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Ouganda : les personnes handicapées laissées-pour-compte lors du confinement national

Catégories: Afrique Sub-Saharienne, Ouganda, Action humanitaire, Catastrophe naturelle/attentat, Développement, Droits humains, Femmes et genre, Gouvernance, Médias citoyens, Politique, Santé, COVID-19
Gros plan sur quelques-uns des membres de l'équipe masculine ougandaise en fauteuil roulant s'entraînant sur un terrain de basket

Ouganda, 24 octobre 2013. L'équipe nationale ougandaise de basket-ball en fauteuil roulant en train de s'entraîner. Photo via DfID [1] sur Flickr, sous licence CC BY 2.0.  [2]

[Sauf mention contraire, tous les liens mènent à des articles en anglais.]

L’article original [3] a été publié le 23 juin 2020, pendant le confinement national. L'Ouganda a été l'un des premiers pays africains à entrer en confinement, de fin mars à fin juillet 2020, ndlt.

À peu près un mois après l'entrée en vigueur du confinement national et l'instauration d'un couvre-feu, l'Unité de défense locale (UDL) du district d'Agago dans la région du nord a tiré [4] sur Willy Oloya, jeune homme sourd et aveugle de 25 ans.

Le 30 avril, lors d'un couvre-feu strict provoqué par le coronavirus, les officiers de l'UDL ont tenté d'interpeler Willy Oloya alors qu'il était en train de marcher. Mais, ne pouvant ni les voir ni les entendre, il a continué son chemin ; les agents lui ont alors tiré dans la jambe. Willy Oloya a dû être amputé, lui ajoutant un handicap supplémentaire à endurer alors que cela aurait pu être évité.

Mais Willy Oloya qui souffre de troubles de l'audition et de la parole ne s'est pas [arrêté, ndlt]. Le personnel de l'UDL chargé de faire respecter le couvre-feu entre 19 h et 6 h 30 a tiré 5 fois dans la jambe de ce résident de 25 ans du village de Mugila West, district d'Agago.

La blessure et le handicap additionnel subséquent de Willy Oloya sont en lien direct avec le mépris du gouvernement à l'égard des personnes handicapées en ce qui concerne l'observation du confinement national. Environ 16,5 % des Ougandais·es sont en situation de handicap [8].

Il aura fallu moult plaidoyers et pressions auprès du comité gouvernemental de communication sur les risques pour obtenir une digne représentation des personnes handicapées au sein du groupe national de travail sur la COVID-19.

La prise en compte des besoins des personnes marginalisées, et notamment celles en situation de handicap, était totalement absente des directives du président Yoweri Museveni sur la COVID-19 [9].

Betty Achana, qui travaille pour l'Union nationale ougandaise des femmes en situation de handicap, a expliqué à Global Voices :

One of our first interventions was for me to engage with our line ministry and to say that these directives are not inclusive of the special needs of persons with disabilities. We instantly began to get news of how the directives were impacting them [PWDs] negatively. They had no information on what COVID is, how it is spread, who is COVID affecting, what the directives are about. People did not know about curfew. That is how the boy in the north gets shot. That is how the girl in the north gets beaten by LDUs.

Mon rôle, dans l'une de nos premières interventions, a été d'attirer l'attention de notre ministère de tutelle sur le fait que ces directives n'intègrent pas les besoins spécifiques des personnes handicapées. Nous avons tout de suite eu des renseignements sur l'impact négatif qu'avaient les directives [sur les personnes handicapées]. Aucune information sur ce qu'est la COVID, la façon dont elle se propage, qui elle affecte, ni sur le contenu des directives. Personne n'était au courant du couvre-feu. Voilà comment ce garçon s'est fait tirer dessus dans le nord. Voilà comment cette fille dans le nord s'est fait tabasser par les unités de défense locale.

L'action de Betty Achana et de ses collègues a payé.

Elle a rejoint le groupe de travail lors de sa neuvième réunion et a immédiatement lancé le projet de traduction des informations relatives à la pandémie en langue des signes. Les messages officiels télévisés sur la COVID-19 ont tous été repris de cette façon.

Bien que louable, cette évolution est arrivée un peu trop tardivement pour quelques personnes handicapées.

