant en valeur le talent des élèves ainsi que leurs collaborations avec des musiciens invités.

La DCMA reconnaît que la musique valorise et unit les peuples de toutes les cultures. Elle est une source d’emplois pour les jeunes talents dont les perspectives d'emploi sont limitées dans une économie en difficulté. Pour les 1 800 élèves qui étudient à la DCMA, c’est le seul port d'attache musical qu’ils connaissent, le seul endroit où ils peuvent apprendre et s'épanouir en tant que musiciens et artistes professionnels.

Un voyageur venant d’Espagne qui a récemment visité la DCMA a écrit sur Tripadvisor : « Personnellement, rencontrer les musiciens est le moment que j’ai le plus apprécié sur l’île. »

Le secteur touristique de Zanzibar se développe rapidement [23] et la DCMA soutient que la musique joue un rôle essentiel dans la célébration, la préservation et la promotion de la culture, de l’héritage et de l’histoire swahilis. Zanzibar, c’est beaucoup plus que des plages et des hôtels de luxe. C’est un endroit qui regorge de talents issus d’une histoire extraordinaire de connexion et de collaboration culturelles.

Note de la rédaction : L’auteure de cet article est bénévole pour la DCMA.