Le nouveau projet de loi sur la cybercriminalité de la Sierra Leone pourrait transformer un smartphone en pièce à conviction

Des gens vont et viennent au milieu des voitures.

Une scène de rue à Freetown, Sierra Leone. Photo de bobthemagicdragon, 16 novembre 2011, via Flickr / CC BY NC ND 2.0.

[Tous les liens mènent vers des articles en anglais, ndt.]

La numérisation a considérablement stimulé les Sierra-Léonais ces dernières années, en rendant de nouveaux espaces disponibles en ligne pour exprimer et partager librement des points de vue et des informations sensibles sur les problèmes politiques et socio-économiques du pays.

Mais les lois actuelles de la Sierra Leone sur la liberté d'expression dans les espaces numériques ne protègent pas adéquatement les citoyens contre le harcèlement ciblé ou les menaces et arrestations arbitraires.

Désormais, un projet de loi sur la cybercriminalité pourrait transformer le smartphone d'un citoyen en une pièce à conviction.

Le Parlement a proposé le projet de loi après une série d'incidents violents, l'année dernière, déclenchés par des messages sur les réseaux sociaux. Il vise à clarifier les infractions et les peines liées à la cybercriminalité et à mieux gérer la sécurité nationale et la criminalité dans les espaces numériques.

L'année dernière, lorsque de violents incidents ont éclaté à Tombo, un village de pêcheurs de l'ouest, et à Makeni, une ville du nord, le gouvernement a rapidement désigné une personnalité des médias sociaux connue sous le nom d'« Adebayor ».

Actuellement basé aux Pays-Bas, Adebayor est une voix de l'opposition ouverte qui est suivi par un large public dans le pays – en particulier sur WhatsApp.

Tombo et Makeni sont tous deux des bastions de l'opposition de l'All People's Congress (APC), où Adebayor estimait que les habitants étaient injustement traités.

Les nuits précédant les deux incidents, Adebayor aurait publié des messages audio dans lesquels il appelait les jeunes à protester contre les décisions prises par les autorités du parti au pouvoir.

En mai, Adeboyar aurait incité les jeunes de Tombo à protester contre les restrictions anti-COVID-19 des autorités qui limitaient la pêche à seulement 15 bateaux sur plus de 400. Il aurait affirmé que la décision était politiquement motivée par la volonté des membres au pouvoir du SLPP [Sierra Leone People’s Party, ndt] de supprimer les partisans de l'APC. Les affrontements ont fait deux morts.

Quelques mois plus tard, Adebayor aurait appelé les jeunes de Makeni à se rebeller contre la décision du ministère de l'Énergie de déplacer un générateur d’électricité de secours sur chenilles de 1 MW de leur ville à une autre. Il aurait dit aux jeunes de ne pas rester les bras croisés et permettre au Parti populaire au pouvoir de ne pas répondre aux besoins des partisans de l'APC, le principal parti d'opposition. La manifestation des jeunes a fait quatre morts et 10 blessés.

Afin de remédier à la situation, le gouvernement a proposé un projet de loi sur la cybersécurité qui dissuaderait les gens d'écouter et de partager des messages virulents comme ceux d'Adebayor, qui propagent la haine, l'incitation à la haine et les invectives contre les politiciens du parti au pouvoir.

Sahr Mattew Nyuma, chef des affaires gouvernementales de la Sierra Leone au Parlement, a averti en séance en août dernier que « tout le monde serait vulnérable si le pays n'adoptait pas des lois sévères pour faire face à la situation. »

La loi sur la cybercriminalité de 2020 – qui couvre les questions relatives à la cybersécurité, y compris la cybercriminalité, les lois applicables, la prévention des attaques, les secteurs spécifiques, la gouvernance d'entreprise, les litiges, les assurances et les pouvoirs d'enquête et de police – a déjà franchi l'étape pré-législative au Parlement.

Le chef du principal parti d'opposition All Peoples’ Congress, Chernor Ramadan Maju Bah, a qualifié le projet de loi de sensible car il concerne tout le monde.

Et le directeur général de la Commission nationale des télécommunications (NATCOM), Daniel Kaitibie, a également salué la loi sur la cybersécurité alors que la nation travaille à la réforme des droits numériques.

« De lourdes conséquences sur les droits des citoyens »

Bien entendu, l'objectif principal est de lutter contre les cybercrimes de toutes sortes.

Mais le projet de loi a ses lacunes.
Il répand la peur et donne un prétexte juridique supplémentaire pour réprimer la dissidence – pour saisir le bien précieux de l'époque – le téléphone portable.

Plusieurs citoyens et membres de l'opposition affirment que le projet de loi sert de canal pour la suppression des droits et libertés numériques – en particulier dans les cas où le gouvernement rencontre des difficultés.

Le projet de loi sur la cybercriminalité est « une nouvelle loi sur l'ordre public à l'ère électronique », écrit Mohamed Gibril Sesay, dans un éditorial du 19 mars du Standard Times de Sierra Leone. Le ministre d'État et politicien de l'opposition a ouvertement condamné le projet de loi sur la cybersécurité dans son éditorial.

