L’annulation de la conférence pour le 50e anniversaire de la guerre de libération du Bangladesh suscite des critiques

Des étudiants de la Lahore University of Management Sciences (LUMS) sont réunis pour écouter une conférence

Les étudiants de la Lahore University of Management Sciences (LUMS) assistent à une conférence. Photo Flickr de Rehman Chughtai. CC BY-NC-SA 2.0.

[Sauf mention contraire, tous les liens de ce billet renvoient vers des pages web en anglais, ndlt]

L’annulation de la conférence en ligne de cinq jours organisée par deux institutions pakistanaises, qui commémorerait le 50anniversaire de la guerre de libération du Bangladesh, a suscité de nombreuses critiques de la part des spécialistes et des universitaires.

La conférence « Guerre, Violence et Mémoire : Commémoration à l'occasion des 50 ans de la guerre de 1971 » organisée par la Lahore University of Management Sciences (LUMS), la School of Humanities and Social Sciences et le National Institute of Pakistan Studies (NIPS) à l'université Quaid-i-Azam d'Islamabad était prévue du 23 au 27 mars pour célébrer le 50anniversaire de la création de la nation du Bangladesh [fr]. Aucune motivation n’a été donnée pour son annulation.

Le professeur Ali Usman Qasmi avait annoncé les détails de la manifestation dans un tweet du 19 mars :

La School of Humanities and Social Sciences, LUMS, en collaboration avec le National Institute of Pakistan Studies (NIPS), Quaid-i-Azam University, organise une conférence en ligne pour commémorer le cinquantième anniversaire du Bangladesh. Voici le programme : pic.twitter.com/oOqRN1SUgA

— Ali Usman Qasmi (@AU_Qasmi) 19 mars 2021

Selon le professeur Qasmi, l'objectif de la conférence était de :

“. . . to gather academics and non-academic voices on one platform to showcase emerging research and critical approaches that can enhance our understanding of the 1971 conflict. The conference will cover the political history of East Pakistan between 1947-71, the democratic struggle for rights, and the genocidal military operation that resulted in mass displacement and massacres.”

« … rassembler des voix issues des milieux académiques ou non sur une plate-forme unique pour exposer les nouvelles recherches et les démarches essentielles susceptibles d'améliorer notre compréhension du conflit survenu en 1971. La conférence parlera de l’histoire politique du Pakistan oriental entre 1947 e 1971, les luttes démocratiques pour les droits et les opérations militaires génocidaires [fr] qui ont engendré évacuation de masse et massacres. »

Jibran Nasir, un avocat et militant, a exprimé sur Twitter son estime pour l’événement :

Je souhaite un plein succès à la conférence. Nous ne pouvons pas tracer la voie d’un avenir politique progressiste et impartial sans faire objectivement face à notre passé. https://t.co/aG6xsZThzL

— M. Jibran Nasir (@MJibranNasir) 19 mars 2021

Cependant, le journaliste Ejaz Haider a accusé les organisateurs de mettre l’accent sur les événements historiques plutôt que de parler des problèmes actuels tels que les abus perpétrés par l'Inde au Cachemire :

Au moment même où l’Inde tue des musulmans et opprime le peuple du Cachemire, les intellectuels du Pakistan se mettent à célébrer les 50 ans du Pakistan oriental. Le Pakistan a les pires intellectuels de la terre.

— EH (@ejazhaider) 19 mars 2021

L’opinion de M. Haider a toutefois était contestée par d’autres personnes intéressées par l’événement. Puis, le 20 mars, des tweets au sujet de l’annulation ont commencé à apparaître, bien qu’il n’y ait eu d'annonce sur aucune des plateformes de la LUMS. Le hashtag #LUMS est devenu viral et les gens ont commencé à donner leurs opinions sur l’annulation.

Celle du journaliste Raza Rumi :

Consterné par la #LUMS qui annule une importante conférence sur #1971 – aucune trêve dans l’effacement de la mémoire et de l’histoire. Aucun pays ne peut prospérer sans introspection, sans apprendre des erreurs du passé ni soigner. Également inquiet car si la LUMS n’a pas de liberté intellectuelle, alors ne parlons pas des autres. pic.twitter.com/mr0yMGdrPV

— Raza Ahmad Rumi (@Razarumi) 20 mars 2021

Hassan Javid, professeur de sciences politiques et de sociologie à la LUMS, a déclaré dans un fil sur Twitter que des problèmes avaient été soulevés quant à l’organisation de la conférence qui devait commencer le 23 mars, date à laquelle le Pakistan est devenu une république [fr] :

5. Plutôt que de voir le 23 mars comme une autre occasion de se livrer à un chauvinisme effréné, il serait judicieux de se demander si l’État a tiré des leçons des facteurs qui ont mené à l’indépendance du Bangladesh en 1971.