Une jeune femme handicapée dans un fauteuil roulant en bois sur une piste en OUganda

Annette Okuvuru se déplace en fauteuil roulant en bois dans le district d'Arua, Ouganda. Photo via la page Facebook de COMBRID-Friends of Disability [10] [COMBRID-Les amis du Handicap, ndlt], avec leur permission.

Dilemme

Interdire les déplacements en transports publics ou privés était nécessaire pour empêcher la propagation de la COVID-19, mais cette décision ne prenait pas les personnes handicapées en compte et excluait celles ayant besoin de soins ou de provisions.

Tandis que les personnes valides pouvaient facilement marcher jusqu'aux épiceries, beaucoup de celles présentant un handicap ont pris la décision, difficile et par nécessité, de conduire une voiture ou de monter sur un boda-boda (moto-taxi), au péril de leur sécurité.

Muzamil Ali, enseignant et travailleur du secteur non gouvernemental malvoyant du district d'Arua dans le nord-ouest, a été persécuté par les soldats pour avoir prétendument bafoué les mesures de distanciation sociale en marchant avec son assistant personnel.

Lydia Abenaitwe, qui réside dans la capitale, Kampala, et présente un handicap physique, a été arrêtée et mise en garde à vue à deux reprises alors qu'elle conduisait pour aller faire ses courses. Elle a confié à Global Voices :

The first time I was held at a roadblock for about 30 minutes. The second time, I was taken to Kabalagala police station. The District Police Commander expressed his remorse for how I was treated and after about an hour, I was escorted to buy my groceries.

La première fois, j'ai été retenue à un barrage de police pendant une trentaine de minutes. La deuxième fois, j'ai été emmenée au commissariat de Kabalagala. Le commandant de police du district a regretté la façon dont j'avais été traitée et, au bout d'une heure environ, une escorte m'a accompagnée pour faire mes courses.

Certaines personnes en situation de handicap doivent lutter à différents niveaux, au croisement de la classe sociale, du genre, de la séropositivité et de multiples handicaps ou autres types de précarité, renforçant leur vulnérabilité.

La suppression des transports a exposé des femmes handicapées aux violences sexuelles car elles ne pouvaient pas fuir leurs agresseurs. « J'ai actuellement cinq cas de femmes handicapées qui ont été violées à cause de ce confinement », a rapporté Betty Achana à Global Voices.

Les personnes atteintes d'albinisme doivent pouvoir se déplacer sans restriction pour se procurer des crèmes de protection solaire ou bénéficier de soins chirurgicaux ou post-chirurgicaux en cas de cancer de la peau, explique Doreen Nawejje, directrice générale de l'ONG Women and Children with Albinism in Uganda [WACWAU, « Femmes et enfants atteints d'albinisme en Ouganda », ndlt]. Elle a raconté à Global Voices combien il est difficile pour l'un de ses patients atteint d'un cancer de la peau d'avoir accès aux soins pendant le confinement­ :

By the time the lockdown came, we were stopped from using private transport. One time we accessed the District Health Officer [in] Wakiso District to get clearance. But these guys [police] by the roadside confiscated our car key for hours and we missed the surgery because the doctor was on appointment. We had to make another appointment and it had to be at night. And curfew hours start at 7 [p.m.], [so] we had to incur more costs to be residential [at a private clinic] which we had not budgeted for.

Quand nous sommes entrés en confinement, nous avons dû cesser d'utiliser nos propres moyens de locomotion. Une fois, nous avons contacté l'officier de santé du district de Wakiso pour avoir une autorisation. Mais ces types [la police] au bord de la route ont confisqué la clé de notre voiture pendant des heures, et nous avons manqué l'opération dont le rendez-vous était fixé. Nous avons dû prendre un autre rendez-vous, mais il fallait qu'il soit de nuit. Comme le couvre-feu commence à 19 h, il a fallu engager des frais supplémentaires pour être hébergés [dans une clinique privée], ce qui n'était pas prévu au budget.

L'arrivée de la course dans une rue encadrée par deux rangs de personnes accueillant le premier participant en fauteuil roulant

La course de sensibilisation au handicap dans le district d'Arua, organisée par COMBRID-Friends of Disability [10]  à Arua, Ouganda. Photo via Facebook, avec leur permission.

