Alors que la Jamaïque envoie au Canada une grosse cargaison de chiens abandonnés, les défenseurs des droits des animaux espèrent un changement au niveau régional

Cadrage en portrait d'un chien à la robe bigarrée noire tachetée de blanc et de marron.

Topaz, secouru à Tobago en 2020, a depuis été adopté par un passionné de chiens du Massachusetts ; il a adopté deux autres chiens de l’île. Les terriers de la Jamaïque se ressemblent beaucoup. Photo d'Elspeth Duncan, publiée avec autorisation.

Avertissement : cet article contient des images troublantes d'animaux de la rue, squelettiques et maltraités, avant leur réhabilitation et leur adoption.

Le 13 mars, des équipes de journalistes jamaïcains ont envahi l'aéroport international Donald-Sangster de Montego Bay alors que 144 passagers embarquaient sur un vol charter spécial à destination du Canada. Les voyageurs, qui n'avaient besoin ni de passeport ni de visa, étaient des Jamaican Brown Terrier, des chiens de rue, en route pour une nouvelle vie. L'association Montego Bay Animal Haven (MBAH), en partenariat avec l'association canadienne Save Our Scruff, a organisé l'adoption des chiens.

Si la plupart des internautes ont semblé se réjouir de la bonne nouvelle du voyage des terriers, des mèmes et des commentaires ironiques ont également été publiés sur les réseaux sociaux, comparant le déménagement aisé des chiens aux difficultés rencontrées par de nombreux Jamaïcains pour obtenir un visa.

Mais le plus important est que les adoptions à l'étranger ont attiré l'attention sur le sort des animaux des rues. Tammy Browne, fondatrice du MABH, estime que les lois coloniales jamaïcaines relatives à la cruauté infligée aux animaux nécessitent une sérieuse révision. Elle a récemment tweeté au sujet de l'un de ces nombreux tristes cas :

Sain et sauf !!! Grâce aux anges des animaux de Kingston ; nous devons actualiser les lois sur la cruauté envers les animaux en Jamaïque @AndrewHolnessJM pic.twitter.com/vXbywXie28
— montego bay animal haven (@Tammy_Browne) 18 mars 2021

MBAH était tout simplement à court d'espace, incapable de faire face au nombre d'animaux de rue, en particulier des chiens, nécessitant des soins pour cause de négligence (volontaire ou pas). Comme le centre de secours n'euthanasie pas les animaux et compte sur les adoptions, il a dû trouver d'autres solutions et s'est orienté vers leur envoi à l'étranger.

L'opération s'est avérée être une véritable entreprise, mais avec le soutien d'un groupe de bénévoles dévoués, de plusieurs entreprises locales et du vétérinaire du gouvernement, ils y sont arrivés.

Dans un message publié sur Facebook, MBAH a souligné qu'il était « encourageant de voir les réactions des entreprises et des Jamaïcains de tous les milieux à la première “migration de masse” des chiens » du pays :

This group of travellers is not made up of specially-reared pure-bred dogs. Far from it. They have all come from desperate situations on the streets of our nation. They are the injured, the abused, the traumatized, the starving, the neglected, the forgotten — the ones covered in mange and eaten away by maggots. […] We heal their wounds, both the physical and the emotional ones, and we take the time to teach them to trust humans again.

We give them dignity. Royal Caribbean Terriers — not mongrels.

We find them forever homes.

And they shine!

We are so proud of them and we hope that this has been a real eye-opener and game-changer for all those Jamaicans who have been accustomed to treat dogs with cruelty rather than kindness, and who have seen them only as something to bark when strangers arrive.

Ce groupe de voyageurs n'est pas composé de chiens de race spécialement dressés, loin de là. Ils ont tous connu des situations désespérées dans nos rues. Ce sont les blessés, les maltraités, les traumatisés, les affamés, les négligés, les oubliés – ceux qui sont couverts de gale et rongés par les asticots. […] Nous soignons leurs blessures, tant physiques qu'émotionnelles, et nous prenons le temps de leur apprendre à faire à nouveau confiance aux humains.

Nous leur redonnons une dignité. Des Royal Caribbean Terriers – pas des bâtards.

Nous leur procurons des foyers pour la vie.

Et ils renaissent à nouveau !

Nous sommes très fiers d'eux et nous espérons que cette initiative a ouvert les yeux et changé les points de vue de tous les Jamaïcains qui avaient tendance à traiter les chiens avec cruauté plutôt qu'avec gentillesse, et qui les percevaient uniquement comme des bêtes qui aboient en présence de personnes inconnues.

Un petit chien blanc allongé en boule dans son panier et sur une peluche jaune.

Muri, le tout premier Tobago secouru à être adopté à l'étranger par l'ONG Venus : Doggess of Love. Photo fournie par Elspeth Duncan, publiée avec autorisation.

Bien qu'il s'agisse probablement du plus grand transfert de chiens abandonnés enregistré dans la région, ce n'est pas la première fois que des bâtards des Caraïbes sont adoptés à l'étranger. Elspeth Duncan, fondatrice de l'organisation non gouvernementale basée à Tobago, Venus : Doggess of Love [« Vénus : déesse canine de l'amour », ndlt], place des chiens abandonnés dans des foyers à l'étranger depuis 2016. Son premier chiot ayant voyagé au-delà des frontières était Muri, un « Tobago Terrier » qui a trouvé son foyer définitif dans le Massachusetts, aux États-Unis. Elle estime avoir depuis contribué à l'adoption d'une trentaine de chiens et de quelques chats dans des familles à l'étranger, des États-Unis à l'Europe.