Dans le passé, les politiciens invoquaient des articles de la loi sur l'ordre public qui criminalisaient la diffamation pour supprimer la liberté d'expression et la presse. Plusieurs articles de cette loi ont été abrogés en 2020.

Mais le projet de loi sur la cybercriminalité est encore plus répressif que la loi sur l'ordre public. Alors que la peine maximale de cette dernière est de deux ans, le projet de loi sur la cybercriminalité autorise des peines allant jusqu'à cinq ans pour des actions considérées comme des « cybercrimes ».

Tout le monde est une cible potentielle de la criminalisation de la parole si le parti au pouvoir juge son contenu en ligne offensant.

Le projet de loi manque en outre de définitions claires de ce qui constitue un cybercrime, cédant trop de pouvoirs au ministre de l'Information pour élaborer des règlements et déterminer des mesures punitives.

The new cybercrime law, if passed (I guess it's now a matter of 'when' and not 'if'), will have far-reaching…

Posted by Edward Kargbo on Friday, March 19, 2021

La nouvelle loi sur la cybercriminalité, si elle est adoptée (je suppose que c'est maintenant une question de « quand » et non de « si »), aura de lourdes conséquences sur les droits et libertés des citoyens. Ce n'est pas une loi kalo-kalo.

Que savons-nous vraiment du projet de loi ?

Médias et société civile : apprécions-nous pleinement ce qui se passe ou la reddition demeure ?…
#ContrôleDesMédias #ContrôleDeLaSociétéCivile

Chris Wizo, un rédacteur en chef, a également fait part de ses préoccupations concernant le projet de loi sur Facebook:

Sierra Leone's media must sit up and ensure the new Cyber Bill is thoroughly scrutinised before it is passed into law by…

Posted by Chris Wizo on Friday, March 19, 2021

Les médias sierra-léonais doivent réagir et s'assurer que le nouveau projet de loi sur la cybercriminalité est soigneusement examiné avant qu'il ne soit adopté par notre Parlement. Nous ne pouvons pas nous permettre de ne rien faire et d'attendre qu'une réplique de la loi pénale sur la diffamation soit adoptée puis passer les 5 prochaines décennies à plaider en faveur d'une révision ou d'une abrogation.
#theuntoldstories

En vertu de la Partie III : Pouvoirs et procédures, le projet de loi cède également trop de pouvoir à la police pour réquisitionner les téléphones et les ordinateurs et donne trop de latitude aux agents de l'État pour transformer le téléphone de leur choix en « pièce à conviction ».

Elle prescrit des méthodes de saisie des ordinateurs ou des téléphones si un juge l’autorise. Pour déclencher la procédure, la seule conviction du policier que la saisie est justifiée suffit.

C'est là que se trouvent d'importants risques d'abus contre tout journaliste, activiste de la société civile ou citoyen ordinaire qui utilise un téléphone ou un ordinateur.

Un autre prétexte juridique pour réprimer la dissidence

Le journaliste Mahmud Tim Kargbo fait partie des nombreux Sierra-Léonais ayant déjà été ciblés pour avoir publié des commentaires et critiques sur les réseaux sociaux.

L'année dernière, il a été arrêté et accusé de diffamation pour avoir partagé sur les réseaux sociaux du contenu considéré comme «insultant » et « calomnieux » sur l'inspecteur général adjoint de la police de la Sierra Leone, Patrick AT Johnson. Il aurait violé l’article 3 de la loi sur l’ordre public, qui criminalise l’obscénité, les menaces et d’autres actes menant à une « insulte » ou un « désagrément ».

La plupart des journalistes sierra-léonais, des membres des organisations de la société civile et des politiciens de l'opposition ont dénoncé l'arrestation de Kargbo. Le Comité pour la protection des journalistes a condamné sans équivoque ces poursuites, qu'ils ont décrites comme étant des tactiques du gouvernement en place pour réprimer les voix critiques sur leur gouvernance.
Mahmud Tim Kargbo a été libéré sous caution le 4 décembre, après avoir passé quelques heures dans la prison de Pademba Road. S'il avait été condamné, il aurait pu passer jusqu'à trois mois en prison ou payer une amende de 20 millions de leones (1 960 dollars US).

La Constitution de la Sierra Leone de 1991 ne contient pas de dispositions spécifiques sur les droits numériques, mais elle indique clairement que tous les citoyens ont droit à la liberté d'expression, en vertu du chapitre 3. Celui-ci protège les droits à « la liberté de conscience, d'expression et de réunion et d'association. »

Dans le cadre du nouveau projet de loi sur la cybercriminalité, la police a déjà formé une unité de cybersécurité spécifiquement dédiée aux enquêtes criminelles dans le cyberespace.

Plusieurs personnes ont été appelées par la police pour répondre à des questions sur ce qu'elles diffusent sur les réseaux sociaux – avant même que le projet de loi ne soit devenu une loi.

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