Discordance

L'Ouganda dispose d'un cadre juridique et politique substantiel régissant les droits des personnes handicapées. En 2008, le pays a ratifié [11]la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées [12] [fr]. Cette ratification est accompagnée de plusieurs obligations pour les États : garantir la mobilité personnelle des personnes handicapées avec le plus d'autonomie possible, permettre l'accès aux transports et rendre la décision politique inclusive.

L'Ouganda a promulgué des clauses détaillées sur les droits des personnes handicapées dans sa Constitution [13] [pdf à télécharger], dans la Loi relative aux personnes handicapées [14] [pdf en téléchargement automatique] et dans la Politique nationale sur le handicap [15] [pdf consultable en ligne] en ce qui concerne la non-discrimination, l'action positive et l'inclusion dans les organes de décision politique ainsi que des Lignes directrices nationales pour la planification de l'intégration des personnes handicapées [16] [pdf].

Le contraste flagrant entre les lois et politiques bien intentionnées et leur mise en œuvre résulte en partie des restrictions budgétaires.

Le secteur du développement social, auquel la question du handicap est liée, ne se voit allouer que 0,38 % du budget national voté pour 2020-2021 [17], alors que les trois secteurs prioritaires que sont le travail et le transport, la sécurité ainsi que le financement des intérêts de la dette représentent respectivement près de 13 %, 10 % et 9 % du budget total.

La part allouée reflète bien l'attention dérisoire que le gouvernement accorde à la protection sociale des citoyens.

Approche communautaire

Patrick Pariyo, directeur de COMBRID-Friends of Disability, une organisation communautaire du nord-ouest de l'Ouganda, a expliqué à Global Voices que le sous-financement gouvernemental relatif aux droits des personnes handicapées découle des intérêts commerciaux, de l'individualisme et d'une culture du quiproquo dont toutes les couches de la société ougandaise sont imprégnées.

Patrick Pariyo a décrit à quel point les mesures liées au coronavirus ont interrompu l'approche communautaire de son organisation quant aux droits des personnes handicapées. Avant l'obligation de distanciation sociale, ils avaient pour habitude d'impliquer directement les éducateurs et les chefs de la communauté pour évaluer les besoins et aider les personnes handicapées à se procurer soutien et équipements.

Now, with social distancing, we were not able to reach people. COVID [-19] has blocked resources. We have over 1,500 epileptic patients in 16 health centers to whom we would provide anti-seizure drugs.  Everyone is talking about COVID [-19].

Maintenant, avec la distanciation sociale, nous ne pouvons plus atteindre ces populations. La COVID[-19] a bloqué les ressources. Nous avons plus de 1 500 patients épileptiques dans 16 centres de santé à qui nous devrions fournir des anticonvulsifs. Tout le monde ne parle que de COVID[-19].

Un désarroi inéluctable pour COMBRID maintenant que les pays donateurs commencent à réorienter leurs financements [18] vers leur propre lutte contre la COVID-19. Le gouvernement a reçu de généreux dons [19] de la part de particuliers et d'entreprises en guise d'aide, mais les organisations de défense des droits des personnes handicapées luttent toujours pour que les citoyens accèdent aux soins.

Persévérer

En définitive, c'est à l'État que revient en premier lieu la responsabilité juridique de défendre et soutenir les droits des personnes handicapées.

Muzamil Ali, l'enseignant malvoyant, affirme : « Si nous ne pouvons pas avoir de représentants qui se manifestent davantage à propos des personnes handicapées, les mêmes problèmes continueront à survenir. »

Lydia Abenaitwe confirme : « On ne peut pas s'attendre à ce qu'une catégorie de personnes soit correctement représentée par des individus qui ne comprennent pas ce que ces personnes vivent. »

Pour Betty Achana, cartographier les besoins des personnes handicapées et sensibiliser sont les clés du changement politique, d'autant que les membres de la police et des forces militaires ont trop peu connaissance des problèmes des personnes à mobilité réduite.

L'Ouganda est partiellement sorti du confinement [20] au début du mois de juin, mais la stigmatisation et les préjugés à l'encontre des personnes handicapées perdurent. La lutte pour l'inclusion renvoie à des problèmes plus larges de protection sociale en Ouganda, comme les conditions injustes de travail [21] et le chômage des jeunes [22].