— Hassan Javid (@HassanJavid_) 20 mars 2021

La Journée de la République – également appelée la Journée du Pakistan – est célébrée chaque année au Pakistan et commémore le passage à la Résolution de Lahore [fr] du 23 mars 1940 et à l’adoption de la Constitution du 23 mars 1956 qui fit du Pakistan la première république islamique au monde. Le 23 mars est habituellement célébré par un défilé, reporté cette année au 25 mars en raison des intempéries.

Certaines personnes ont même supposé que l’événement avait été annulé parce que l’État et la classe dirigeante avaient peur de revenir sur le passé.

Anas Tipu, un spécialiste du marketing numérique a ironisé :

Les gens en uniforme ont peur d'une conférence sur zoom.

— anastipu (@teepusahab) 21 mars 2021

Il y a au Pakistan un récit persistant et de longue date qui nie les atrocités commises par son armée pendant la guerre de libération du Bangladesh [fr] en 1971. Le Pakistan doit encore présenter au Bangladesh des excuses officielles pour les atrocités commises, bien que l’ancien président pakistanais, le général Pervaiz Musharaf, ait exprimé, lors d'une visite à Dhaka en 2002, des regrets pour ce qui s’est passé.

Espace restreint

Ce n’est pas la première fois qu’un événement académique est annulé, et certains Pakistanais pensent que l’espace dédié aux discussions intellectuelles est de plus en plus restreint depuis quelques années.

En avril 2015, la LUMS a annulé, manifestement sous pression du gouvernement, un discours d’une militante baloutche, Mme Mama Qadeer, intitulé « Unsilencing Balochistan » [Redonner la voix au Baloutchistan, ndlt]. Quelques jours plus tard, la militante des droits humains Sabeen Mahmud [fr] était assassinée à Karachi après qu’une conférence intitulée « Unsilencing Balochistan Take 2: In Conversation with Mama Qadeer, Farzana Baloch and Mir Mohammad Ali Talpur » [Redonner la voix au Baloutchistan, deuxième partie : conversation avec Mama Qadeer, Farzana Baloch et Mir Mohammad Ali Talpur] ait eu lieu dans l’espace communautaire de Mahmud, The Second Floor.

La dernière fois que la LUMS a cédé, quelqu’un a été tué https://t.co/VXHI5GsYft

— Mohammed Hanif (@mohammedhanif) 20 mars 2021

En 2019, le festival Saadat Hasaan Manto tenu à Lahore a été différé après que des extrémistes religieux affirment que les œuvres de l'auteur célébré faisaient la promotion de la vulgarité. Récemment, un autre discours sur le Baloutchistan a été annulé au Sindh Literature Festival 2021.

La guerre de libération du Bangladesh

Lors de la partition du sous-continent en 1947 [fr], le Pakistan a été divisé en deux parties séparées par l'Inde, le Pakistan oriental et le Pakistan occidental. En décembre 1970, la ligue Awami [fr] du Pakistan oriental a remporté les élections générales pakistanaises avec 160 sièges sur 300, et son leader, Sheikh Mujibur Rahman [fr], père fondateur du Bangladesh, est devenu le Premier ministre désigné qui conduira le Pakistan à la démocratie en transférant le pouvoir du président et de l'administrateur en chef des lois martiales de l'époque, le général Yahya Khan. Mais le général Khan a retardé la transition, car le président du conseil d'administration du Parti du peuple pakistanais (PPP), Zulfikar Ali Bhutto [fr] ne voulait pas qu'un parti du Pakistan oriental soit inclus dans le gouvernement fédéral. Cela a mené à des troubles et à la désobéissance civile dans l'est du Pakistan.

La guerre de libération du Bangladesh a commencé dans la nuit du 25 mars 1971, lorsque l'armée pakistanaise a lancé l'opération Searchlight visant à museler le mouvement nationaliste bengali. Le Pakistan oriental a déclaré [fr] son indépendance en tant que nation du Bangladesh le 26 mars 1971, entraînant la guerre de libération de neuf mois au cours de laquelle des civils et la Mukti Bahini [fr] – l'armée de libération nationale – a fait face à l'armée pakistanaise. Ils ont été aidés par l'Inde voisine, accablée par les millions de réfugiés qui cherchaient protection contre les atrocités et le génocide perpétrés par l'armée pakistanaise qui, ce qu”affirme le Bangladesh, a entraîné la mort de 3 millions de personnes [fr].

L'Inde est entrée en conflit direct avec le Pakistan [fr] en décembre 1971 à la frontière occidentale pour soutenir la Mukti Bahini du Pakistan oriental et, le 16 décembre 1971, l'armée pakistanaise s'est rendue. Le 16 décembre est connu comme étant le Jour de la Victoire au Bangladesh et la Chute de Dhaka au Pakistan.

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