Dans un entretien téléphonique avec Global Voices, E. Duncan a déclaré que les « amis des animaux » du Nord trouvent ces chiens intelligents, affectueux et résilients. Ils s'adaptent sans problème aux nouveaux climats et aux nouveaux modes de vie. Son ONG a récemment été contactée par un refuge pour animaux basé au Canada qui disposait de 40 places, mais avec les restrictions de voyage imposées en raison du COVID-19 à Trinité-et-Tobago, il était difficile et excessivement coûteux de faire sortir les chiens du pays.

Le coût de la migration d'un chien vers un autre pays, y compris le prix du billet d'avion, de la cage et des vaccins nécessaires, peut varier entre 5 000 et plus de 10 000 dollars de Trinité-et-Tobago (735 à 1 500 dollars américains), en fonction de la destination et des procédures requises. Les frais de voyage de la Jamaïque vers le nord de l'archipel des Caraïbes seraient probablement moins élevés.

Elspeth Duncan a été confrontée aux mêmes attitudes envers les animaux que celles décrites par MABH. À Tobago, dit-elle, les  dénommés « chiens bruns » sont si courants qu'on a tendance à les négliger, et la culture est telle que les animaux de compagnie sont uniquement perçus comme des bêtes de somme. « Les chiens doivent éloigner les gens », explique-t-elle, « les chats doivent attraper des rats pour valoir leur pesant d'or. Les animaux ne sont généralement pas considérés comme des compagnons. »

Deux photos, celle de gauche montrant la chienne debout dans la rue, affaiblie et au regard triste, celle de droite la montrant épanouie, allongée sur une marche d'escalier et portant un vêtement rouge haut-de-gamme.

Photos avant et après de Bonnie, une « Tobago Terrier » qu'Elspeth Duncan a placée en famille d'accueil après avoir été témoin de la détresse de la chienne qui s'était fait voler son chiot dans la rue. Bonnie vit maintenant en Nouvelle-Angleterre, où elle a remporté des prix en agilité et a récemment suivi un cours intensif de dressage. Photos fournies par Elspeth Duncan, publiées avec autorisation.

Cette démarche est essentielle pour changer le regard porté dans les Caraïbes sur les chiens croisés et errants. Elspeth Duncan est fascinée par le fait que, chaque fois qu'elle présente une adoption à l'étranger sur la page Facebook de Venus : Doggess of Love, de nombreuses personnes expriment leur amour et leur admiration pour ces chiens qu'ils n'auraient peut-être même pas remarqués s'ils les avaient croisés dans la rue.

« Je pense souvent, nous dit-elle, que ce que les gens voient sur ces photos est bien plus que la vie formidable que ces animaux ont maintenant. C'est la relation spirituelle qu'ils ont avec leurs compagnons humains. Si nous ne parvenons pas à considérer les animaux comme des âmes sœurs, comme le font ces personnes, notre rapport aux animaux ne changera pas. »

Comme l'a fait remarquer une utilisatrice jamaïcaine de Twitter, reconnaissant l'importante population de chiens errants en Jamaïque et les nombreux cas de maltraitance animale :

Le chien brun jamaïcain a la vie dure dans la plupart des cas, mais il reste loyal et facile à dresser, avec un grand potentiel, tout comme ses congénères. Il ont simplement besoin d'amour, sans jugement ni préjugés. (Le même message peut aussi s'appliquer aux humains.)
— ProtocolPolice (@judithdenton4) 15 mars 2021.

Pendant ce temps, certains des chiens jamaïcains qui se sont installés dans leurs nouvelles demeures ont maintenant leurs propres pages Instagram. En Jamaïque, il est fort possible que l'attrait pour les chiens abandonnés soit en hausse. Il y a déjà plusieurs Jamaïcains dont les animaux chéris sont des rescapés locaux, notamment ceux d'un styliste et d'un DJ populaire.

Cependant, le contexte local reste tendu. En novembre 2020, par exemple, l'affaire d'un jeune garçon gravement blessé lors d'une attaque de chiens a été très médiatisée. Les chiens en question appartiendraient à quelqu'un de la communauté du garçon, mais l'attaque s'étant produite dans un espace public, l'opinion des la population sur les chiens des rues a pu en être affectée.

Parallèlement, le Parlement jamaïcain a adopté la loi relative aux chiens (responsabilité en cas d'attaque), et le ministère de la justice a saisi l'occasion pour rappeler aux Jamaïcains qu'ils devaient garder leurs chiens sous contrôle.

Au niveau régional, les efforts visant à sensibiliser aux droits des animaux et aux avantages mutuels de les garder comme animaux de compagnie se poursuivent.

Christine François, une amie des animaux qui vit à Trinité-et-Tobago, a par exemple récemment lancé le podcast Tall Tails, qui met en avant les droits des animaux et les avantages de leur compagnie, et Elspeth Duncan a réalisé un court-métrage primé, Venus and Magnet, qui raconte l'histoire d'une amitié interespèces. Pour elle, c'est tout simplement une autre expression de la devise de Venus: Doggess of Love : l'amour change les vies.

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