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Le gouvernement éthiopien a-t-il utilisé ses mesures de lutte contre le COVID-19 pour faire taire la dissidence?

Catégories: Afrique Sub-Saharienne, Ethiopie, Censure, Liberté d'expression, Média et journalisme, Médias citoyens, COVID-19, Advox
Un homme en uniforme blanc asperge les mains d'une marchande de désinfectant dans un marché en Ethiopie.

Les jeunes volontaires descendent dans la rue pour se mobiliser contre le COVID-19 en Éthiopie. Photo de l'UNICEF Éthiopie. CC-BY 2.0. [1]

Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages en anglais.

Des activistes éthiopiens ont été [2]arrêtés [2] en 2020 pour avoir violé les restrictions liées au COVID-19, soulevant la question de savoir si le gouvernement avait utilisé ces protocoles pour faire taire les critiques.

L'Éthiopie a été sous état d'urgence [3] [am] pour contrer la propagation du COVID-19 d'avril à septembre 2020.

Le 20 avril, Elizabeth Kebede, avocate, militante et fervente critique [4] du gouvernement, a été  [5]arrêtée [5] à Addis-Abeba pour avoir prétendument « répandu de fausses rumeurs » sur la situation du COVID-19 à Harar [6] [fr], la principale ville de la région de Harari.

En mars, peu de temps après que l'Éthiopie ait enregistré son premier cas de COVID-19, Mme Elizabeth avait écrit sur Facebook qu'elle connaissait des personnes qui, bien qu'entrées en contact avec d'autres testées positives pour le COVID-19, ne s'étaient pas mises en quarantaine.

Elle a été arrêtée le jour-même à Addis-Abeba et transférée à Harari, selon l'Association des femmes juristes éthiopiennes [7] (EWLA) où elle travaille comme bénévole. Elle a été libérée le 6 mai sans inculpation [2].

L'EWLA a fait valoir que la police de Harari n'avait aucune compétence pour déposer des plaintes contre Mme Elizabeth car sa résidence permanente est à Addis-Abeba. Cette ONG soutient également que ce transfert ne correspondait à aucune nécessité légale.

Le journaliste Yayesew Shimelis a également été  [8]arrêté sans inculpation [8], le 27 mars 2020. La veille, il avait publié une vidéo sur la chaîne YouTube Ethio Forum, qu'il administre, rapportant que le gouvernement central préparait 200 000 tombes pour accueillir les victimes du  COVID-19, citant des sources anonymes. Il a été libéré le 23 avril.

Le ministère de la Santé [9] [am] et le bureau du Premier ministre [10] ont rejeté les allégations formulées dans la vidéo. Le premier a déclaré que la vidéo « devrait être condamnée » et le second que « les agents des forces de l'ordre […] ont été mandatés pour prendre des mesures contre des individus et des groupes déchaînant la terreur sur la santé et le sentiment d'insécurité des citoyens ».

Yayesew Shimelis anime une émission politique hebdomadaire sur Tigray TV, une chaîne appartenant au gouvernement régional du Tigray, qui est en profond désaccord avec le gouvernement d'Addis-Abeba. Le journaliste est connu en Éthiopie pour ses critiques à l'encontre du Premier ministre  [11]Abiy Ahmed [11] [fr].

Après avoir été témoin de la réaction féroce sur les médias sociaux à son reportage vidéo, M. Yayesew a écrit [12] dans un tweet qu'il « n'imaginait pas que ces informations auraient été aussi choquantes » [ce tweet semble avoit été supprimé depuis, ndt.].

Il a déclaré à Global Voices que YouTube avait retiré sa vidéo, que Facebook avait supprimé un message dans lequel il partageait la vidéo, et que Twitter avait suspendu son compte.

Des dispositions vagues

La directive  [13]émise par le Conseil des ministres pour la mise en œuvre de l'état d'urgence contenait des dispositions qui, selon les experts, sapaient la liberté d'expression et avaient un effet dissuasif sur la presse.

Par exemple, l’ [13]article 3/26 [13] [am] interdit la publication d'informations qui « pourraient troubler la société ».

Il est interdit de diffuser toute information qui puisse troubler la quiétude sociale et causer une pression psychologique concernant le COVID-19 et les problèmes connexes.

En outre, l’ [13]article 4/10 [13] [am] stipule que les informations diffusées par les médias ne doivent pas créer de chocs.

Les professionnels de la communication du gouvernement et les institutions médiatiques privées doivent diffuser des informations, des analyses d'actualités ou des informations relatives au COVID-19 et aux questions connexes sans exagérer ni minimiser les informations pertinentes et sans provoquer de choc ni de terreur.

Le coût de la censure

A screenshot of Yayesew's Facebook Page

Une capture d'écran de la page Facebook de Yayesew prise le 25 février 2021.

Depuis sa libération, M. Yayesew n'est plus aussi spontané. Sa biographie [14] sur Facebook a depuis été mise à jour et se lit comme suit : « Je ne peux pas respirer – je me tiens juste à carreau. »

Sur une vidéo qu'il [15]mise en ligne [15] sur YouTube le 2 juin 2020, il explique avoir dû arrêter son émission sur la chaîne EthioForum de Tigray TV « avec tristesse » pour une raison qu'il « ne pouvait divulguer pour le moment ».

Elizabeth Kebede a depuis quitté l'Éthiopie pour un pays inconnu. Dans un message Facebook de novembre 2020, elle a expliqué [16] les raisons de sa demande d'asile à l'étranger et a indiqué que son dossier n'était pas clos, mais qu'il avait été uniquement transféré de Hariri à Addis-Abeba.

Son message sur Facebook, qui a depuis été supprimé, comprenait en pièce jointe une déclaration de la mission permanente de l'Éthiopie à Genève qui disait  [17][pdf] :

Ms. Elizabeth's posts have severely undermined the safety, equality and dignity of certain ethnic groups and it would likely incite violence and disturb public safety.

Les messages de Mme Elizabeth ont gravement porté atteinte à la sécurité, à l'égalité et à la dignité de certains groupes ethniques et sont susceptibles d'inciter à la violence et de perturber la sécurité du public.

Cet article fait partie d'une série analysant l'ingérence sur les droits numériques pendant la pandémie COVID-19, en période de confinement et au-delà, dans neuf pays africains : Ouganda, Zimbabwe, Mozambique, Algérie, Nigeria, Namibie, Tunisie, Tanzanie et Éthiopie. Le projet est subventionné par le Fonds pour les droits numériques en Afrique de la Collaboration en matière de politique internationale des TIC (technologies de l'information et de la communication) pour l'Afrique orientale et australe [18] (CIPESA).